CIBV, un beau projet pour le territoire du PNR de Millevaches ?
Pourquoi être contre a priori un si beau projet industriel local et innovant, qui est par dessus le marché écologique puisqu'il a recours au bois, matériau noble et vert par excellence et qui permet de réduire fortement les émissions de CO2 des villes qui vont bénéficier du combustible ainsi créé en substitution au charbon. Ce projet de pellets torréfiés permet en plus de réhabiliter une zone industrielle inoccupée et polluée, tout en dopant la création d'emplois locaux, au moins 17 personnes nous dit on.
Telle est la question que se posent bon nombre de personnes qui n'ont soit pas lu le dossier d'étude d'impact (fort indigeste au demeurant) soit pas compris les effets négatifs et cumulés en cascade d'un tel projet tant autour de Bugeat (installation classée oblige), que sur l'ensemble de la zone d’approvisionnement en bois à 80 km de rayon.
Une enquête publique bâclée et un déni de démocratie
L'enquête publique n'a eu lieu que sur les communes de Bugeat et Viam alors même que tout le Parc de Millevaches, et au-delà les territoires de Corrèze et des Combrailles sont tout autant concernés par la zone d'approvisionnement en bois.
L'enquête publique contrairement à l'habitude a mobilisé très largement la population lors de l'unique réunion publique organisée par le commissaire enquêteur, en séance en mairie, comme sur les registres d'enquête internet ou papier (presque 200 pages de registre au final).
De très nombreux positionnement bien argumentés et chiffrés ont montré toute l'incohérence de ce projet localement, tant du point de vue économique qu'écologique et social.
Pour autant, l'avis final du commissaire enquêteur a été tout à fait favorable au projet présenté et ce malgré toutes les lacunes et omissions relevées par les habitants, associations constituées et professionnels de la filière bois.
Un projet d'ICPE localement aberrant pour la santé des populations
Nous avons affaire dans ce cas à un gros projet industriel qui va accueillir sur zone au moins deux industriels, Carbon Ingen'R pour la production de pellets torréfiés et Lyaudet pour le broyage de souches.
Ces deux activités relèvent logiquement du régime ICPE mais seule l'activité de production de pellets a fait l'objet d'un dossier d'étude d'impact et d'une enquête publique.
Par ailleurs, le site situé au vent du bourg de Bugeat à seulement 1,5 km va nécessairement générer de nombreuses nuisances à la population : bruit des broyeurs, poussières, trafic poids lourds, émissions de gaz de combustion, pollution des eaux.
La qualité de l'air extérieur qui était jusque là un des bienfaits du plateau va sérieusement être impactée dans le périmètre immédiat du projet et notamment dans Bugeat et dans les villages proches. Potentiellement le centre sportif de Bugeat pourrait même ne plus accueillir de sportifs de haut niveau. Le bruit sera aussi une très forte nuisance régulière autour du site.
Un projet totalement fou pour la préservation et l'amélioration des forêts
Il y avait déjà beaucoup à redire sur la gestion des forêts en Limousin et sur le plateau de Millevaches en particulier, mais avec ce projet censé ramasser tous les andains de branches et les souches des arbres abattus, on atteint là le summum de l'incohérence en matière de gestion forestière.
La forêt est par essence un immense moteur à recycler le carbone et donc à recycler la matière végétale. C'est son fonctionnement normal qui se réalise grâce à une myriade d'espèces (insectes, champignons, bactéries, oiseaux, …) qui jouent toutes un rôle dans ce recyclage permanent de la matière.
Ainsi prélever toute la biomasse et ne rien laisser au sol est totalement contre nature et ne laissera derrière ces zones que champs de ruines stériles.
Plus grave, avec ce projet on légitime un système très néfaste et court-termiste de gestion de la forêt, celui de la plantation suivie ou précédée de la coupe rase ou coupe à blanc.
Ce ne devrait pas être le mode courant de gestion de la forêt mais plutôt l'exception or en Limousin, ce système est devenu quasiment le seul système mis en pratique. A contrario, la gestion pérenne des forêts en futaies irrégulières est totalement marginalisée.
Le broyage des souches va renforcer et intensifier encore un peu plus cette logique mortifère, car jusque là les souches n'étaient pas toujours prélevées, parfois, les replantations étaient faites en laissant les souches en place. Les rotations de coupes sur les parcelles risquent encore d'être raccourcies de ce fait, alors qu'on coupe déjà les douglas à 35 ans, quand il faudrait les laisser pousser au moins jusqu'à 60 ou 70 ans. Les accrus forestiers de bouleaux ou de chênes vont eu aussi subir le même sort à un rythme soutenu pour alimenter des besoins toujours croissants de la filière.
L'eau et les sols fortement impactés, une acidification accrue à prévoir
De même puisque nous sommes en contexte granitique, les sols acides sont peu fertiles et l'eau est déjà très acide, phénomène renforcé par la pollution mondiale et les pluies acides associées.
Le maintien de la matière organique dans les sols est le moyen le plus simple de limiter cette acidification qui va croissant depuis 50 ans sur le Massif Central et tous les massifs granitiques.
Ainsi, prélever les souches va faire descendre encore le pH de l'eau qui est déjà critique (pH<4,8) dans certaines communes, où des captages sont particulièrement touchés par la présence d'aluminium toxique dans l'eau. On frise parfois un niveau égal à trois fois la concentration maximale recommandée en aluminium dans l'eau (niveau OMS fixé à 200 µg/L) or ces communes n'ont pas conscience qu'avec ce genre de projet industriel, le problème va encore s'accroître rapidement.
On proposera alors sûrement aux communes des systèmes coûteux de traitement de l'eau alors même qu'il suffirait d'avoir des pratiques en adéquation avec les contraintes et caractéristiques du territoire.
Il serait possible de continuer encore la liste des impacts à prévoir d'un tel projet, sur le plan touristique, paysager, forestier, …
Manifestement les élus locaux ne l'entendent pas ainsi puisque ravis de voir arriver ce beau projet, ils se sont même constitués en association pour le défendre. On croit rêver… ou plutôt être en plein cauchemar.
L'avenir dira qui avait raison …. et si l'expression des habitants fortement mobilisés contre ce projet, mais qui fut aussi très stigmatisée, n'était pas au final l'avis le plus éclairé et pertinent pour préserver la vie et un avenir possible sur ce territoire.
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