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SOMMAIRE
JURISPRUDENCE UE : Identifiant une différence de traitement dans l’accès à une infrastructure non réplicable et donc indispensable, plutôt qu’un refus de fourniture justifiant l’application de la théorie des « facilités essentielles » et impliquant d’être appréciée à la lumière des conditions posées par l’arrêt Bronner, le Tribunal de l’Union confirme le caractère abusif de la pratique d’auto-préférence de Google visant à favoriser son propre comparateur de produits au détriment des comparateurs concurrents, accueille très partiellement son recours mais maintient l'amende de 2,4 milliards €
JURISPRUDENCE UE : Soutenant l’existence d’un effet direct de l'article 81, § 1, CE et de l'article 53, § 1, de l'accord sur l'EEE au profit des juridictions nationales, la Cour de justice de l’Union dit pour droit que les victimes du cartel du fret aérien peuvent se prévaloir de la violation de ces dispositions devant une juridiction nationale pour obtenir réparation, même pour la période antérieure à l’entrée en vigueur du règlement 1/2003 (pour les liaisons UE-pays tiers), au 19 mai 2005 (pour liaisons avec des pays tiers parties contractantes à l’EEE mais non membres de l’Union), et au 1er juin 2002 pour les liaisons UE-Suisse
JURISPRUDENCE AIDES D'ÉTAT : La Cour de justice de l’Union confirme l’existence d’une surcompensation d’un concessionnaire d’autoroute dans l’affaire de l’élimination de la double taxation des poids lourds en Pologne
JURISPRUDENCE AIDES D'ÉTAT : Rappelant que l’obligation de notification, qui incombe aux seuls États membres, constitue l’un des éléments fondamentaux du système de contrôle des aides d’État, le Tribunal de l’Union estime, à propos du mécanisme français de rachat subventionné de l’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables, que le bénéficiaire d’une aide illégale ne peut pallier aux manquements de l’État membre en déposant une plainte dans le seul but d’obtenir de la Commission une décision de ne pas soulever d’objections
JURISPRUDENCE OVS : La Chambre criminelle de la Cour de cassation approuve le rejet par le premier président d'une demande indifférenciée d'annulation des OVS ne désignant pas précisément les documents couverts par la confidentialité des relations entre l'avocat et son client
JURISPRUDENCE CONTRÔLE DES CONCENTRATIONS : Le Conseil d’État confirme en tous points l’analyse de l’Autorité de la concurrence autorisant dès la phase I mais sous conditions la création de l’entreprise commune de plein exercice Salto et juge suffisants les engagements souscrits par France Télévisions, TF1 et M6 visant à prévenir les risques de coordination entre sociétés mères
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INFOS WEBINAIRE : « L’application du droit de la concurrence aux activités des associations professionnelles » — 23 novembre 2021, 12h30-14h [Message de Michaël Cousin]
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JURISPRUDENCE UE : Identifiant une différence de traitement dans l’accès à une infrastructure non réplicable et donc indispensable, plutôt qu’un refus de fourniture justifiant l’application de la théorie des « facilités essentielles » et impliquant d’être apprécié à la lumière des conditions posées par l’arrêt Bronner, le Tribunal de l’Union confirme le caractère abusif de la pratique d’auto-préférence de Google visant à favoriser son propre comparateur de produits au détriment des comparateurs concurrents, accueille très partiellement son recours mais maintient l'amende de 2,4 milliards €
Le 10 novembre 2021, le Tribunal de l’Union a rendu son arrêt dans l’affaire T-612/17 (Google Shopping), première des trois affaires dans lesquelles le moteur de recherche a été sanctionné pour abus de position dominante à être soumise à la sagacité du Tribunal.
On se souvient que le 27 juin 2017, la Commission européenne avait adopté une décision, à la faveur de laquelle elle avait infligé à Google une sanction pécuniaire d’un montant de 2,4 milliards d’euros, dont 523 millions d’euros solidairement avec Alphabet, sa société mère, pour avoir abusé, dans treize pays de l’EEE, de sa position dominante sur le marché de la recherche générale sur Internet en favorisant son propre comparateur de produits, au détriment des comparateurs de produits concurrents. En pratique, non seulement, les résultats d’une recherche de produits lancée sur Google étaient positionnés et présentés de manière plus attractive lorsqu’il s’agissait de ceux du comparateur de Google, mais en outre les résultats de comparateurs concurrents, présentés comme de simples résultats génériques, étaient, de ce fait, contrairement aux résultats du comparateur de produits de Google, relégué par des algorithmes d’ajustement dans les pages de résultats générales de Google.
Google et Alphabet ont introduit un recours contre la décision de la Commission devant le Tribunal de l’Union européenne. À l’appui de leur recours, les requérantes soulevaient six moyens, dont cinq visant à contester l’existence d’un abus, le sixième moyen portant sur la sanction.
Aux termes du présent arrêt, le Tribunal rejette pour l’essentiel le recours des deux sociétés et confirme l’amende infligée par la Commission, mais annule la décision de la Commission sur un point somme toute marginal : le fait que la Commission, qui était tenue, pour identifier un abus de position dominante lié à la pratique d’éviction constatée, de démontrer les effets anticoncurrentiels, au moins potentiels, de ladite pratique sur le ou les marchés concernés, s’est contentée de considérations jugées par le Tribunal comme trop imprécises pour justifier de l’existence d’effets anticoncurrentiels, même potentiels, sur les marchés nationaux de la recherche générale. Ainsi, la Commission s’est limitée à identifier des effets anticoncurrentiels dus aux pratiques en cause en mentionnant que, en traitant plus favorablement son comparateur de produits sur ses pages de résultats générales, Google protégerait les revenus que ce service de recherche spécialisé lui apporte depuis ces pages, revenus qui financeraient eux-mêmes le service de recherche générale et que des pièces du dossier montreraient que Google était inquiète des revenus publicitaires que les comparateurs de produits concurrents pourraient lui prendre en se développant. Aucune analyse de l’importance des revenus en cause et de l’impact qu’ils peuvent avoir sur la position de Google et de ses concurrents sur ces marchés n’a été présentée. Par conséquent, pour ce qui concerne ces marchés, le Tribunal estime que c’est à juste titre que Google soutient que l’analyse des effets des pratiques en cause effectuée par la Commission a été purement spéculative et que, dès lors, ces effets ne sont pas prouvés. Par suite, la décision attaquée est annulée, mais dans la seule mesure où la Commission y a constaté une infraction aux articles 102 TFUE et 54 de l’accord EEE de Google LLC et d’Alphabet, Inc. dans treize marchés nationaux de la recherche générale au sein de l’EEE sur la base de l’existence d’effets anticoncurrentiels dans ces marchés, qu’elle n’a pas démontrée à suffisance (pts. 456-459).
Toutefois, le Tribunal relève que l’annulation partielle de la décision attaquée, limitée aux marchés de la recherche générale, n’a pas eu d’influence sur le montant de l’amende. Il constate en effet que la Commission, pour déterminer le montant de base de l’amende, n’a retenu comme valeur des ventes que des recettes publicitaires liées aux marchés de la recherche spécialisée pour produits (revenus liés aux annonces pour produits dans les Shopping Units, aux annonces pour produits sur la page spécialisée Google Shopping et aux annonces textuelles sur cette même page spécialisée), mais aucune recette publicitaire liée aux marchés de la recherche générale. Dès lors, l’annulation partielle de la décision attaquée pour le motif que la Commission a, à tort, constaté l’existence d’un abus de position dominante sur les marchés nationaux de la recherche générale n’a pas d’impact sur la valeur des ventes qui a été retenue (pt. 660), et donc sur le quantum de la sanction.
Pour le reste, le Tribunal reconnaît le caractère anticoncurrentiel de la pratique litigieuse : en favorisant son propre comparateur de produits sur ses pages de résultats générales par le biais d’une présentation et d’un positionnement privilégiés, tout en reléguant, dans ces pages, les résultats des comparateurs concurrents, par le biais d’algorithmes de classement, la conduite de Google est abusive et s’inscrit en dehors du champ de la concurrence par les mérites. La Commission a avancé à cet égard de nombreux éléments et, en particulier, trois critères tenant à l’importance du trafic généré par le moteur de recherche générale de Google pour les comparateurs de produits, au comportement des utilisateurs lorsqu’ils effectuent des recherches sur Internet et au caractère non effectivement remplaçable du trafic détourné (pt. 196).
Le Tribunal note également que, compte tenu de la vocation universelle du moteur de recherche générale de Google, qui est conçu pour indexer des résultats comprenant tous les contenus possibles, la promotion, sur les pages de résultats générales de Google, d’un type de résultats spécialisés, à savoir les siens, par rapport aux résultats spécialisés concurrents, revêt une certaine forme d’anormalité (pt. 176). En effet, un moteur de recherche générale est une infrastructure, en principe, ouverte, ce qui la distingue d’autres infrastructures visées dans la jurisprudence et constituées par des actifs corporels (systèmes de distribution de la presse) ou incorporels (droits de propriété intellectuelle) dont la valeur est fonction de la capacité de leur propriétaire à s’en réserver l’usage exclusif (pt. 177). À la différence de ces dernières infrastructures, la raison d’être et la valeur d’un moteur de recherche générale résident dans sa capacité à être ouvert aux résultats venant de l’extérieur, à savoir de sources tierces, et à afficher ces sources plurales et diverses sur ses pages de résultats générales, lesquelles sources enrichissent, crédibilisent ce moteur de recherche auprès du grand public et lui permettent de bénéficier d’effets de réseau et d’économies d’échelle essentiels à son développement et à sa subsistance, dans un marché où, par nature, peu d’infrastructures de la sorte peuvent subsister, compte tenu desdits effets de réseau (pt. 178).
Ensuite, le Tribunal estime que la présente affaire porte sur les conditions de fourniture par Google de son service de recherche générale par le biais de l’accès aux pages de résultats générales par les comparateurs de produits concurrents. Il indique, à cet égard, que la page de résultats générale de Google présente des caractéristiques qui la rapprochent d’une facilité essentielle en ce sens qu’il n’existe actuellement aucun substitut réel ou potentiel disponible permettant de la remplacer de façon économiquement viable sur le marché (pt. 224). Toutefois, le Tribunal confirme que toute problématique totale ou partielle d’accès, comme celle de l’espèce, à une telle facilité n’implique pas nécessairement d’être appréciée à la lumière des conditions applicables au refus de fourniture énoncées dans l’arrêt Bronner du 26 novembre 1998 (pt. 230), que Google invoquait au soutien de son argumentation. De fait, estime le Tribunal, n’est pas en cause, en l’espèce, un simple refus unilatéral de la part de Google de fournir aux entreprises concurrentes un service nécessaire pour exercer une concurrence sur un marché voisin, qui serait contraire à l’article 102 TFUE et qui légitimerait l’application de la théorie des « facilités essentielles », mais une différence de traitement contraire aux dispositions de cet article (pt. 238).
Par ailleurs, le Tribunal constate que le traitement différencié ne consiste pas en l’application de mécanismes de sélection de résultats de recherche différents pour traiter les résultats de recherche du comparateur de produits de Google et les résultats de recherche des comparateurs de produits concurrents, à savoir des mécanismes de sélection de résultats génériques pour les comparateurs concurrents et des mécanismes de sélection de résultats de recherche spécialisée pour son propre comparateur, mais en un traitement favorisé en termes de positionnement et de présentation de ses propres résultats spécialisés par rapport aux résultats des comparateurs de produits concurrents apparaissant dans les résultats génériques (pt. 284). Ainsi, relève le Tribunal, ce traitement différencié s’opère, en réalité, en fonction de l’origine des résultats, à savoir selon qu’ils proviennent de comparateurs concurrents ou de son propre comparateur. En réalité, Google favorise le dernier par rapport aux premiers et non un type de résultats par rapport à un autre (pt. 285). En effet, seuls les résultats de recherche spécialisée de Google peuvent figurer dans les « boxes » sur la page de recherche générale de Google, avec une présentation enrichie, et se soustraire aux rétrogradations opérées par les algorithmes d’ajustement (pt. 286). À l’inverse, les résultats des comparateurs concurrents, quand bien même ils seraient particulièrement pertinents pour l’internaute, ne peuvent jamais bénéficier d’un traitement similaire à celui des résultats du comparateur de Google, que ce soit au niveau de leur positionnement, dans la mesure où, du fait de leurs caractéristiques mêmes, ils sont enclins à être rétrogradés par les algorithmes d’ajustement et où les « boxes » sont réservées aux résultats du comparateur de Google, ou de leur présentation, les caractères enrichis et les images étant également réservés au comparateur de Google. Ainsi, même dans l’hypothèse où, malgré l’effet des algorithmes de rétrogradation, les résultats des comparateurs concurrents apparaissent, en raison de leur pertinence, sur la première page de résultats générale de Google, ils ne peuvent jamais figurer de manière aussi visible et attrayante que les résultats affichés dans les Product Universals (pt. 287). Or, une telle différence de traitement, loin d’être issue d’une différence objective entre deux types de résultats sur Internet, résulte d’un choix de Google de traiter moins favorablement les résultats des comparateurs concurrents que ceux de son propre comparateur, en leur appliquant une présentation et un positionnement moins visibles (pt. 288).
Google faisait encore valoir que la Commission n’aurait pas établi que les pratiques en cause avaient entraîné une baisse du trafic de ses pages de résultats générales vers les comparateurs de produits concurrents, laquelle serait uniquement imputable au jeu des algorithmes d’ajustement, de sorte qu’il n’y aurait pas de lien de causalité entre la promotion par Google de son propre comparateur de produits et l’effet identifié, à savoir une éviction des comparateurs concurrents en raison de la diminution du trafic provenant de ses pages de résultats générales. Pour le Tribunal, la Commission a constaté à juste titre des effets préjudiciables à la concurrence. Il note à cet égard qu’en substance, ce qu’a mis en cause la Commission, ce sont des pratiques conjuguées qui, d’une part, valorisaient le comparateur de produits de Google et, d’autre part, dévalorisaient les comparateurs de produits concurrents dans les pages de résultats générales de Google, de sorte que l’analyse des effets de ces pratiques conjuguées ne peut pas être effectuée en isolant les effets d’un aspect de ces pratiques de ceux de l’autre aspect de ces pratiques (pt. 372).
Rappelant que l’exploitation abusive d’une position dominante est une notion objective qui vise en particulier les comportements d’une entreprise en position dominante qui, sur un marché où, à la suite précisément de la présence de l’entreprise en question, le degré de concurrence est déjà affaibli, ont pour effet de faire obstacle, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale des produits ou des services sur la base des prestations des opérateurs économiques, au maintien du degré de concurrence existant encore ou au développement de cette concurrence (pt. 437), le Tribunal estime que la Commission devait démontrer des effets, au moins potentiels, dus au comportement incriminé de restriction ou d’élimination de la concurrence sur les marchés concernés, en tenant compte de toutes les circonstances pertinentes, notamment au regard des arguments avancés par Google pour contester que son comportement avait eu la capacité de restreindre la concurrence (pt. 441). En revanche, la Commission n’était pas tenue d’identifier des effets réels d’éviction (pt. 442) et encore moins la réalisation effective de conséquences possibles de l’élimination ou de la restriction de la concurrence (pt. 443). Concrètement, le Tribunal estime, s’agissant des marchés des services de comparaison de produits, que la Commission s’est appuyée sur des éléments concrets concernant non seulement les évolutions de trafic depuis les pages de résultats générales de Google vers les comparateurs de produits concurrents et vers celui de Google et, subsidiairement, vers les plateformes marchandes, mais également la part que représentait le trafic depuis les pages de résultats générales de Google dans l’ensemble du trafic des comparateurs de produits concurrents, pour en déduire, au terme d’une motivation argumentée, l’existence d’effets anticoncurrentiels potentiels sur les marchés nationaux des services de comparaison de produits (pt. 454).
Subsidiairement, Google avançait que la Commission n’avait pas pris en compte la pression concurrentielle exercée par les plateformes marchandes, alors qu’elles seraient des moteurs de la concurrence et de l’innovation sur les marchés des services de comparaison de produits.
Sur ce point, le Tribunal estime que la Commission a démontré à suffisance que les services de comparaison de produits offerts par les comparateurs de produits avaient des caractéristiques particulières les différenciant des services de comparaison de produits offerts par les plateformes marchandes, ou inversement, au point que les uns et les autres soient peu interchangeables et qu’il n’existe entre eux qu’une concurrence peu sensible. Ce faisant, il confirme l’analyse de la Commission selon laquelle ces plateformes ne sont pas sur le même marché (pt. 495). Soulignant qu’est en cause un marché biface, à savoir un marché où les offreurs répondent simultanément à deux demandes distinctes de demandeurs de type différent, d’une part, celle des internautes désireux de comparer les caractéristiques et les prix de produits avant de procéder ultérieurement à leur achat et, d’autre part, celle des personnes désireuses de vendre leurs produits qui alimentent les bases de données des offreurs en informations sur leurs produits aux fins d’une telle comparaison dans le but qu’ils soient achetés par les internautes, étant précisé que la transaction éventuelle entre les acheteurs et les vendeurs aura lieu, le cas échéant, sur un autre marché (pt. 473), le Tribunal constate que la Commission n’a pas réduit le marché des services de comparaison de produits concerné à sa seule face intéressant les internautes (pt. 474). Les deux faces du marché en cause ont ainsi bien été examinées par la Commission, en particulier pour la conduire à la conclusion que les plateformes marchandes ne participaient pas au même marché des services de comparaison de produits que les comparateurs de produits (pt. 476). Ainsi, l’usage de l’un ou de l’autre outil de recherche, du point de vue des internautes, apparaît différent, la consultation d’un comparateur de produits visant à obtenir une sélection d’offres de produits issues de l’ensemble du marché, tandis que la consultation du service de comparaison de produits d’une plateforme marchande ne vise qu’à obtenir une sélection d’offres émanant de cette seule plateforme, avec toutefois la possibilité de procéder immédiatement, au sein de cette sélection, à l’achat du produit recherché (pt. 486). Par ailleurs, le Tribunal approuve la constatation faite par la Commission selon laquelle les plateformes marchandes n’exercent qu’une concurrence peu sensible à l’égard des comparateurs de produits, et ce, tant dans son hypothèse principale dans laquelle elles ne font pas partie du même marché que dans son hypothèse subsidiaire dans laquelle elles font partie du même marché (pt. 507).
Dans son recours, Google soutenait encore que, lors de la procédure administrative, elle avait démontré avoir amélioré la qualité de son service proposé aux utilisateurs en affichant les Product Universals et que cela apportait une justification proconcurrentielle à son comportement.
Sur quoi, le Tribunal écarte l’existence d’éventuelles justifications objectives au comportement de Google. Non seulement son comportement, qui aurait amélioré la qualité de son service de recherche, n’a pas compensé son effet d’éviction mais en outre, le Tribunal rejette l’argument selon lequel des contraintes techniques auraient empêché Google d’assurer l’égalité de traitement au profit des comparateurs concurrents. Le Tribunal juge d’abord que, si les algorithmes d’ajustement des résultats génériques ou les critères de positionnement et de présentation des résultats spécialisés pour produits de Google peuvent représenter des améliorations du service qu’elle propose, à teneur proconcurrentielle, la Commission a souligné, à juste titre, que Google n’apportait aucun argument en ce qui concernait l’inégalité de traitement à cet égard entre les résultats de son comparateur de produits et ceux des comparateurs de produits concurrents (pt. 560). Sur ce point, il estime que la Commission démontre que le choix de Google de positionner et de présenter plus favorablement ses résultats pour produits que ceux de ses concurrents n’est pas meilleur pour la concurrence que la situation dans laquelle une égalité de traitement en la matière serait assurée. À cet égard, c’est à juste titre que la Commission indique douter que l’attente des internautes soit de trouver uniquement les résultats d’un seul moteur de recherche spécialisé sur des pages de résultats générales (pt. 562). Le Tribunal estime, d’autre part, que Google reste en défaut de démontrer des gains d’efficience liés à cette pratique qui compenseraient ses effets négatifs pour la concurrence. Notamment, il observe que Google ne démontre pas en quoi le deuxième aspect des pratiques contestées, à savoir la rétrogradation d’un nombre significatif de comparateurs de produits concurrents dans ses pages de résultats générales par des algorithmes d’ajustement, aurait pu générer des gains d’efficacité (pt. 567).
Enfin, le Tribunal, procédant à une nouvelle appréciation des faits, confirme le montant de la sanction. Google soutenait d’abord qu’aucune sanction ne devait lui être infligée, compte tenu du caractère inédit de l’analyse faite dans la décision attaquée à l’égard du comportement qui lui a été reproché. Sur quoi le Tribunal lui répond que, connaissant sa position dominante sur les marchés de la recherche générale dans l’EEE et favorisant dans ses pages de résultats générales son propre comparateur de produits par rapport à ses concurrents, alors que ce comportement revêtait une certaine forme d’anormalité, et que, connaissant également l’importance desdites pages comme source de trafic pour les comparateurs de produits, Google devait savoir que son comportement portait atteinte à l’égalité des chances entre les différents opérateurs économiques, garante d’un système de concurrence non faussée, et que ce comportement était susceptible d’évincer ses concurrents ou de restreindre la concurrence de leur part sur certains marchés de la recherche spécialisée pour les produits dans l’EEE, Google a néanmoins adopté de propos délibéré un comportement de portée anticoncurrentielle, qui était susceptible de constituer un abus de position dominante (pt. 616).
Google soutenait encore, pour contester la sanction pécuniaire à elle infligée, que, ayant entrepris dans un premier temps de traiter le dossier par une procédure d’acceptation d’engagements, ce qui supposerait que l’affaire ne se prêtait pas à sanction, la Commission ne pouvait pas en définitive lui infliger une telle sanction, même si elle avait décidé de revenir à une procédure classique de constat d’infraction (pt. 631). Sur ce point, le Tribunal répond qu’un tel choix procédural — celui de la procédure d’acceptation d’engagements — ne saurait constituer une assurance précise que la Commission ne reviendra pas à la procédure classique de constat d’infraction et qu’elle n’infligera pas une sanction (pt. 637). Par conséquent, la circonstance que la Commission ait estimé, à un certain stade de la procédure, que l’affaire pouvait le cas échéant être traitée par la procédure d’acceptation d’engagements ne l’empêchait pas d’infliger en définitive une sanction pécuniaire à Google après être revenue à une procédure classique de constat d’infraction (pt. 638).
Enfin, Google contestait le quantum de la sanction pécuniaire : la Commission aurait ainsi retenu un montant de la valeur des ventes inexact, une période d’infraction trop longue, un coefficient de gravité excessif, une majoration injustifiée normalement utilisée pour dissuader les ententes anticoncurrentielles, un coefficient de dissuasion supplémentaire également injustifié ainsi qu’un mauvais taux de change. En revanche, elle n’aurait pas tenu compte de circonstances atténuantes.
À cet égard, le Tribunal écarte une à une les objections soulevées : s’agissant de l’année de référence à prendre en compte, c’est à bon droit que la Commission a retenu l’année 2016, dernière année complète au cours de laquelle l’infraction a été constatée (pt. 661), et, partant à appliquer le bon taux de change (pt. 663). Il en va de même de la durée de l’infraction retenue pour chacun des pays concernés aux fins du calcul du montant de la sanction, qui ne doit pas être remise en cause (pt. 670). S’agissant du coefficient de gravité de 10 % retenu par la Commission, le Tribunal estime que la motivation de la Commission est insuffisante (pt. 676). Il lui substitue dès lors sa propre appréciation en tenant compte d’éléments supplémentaires. Ainsi, il relève que les pratiques d’éviction peuvent dans certaines circonstances être aussi graves que les ententes de fixation de prix, de répartition de marché ou de limitation de la production, justifiant généralement un coefficient de gravité « en haut de l’échelle » (pt. 678). Au surplus, le Tribunal relève que le comportement incriminé de Google a été adopté de manière délibérée en sachant qu’il pouvait conduire à évincer des concurrents et à restreindre la concurrence (pt. 680). Par suite, il estime qu’un coefficient de gravité, c’est-à-dire une proportion de la valeur des ventes, de 10 % doit être appliqué (pt. 682). Il considère en outre justifié d’appliquer un montant additionnel de 10 % de la valeur des ventes de l’année 2016 au titre de la dissuasion, identique à celui retenu par la Commission (pt. 690). Soulignant le caractère particulièrement grave de l’infraction, le Tribunal estime que le montant de la sanction pécuniaire infligée à Google doit être confirmé (pt. 704).
Pour le surplus, je vous renvoie à la lecture du communiqué de presse de la Tribunal.
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JURISPRUDENCE UE : Soutenant l’existence d’un effet direct de l'article 81, § 1, CE et de l'article 53, § 1, de l'accord sur l'EEE au profit des juridictions nationales, la Cour de justice de l’Union dit pour droit que les victimes du cartel du fret aérien peuvent se prévaloir de la violation de ces dispositions devant une juridiction nationale pour obtenir réparation, même pour la période antérieure à l’entrée en vigueur du règlement 1/2003 (pour les liaisons UE-pays tiers), au 19 mai 2005 (pour liaisons avec des pays tiers parties contractantes à l’EEE mais non membres de l’Union), et au 1er juin 2002 pour les liaisons UE-Suisse
Le 11 novembre 2021, la Cour de justice de l’Union a rendu son arrêt dans l’affaire C-819/19 (Stichting Cartel Compensation e.a.), à la suite de la demande de décision préjudicielle formée par le Tribunal d’Amsterdam.
La présente affaire s’inscrit dans les suites de la aux termes de laquelle cette dernière a réadopté une précédente décision annulée par le Tribunal de l’Union en raison d'un vice de procédure, et, ce faisant, sanctionné le cartel du fret aérien en infligeant à onze transporteurs des amendes pour un montant total de 776 465 000 EUR.
Les requérantes, deux sociétés créées spécifiquement afin de recouvrer les créances qu’elles ont acquises à titre de dommages‑intérêts auprès de victimes d’infractions au droit de la concurrence, préalablement constatées par les autorité de concurrence, ont engagé une action privée en réparation contre les transporteurs de fret aérien sanctionnés par la Commission devant le Tribunal d’Amsterdam. Mais comme elles demandent à la juridiction de renvoi de constater l’existence d’infractions commises au cours de la période allant de l’année 1999 à l’année 2006, C’est-à-dire antérieurement au 1er mai 2004 (pour les liaisons UE-pays tiers), au 19 mai 2005 (pour liaisons avec des pays tiers parties contractantes à l’EEE mais non membres de l’Union), et au 1er juin 2002 pour les liaisons UE-Suisse, périodes pendant lesquelles les autorités (administratives) des États membres étaient responsables de la mise en œuvre des principes (désormais) contenus à l’article 101 TFUE, par application du « régime transitoire » défini aux articles 104 et 105 TFUE, les requérantes fondent leurs demandes sur l’effet direct de l’article 101 TFUE pour établir la compétence de la juridiction nationale, pour les périodes litigieuses, indépendamment de la mise en œuvre administrative du droit de la concurrence.
La juridiction de renvoi — le Tribunal d’Amsterdam —, qui, s’estimant compétente pour appliquer l’article 101, § 1, TFUE et l’article 53, § 1, de l’accord EEE aux comportements en cause et pour les périodes litigieuses, nourrit cependant quelques doutes quant à sa compétence au regard notamment de l’arrêt rendu par les juridictions du Royaume‑Uni dans l’affaire La Gaitana Farms SA e.a./British Airways Plc, a décidé de surseoir à statuer et de soumettre à la Cour la question préjudicielle suivante :
« Le juge national est-il compétent, dans un litige opposant des parties lésées (en l’espèce, les expéditeurs, à savoir ceux qui achètent des services de fret aérien) à des compagnies aériennes, pour appliquer pleinement l’article 101 TFUE, ou du moins l’article 53 de l’accord EEE — soit en raison de l’effet direct de l’article 101 TFUE, ou du moins de l’article 53 de l’accord EEE, soit en vertu de l’effet immédiat de l’article 6 du règlement n° 1/2003 — aux accords/pratiques concertées des compagnies aériennes en ce qui concerne des services de fret sur des vols ayant été effectués, d’une part, avant le 1er mai 2004 sur des liaisons entre des aéroports situés à l’intérieur de l’Union et des aéroports situés en dehors de l’EEE et, d’autre part, avant le 19 mai 2005 sur des liaisons entre l’Islande, le Liechtenstein ou la Norvège et des aéroports situés en dehors de l’EEE, ainsi que sur des vols ayant été effectués avant le 1er juin 2002 entre des aéroports situés à l’intérieur de l’Union et la Suisse, et ce, également au cours de la période durant laquelle le régime transitoire prévu aux articles 104 et 105 TFUE était en vigueur, ou bien le régime transitoire s’y oppose‑t‑il ? »
En substance, la juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si les juridictions nationales peuvent appliquer l’interdiction énoncée à l’article 101, § 1, TFUE lorsque les pratiques anticoncurrentielles en cause ont eu lieu, pour l’essentiel, durant la période d’application du « régime transitoire ».
Les transporteurs de fret aérien sanctionnés soutenaient quant à eux que les juridictions nationales n’étaient pas compétentes pour appliquer l’article 101, § 1, TFUE et ce pour deux raisons. D’une part, le Conseil, agissant sur le fondement de l’article 103 TFUE, a limité le champ d’application ratione materiae de l’article 101 TFUE. Dès lors, le secteur du transport aérien n’a pas été pleinement soumis aux « principes » contenus dans cette disposition avant la date d’application du règlement n° 1/2003. D’autre part, en vertu du « régime transitoire », seule une autorité nationale de concurrence, et, dans certains cas, la Commission, pouvait prendre position sur la compatibilité d’un accord anticoncurrentiel avec l’article 101 TFUE. Compte tenu de ces limitations de l’article 101, § 1, TFUE, le principe d’homogénéité exige de limiter l’effet direct de l’article 53, § 1, de l’accord EEE de la même manière.
Au terme du présent arrêt, la Cour de justice de l’Union dit pour droit que les articles 81, 84 et 85 CE ainsi que l’article 53 de l’accord EEE doivent être interprétés en ce sens qu’une juridiction nationale est compétente pour appliquer l’article 81 CE et l’article 53 de l’accord EEE, dans un litige de droit privé relatif à une action en dommages et intérêts dont elle est saisie après l’entrée en vigueur du règlement n° 1/2003, aux comportements d’entreprises dans le secteur des transports aériens entre un État membre et un pays tiers autre que la Suisse qui ont eu lieu avant le 1er mai 2004, aux comportements d’entreprises dans le secteur des transports aériens entre un État membre et la Suisse qui ont eu lieu avant le 1er juin 2002 et aux comportements d’entreprises dans le secteur des transports aériens entre un pays de l’EEE qui n’est pas un État membre et un pays tiers qui ont eu lieu avant le 19 mai 2005, quand bien même aucune décision au titre de l’article 84 CE ou de l’article 85 CE n’aurait été adoptée en ce qui concerne ces comportements, pour autant que lesdits comportements étaient susceptibles d’affecter respectivement le commerce entre États membres et le commerce entre les parties contractantes à l’accord EEE.
Pour parvenir à cette conclusion, la Cour relève que le Conseil a, tout d’abord, adopté le règlement n° 17 puis a soustrait du champ d’application de ce règlement, par l’adoption du règlement n° 141, les restrictions de concurrence affectant directement le marché des services de transport (pt. 37). Dans un deuxième temps, il a adopté les règlements n°s 3975/87 et 3976/87, établissant les modalités d’application des articles 85 et 86 du traité CEE (devenus articles 81 et 82 CE) aux activités concernant directement la prestation de services de transports aériens, lesquels règlements ne s’appliquaient qu’aux transports aériens entre aéroports de l’Union (pt. 38), de sorte que, pour ce qui concerne les restrictions de concurrence qui affectent directement le marché des services de transports aériens entre les aéroports de l’Union et ceux des pays tiers, les dispositions prises en application de l’article 83, § 1, CE ne sont entrées en vigueur que le 1er mai 2004 (pt. 40), à la suite de l’adoption du règlement n° 1/2003, qui a étendu le champ d’application, respectivement, du règlement n° 3976/87 et du règlement n° 1/2003 aux transports aériens entre les aéroports de l’Union et ceux des pays tiers avec effet à ladite date (pt. 39). En conséquence, avant cette date, seuls les régimes de mise en œuvre des règles de concurrence prévus aux articles 84 et 85 CE étaient applicables à ces services (pt. 41).
Dès lors, et pour autant que les comportements en cause au principal qui ont eu lieu entre l’année 1999 et le 1er mai 2004 portaient directement sur les services de transports aériens entre les aéroports de l’Union et des pays tiers et étaient susceptibles d’affecter le commerce entre États membres, au sens de l’article 81, § 1, CE, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier, ces comportements relevaient non pas des dispositions prises en application de l’article 83 CE mais des seuls régimes de mise en œuvre des règles de concurrence prévus aux articles 84 et 85 CE (pt. 42). Il en va de même pour les comportements en cause au principal qui ont eu lieu entre l’année 1999 et la date d’entrée en vigueur de l’accord entre la Communauté européenne et la Confédération suisse sur le transport aérien, à savoir le 1er juin 2002, pour autant qu’ils portaient directement sur les services de transports aériens entre les aéroports de l’Union et ceux de la Suisse et étaient susceptibles d’affecter le commerce entre États membres, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier (pt. 43). À cet égard, la Cour rappelle que les transports aériens ont, au même titre que les autres modes de transport, été soumis aux règles générales des traités, y compris celles en matière de concurrence, dès l’entrée en vigueur de ceux-ci (pt. 45) et que le Conseil n’a pas fait usage de sa compétence résultant de l’article 83, § 2, sous c), CE pour limiter le champ d’application matériel de l’article 81 CE dans le secteur des transports aériens (pt. 46). Elle insiste également sur le fait que l’article 81, § 1, CE produit des effets directs dans les relations entre les particuliers et engendre des droits dans le chef des justiciables, que les juridictions nationales doivent sauvegarder (pt. 48), de sorte que ces dernières sont compétentes pour appliquer l’article 81 CE notamment dans des litiges de droit privé, cette compétence dérivant de l’effet direct de cet article (pt. 51). En outre, la Cour souligne le fait que la compétence des juridictions nationales n’est pas affectée par l’application des articles 84 et 85 CE dès lors qu’aucune de ces deux dispositions, lesquelles concernent la mise en œuvre administrative des règles de concurrence de l’Union respectivement par les autorités des États membres et par la Commission, ne limite l’application de l’article 81 CE par les juridictions nationales, notamment dans les litiges de droit privé (pt. 53). De sorte que le règlement 1/2003, loin d’instituer un nouveau régime de droit matériel applicable aux secteurs de l’économie dans lesquels il n’existait pas, avant l’entrée en vigueur de ce règlement, n’a fait que rappeler la compétence dont les juridictions nationales disposent en vertu de l’effet direct des articles 81 et 82 CE (pt. 54). Et comme, au cas d’espèce, la Commission a décliné sa compétente pour appliquer l’article 81, § 1, CE aux comportements en cause au principal, il y a aucun risque que la juridiction de renvoi prenne, en l’occurrence, une décision allant à l’encontre d’une décision adoptée par la Commission ou envisagée par celle-ci (pt. 58). La cour ajoute qu’en l’absence de limitation (pt. 66), au cas d’espèce, à l’exercice de la compétence ainsi conférée aux juridictions nationales, la circonstance, évoquée par la juridiction de renvoi, selon laquelle aucune décision au titre des articles 84 ou 85 CE n’a été adoptée en ce qui concerne ces comportements ne fait pas obstacle à ce que cette juridiction puisse appliquer l’article 81 CE auxdits comportements afin d’apprécier l’existence d’une infraction à ce dernier article et, le cas échéant, ordonner la réparation du préjudice qui en découle (pt. 67). Parallèlement, comme l’article 53 de l’accord EEE est en substance identique à l’article 81 CE et, partant, qu’il doit être interprété de la même manière que celui-ci, dans la mesure où les comportements en cause au principal sont susceptibles d’affecter le commerce entre les parties contractantes à l’accord EEE, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier, rien ne fait pas obstacle à ce que celle-ci puisse appliquer l’article 53 de l’accord EEE auxdits comportements afin d’apprécier l’existence d’une infraction à ce dernier article et, le cas échéant, ordonner la réparation du préjudice qui en découle (pt. 73).
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JURISPRUDENCE AIDES D'ÉTAT : La Cour de justice de l’Union confirme l’existence d’une surcompensation d’un concessionnaire d’autoroute dans l’affaire de l’élimination de la double taxation des poids lourds en Pologne
Le 11 novembre 2021, la Cour de justice de l’Union a rendu son arrêt dans l’affaire C‑933/19 (Autostrada Wielkopolska S.A. contre Commission européenne).
Elle y rejette le pourvoi introduit par l’entreprise concessionnaire de l’autoroute A 2, située entre Nowy Tomyśl et Konin en Pologne, contre l’arrêt rendu le 24 octobre 2019, par le Tribunal de l’union dans l’affaire T-778/17 (Autostrada Wielkopolska S.A. contre Commission européenne), rejetant dans son intégralité le recours introduit par ledit concessionnaire d’autoroute contre la décision de la Commission du 25 août 2017 qui concluait à l’existence d’une aide d’État incompatible avec le marché intérieur.
En l’occurrence, à la suite de son adhésion à l’Union européenne en 2004, la République de Pologne a dû éliminer la double taxation des poids lourds pour l’utilisation d’un même tronçon de route. Ainsi, à compter du 1er septembre 2005, les poids lourds titulaires d’une vignette (redevance d’usage des routes) pour emprunter les routes nationales en Pologne ont été exonérés de péages sur les autoroutes faisant l’objet de contrats de concession. La loi du 28 juillet 2005 et le contrat de concession imposaient à la République de Pologne une obligation de réparation en faveur de la requérante portant sur un montant équivalant seulement à la perte de recettes estimée et découlant de la modification de la loi. Or, la Commission a considéré que la méthode de compensation utilisé par la République de Pologne, reposant sur le taux de rendement interne escompté (TRI) de l’investissement de la requérante dans la section concernée de l’autoroute A 2, lequel devait rester au même niveau que celui auquel il aurait été en l’absence de modification de la loi, avait abouti à une surcompensation. Selon elle, la requérante aurait dû recourir aux prévisions de trafic et de recettes contemporaines disponibles, contenues dans l’étude WSA de 2004. Elle a constaté que, en comparaison avec l’étude WSA de 1999, utilisée par la requérante, l’étude WSA de 2004 contenait des données nettement plus basses concernant le trafic de véhicules des catégories 2 et 3 et des tarifs optimaux de péage effectif nettement plus faibles pour les véhicules des catégories 2, 3 et 4. Ainsi, la Commission a estimé que l’utilisation du modèle de perception effective du péage fondé sur l’étude WSA de 1999 avait débouché sur un TRI supérieur à celui auquel il était légitimement permis de s’attendre au moment de la modification de la loi, ce qui avait conduit à une compensation excessive sous la forme de paiements plus élevés pour le péage virtuel. Elle a estimé que, sur cette période, le trop-perçu s’élevait à environ 64,7 millions d’euros. Ayant été mise à disposition de la bénéficiaire de l’aide avant sa notification à la Commission, celle-ci a considéré que l’aide octroyée était illégale, qu’elle constituait une aide au fonctionnement, incompatible avec le marché intérieur, dès lors qu’elle n’avait pas contribué au développement régional et qu’elle devait être récupérée.
Dans son pourvoi contre l’arrêt du Tribunal, la requérante soulevait quatre moyens
Sur le premier moyen tiré de la violation du droit d’être associé à la procédure administrative, la requérante estimait avoir été privée de la possibilité de participer à la procédure formelle d’examen dans une mesure adéquate tenant compte des circonstances de l’espèce. Elle faisait notamment valoir que la République de Pologne, qui avait des intérêts non seulement divergents, mais également opposés à ceux de la requérante, avait soutenu durant la procédure administrative que la mesure notifiée, en tant qu’elle avait permis à la requérante de bénéficier d’une compensation excessive, constituait une aide d’État incompatible avec le marché intérieur. Dans ce contexte, il était particulièrement important que la Commission mette la requérante en mesure de présenter utilement des observations afin de garantir que les informations susceptibles de démontrer que la mesure notifiée n’était pas une aide d’État ou n’était pas une aide d’État incompatible avec le marché intérieur puissent être portées à la connaissance de la Commission.
Sur quoi la Cour estime que la requérante soutient à bon droit que le Tribunal a déformé son argumentation qui portait sur l’absence de possibilité pour elle de présenter ses observations sur les arguments de la République de Pologne (pt. 55) et, partant, que ce point est entaché d’une erreur de droit (pt. 57). Toutefois, la Cour relève immédiatement que le dispositif de l’arrêt du Tribunal apparaît fondé pour d’autres motifs de droit, de sorte qu’une telle violation n’est pas de nature à entraîner l’annulation de cette décision et qu’il y a lieu de procéder à une substitution de motifs. À cet égard, la Cour que l’omission par la Commission d’inviter les parties intéressées à présenter leurs observations sur un changement de régime juridique, telle l’entrée en vigueur au cours d’une procédure administrative en matière d’aides d’État de lignes directrices que cette institution entend appliquer dans une décision clôturant cette procédure, ne constitue pas une violation d’une formalité substantielle, raisonnement qui vaut a fortiori en l’occurrence, au regard de l’omission de permettre au bénéficiaire de la mesure examinée de prendre position sur des observations de l’État membre concerné relatives aux informations fournies par ce bénéficiaire (pts. 69-70), ce qui s’apparenterait à un débat contradictoire avec cet État membre devant la Commission (pt. 72). Ce faisant, la Cour accueille la demande de substitution de motifs de la Commission et rejette le premier moyen du pourvoi.
Sur les deuxième et troisième moyens, relatif respectivement au critère de l’investisseur privé et à l’existence d’un avantage économique, la Cour, examinant en premier lieu le contrôle opéré par le Tribunal de la mise en oeuvre du critère de l’investisseur privé, rappelle que si l’examen auquel la Commission doit, le cas échéant, se livrer ne saurait se limiter aux seules options que l’autorité publique compétente a effectivement prises en compte, mais doit nécessairement viser l’ensemble des options qu’un opérateur privé aurait raisonnablement envisagées dans une telle situation, elle n’est tenue de prendre en compte, en outre, des options qu’un opérateur privé n’aurait pas raisonnablement envisagées dans une telle situation (pts. 120-121). Relevant qu’au cas d’espèce, l’État membre se voyait dans l’obligation d’indemniser la requérante pour un dommage qui avait été causé à celle-ci dans le cadre de leurs relations contractuelles, le critère à retenir était bien celui d’un débiteur privé qui est redevable, dans le cadre d’une relation contractuelle, d’une somme d’argent à son cocontractant en raison d’un dommage qu’il lui a causé (pt. 123). Or, force est de constater qu’il n’est pas dans l’intérêt d’un débiteur privé de compenser son créancier pour des risques de change et d’inflation que ce créancier n’a pas fait valoir à son égard (pt. 124). Partant, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit lorsqu’il a considéré qu’un opérateur privé dans la situation de la République de Pologne n’aurait pas, en principe, accepté de verser un montant supérieur à celui qu’il devait à la requérante par suite de l’évènement dommageable en cause et, plus spécifiquement, qu’il n’y avait pas lieu de prendre en compte des risques pesant prétendument sur le concessionnaire dont il n’apparaît pas qu’ils aient fait l’objet d’une demande de ce dernier lors des négociations avec cet État membre ou qu’ils auraient autrement fait l’objet de leurs échanges (pt. 125). Par suite, il n’y a pas eu renversement de la charge de la preuve (pt. 126), non plus qu’une substitution de motifs (pt. 127).
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JURISPRUDENCE AIDES D'ÉTAT : Rappelant que l’obligation de notification, qui incombe aux seuls États membres, constitue l’un des éléments fondamentaux du système de contrôle des aides d’État, le Tribunal de l’Union estime, à propos du mécanisme français de rachat subventionné de l’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables, que le bénéficiaire d’une aide illégale ne peut pallier aux manquements de l’État membre en déposant une plainte dans le seul but d’obtenir de la Commission une décision de ne pas soulever d’objections
Le 10 novembre 2021, le Tribunal de l’Union a rendu un arrêt dans l’affaire T-678/20 (Solar Electric Holding e.a. contre Commission européenne).
Cette affaire concerne le mécanisme français de compensation intégrale, financé par une contribution au service public de l’électricité prélevée sur les consommateurs d’électricité, de l’obligation d’achat imposée par la loi française à EDF et aux distributeurs non nationalisés de l’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables, notamment l’énergie photovoltaïque, à un prix supérieur au prix du marché.
Au cas d’espèce, des entreprises chargées du développement et de la construction de projets de production d’électricité à partir de sources d’énergie photovoltaïque, respectivement, en Guyane et en Martinique, ont conclu avec EDF des contrats d’achat d’électricité sur le fondement des arrêtés tarifaires adoptés en application de la loi n° 2000-108, du 10 février 2000, relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité, qui a instauré ce régime de compensation intégrale. Par arrêt du 18 septembre 2019, la Cour de cassation, saisie de demandes d’indemnisation, a jugé que les mesures fondées sur les arrêtés tarifaires 2006 et 1/2010, mettant en œuvre un mécanisme d’obligation d’achat à un prix supérieur à celui du marché, constituaient des aides d’État illégales en ce qu’elles n’avaient pas été notifiées à la Commission européenne conformément à l’article 108, § 3, TFUE.
Afin de pallier le manquement de l’État français, à qui incombait, en principe, l’obligation de notifier ces aides, les bénéficiaires ont déposé plainte auprès de la Commission, sur le fondement de l’article 24, § 2, du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 TFUE, non pas, comme il est habituel, pour voir constater l’incompatibilité de la mesure d’aide, mais à l’inverse pour obtenir de la Commission une décision de ne pas soulever d’objections. De façon ultime, le but poursuivi par les plaignantes était, une fois obtenu décision finale de la Commission constatant la compatibilité de ladite aide avec le marché intérieur, de pouvoir se prévaloir du point 55 de l’arrêt C‑199/06 du 12 février 2008 (CELF et ministre de la Culture et de la Communication), en vertu duquel le juge national n’est pas tenu, en présence d’une telle décision, d’ordonner la récupération d’une aide mise à exécution en méconnaissance de l’article 108, § 3, TFUE (pt. 29).
Par lettre du 3 septembre 2020, la Commission a rejeté la plainte des requérantes en raison du fait que l’objet ne relève pas du champ d’application des articles 12, § 1, et 24, § 2, du règlement 2015/1589, dans la mesure où les plaignantes demandent à la Commission de se prononcer sur la compatibilité des régimes d’aide[s], comme si elles représentaient la France dans une procédure de quasi-notification.
Les bénéficiaires éconduits ont alors introduit un recours auprès du Tribunal, à l’appui duquel, elles invoquaient trois moyens, tirés, respectivement, le premier, d’une violation de l’article 24, § 2, du règlement 2015/1589, le deuxième, d’une violation de l’article 12, paragraphe 1, du même règlement et, le troisième, de l’obligation impartie à la Commission de faire appliquer le traité FUE.
Sur le premier moyen, tiré d’une violation de l’article 24, § 2, du règlement 2015/1589, s’il est vrai, ainsi que le reconnait lui-même le Tribunal (pt. 24), que la lettre des articles 1er et 24, § 2, du règlement 2015/1589, tend à établir que les bénéficiaires d’aides illégalement versées peuvent déposer une plainte auprès de la Commission, l’architecture du contrôle des aides d’État ainsi que l’économie du mécanisme des plaintes s’oppose, estime celui-ci, à une telle faculté.
Tout d’abord, le Tribunal rappelle que l’obligation de notification constitue l’un des éléments fondamentaux du système de contrôle des aides d’État mis en place par le traité FUE, qui établit un contrôle préventif sur les projets d’aides nouvelles institué par l’article 108, 6 3, TFUE et visant à ce que seules des aides compatibles avec le marché intérieur soient mises à exécution (pt. 25) et que cette obligation de notification incombe, en vertu de l’article 108, § 3, TFUE, qui institue un rapport bilatéral entre la Commission et les États membres, exclusivement sur ces derniers, de sorte que cette obligation ne saurait être considérée comme satisfaite en cas de notification faite par l’entreprise bénéficiaire de l’aide (pt. 26). Car admettre que le bénéficiaire d’une aide illégalement versée puisse saisir la Commission d’une plainte afin qu’elle constate la compatibilité de cette aide avec le marché intérieur n’aurait d’autre effet que de permettre à ce bénéficiaire de se substituer à l’État membre concerné, seul compétent pour notifier une mesure d’aide à la Commission (pt. 27). Admettre une telle faculté remettrait en cause le caractère fondamental et impératif de l’obligation de notification des mesures d’aide et de l’interdiction de leur mise en œuvre en vertu de l’article 108, § 3, TFUE, ainsi que de la sanction de principe qui est associée au manquement de l’État membre notamment à cette obligation de notification préalable, à savoir le remboursement de celle-ci (pt. 28). Par ailleurs, le Tribunal rappelle que les juridictions nationales doivent garantir aux justiciables que toutes les conséquences seront tirées d’une méconnaissance des obligations découlant de l’article 108, § 3, TFUE, conformément à leur droit national, en ce qui concerne tant la validité des actes comportant mise à exécution des mesures d’aide que le recouvrement des soutiens financiers accordés au mépris de cette disposition ou d’éventuelles mesures provisoires (pt. 30). À cet égard, comme les bénéficiaires d’une aide illégale peuvent saisir leurs juridictions nationales afin de voir sanctionné le refus explicite ou implicite de l’État dispensateur de cette aide de se conformer à son obligation de notification, il n’y a pas lieu de leur reconnaître le droit de déclencher, au moyen d’une plainte adressée à la Commission sur le fondement de l’article 24, § 2, du règlement 2015/1589, l’examen de la compatibilité de l’aide dans le but de la voir être autorisée, et cela, le cas échéant, contrairement à la volonté de l’État membre concerné, manifestée par l’absence de notification de la part de celui-ci (pt. 31). Il n’existe pas de droit subjectif à l’octroi d’une aide d’État dans le droit de l’Union, qui permettrait au bénéficiaire de se substituer aux compétences de l’État membre et procéder, de sa propre initiative, à une notification pour le compte de l’État membre dans le but d’obtenir par celle-ci une décision autorisant la mise en œuvre d’une aide non notifiée (pt. 32).
Quant à l’économie du mécanisme des plaintes et le droit de déposer une plainte auprès de la Commission, le Tribunal observe que le but de l’article 24, § 2, du règlement 2015/1589 est d’informer la Commission de toute aide présumée illégale, tandis que l’article 12, § 1, du règlement 2015/1589, qui vise à protéger les droits de défense de l’État membre concerné, implique que la décision faisant suite et droit à une plainte est destinée à lui être défavorable et, partant, à constater l’incompatibilité de l’aide ayant fait l’objet de la plainte (pt. 34). Par suite, le mécanisme de plainte vise à identifier les aides incompatibles avec le marché intérieur. Du reste, le plaignant doit indiquzr « les raisons pour lesquelles, selon lui, l’aide d’État présumée n’est pas compatible avec le marché intérieur » (pt. 35). Dès lors, bien que les bénéficiaires soient considérés comme des « parties intéressées » à l’article 1er, sous h), du règlement 2015/1589, l’économie du mécanisme de plainte s’oppose à ce que celui-ci soit utilisé par les parties ayant, comme notamment les bénéficiaires de l’aide dénoncée, un intérêt au constat de compatibilité de cette aide par la Commission (pt. 37). Ainsi, le champ d’application de l’article 24, § 2, du règlement 2015/1589 est circonscrit aux plaintes qui visent à dénoncer des aides illégales que les plaignants considèrent comme incompatibles avec le marché intérieur. Partant, il ne couvre pas les plaintes par lesquelles les plaignants soutiennent qu’une aide est compatible avec le marché intérieur et devrait, pour cette raison, être autorisée par la Commission, de sorte que les bénéficiaires d’une aide illégale ne sauraient s’appuyer sur l’article 24, § 2, du règlement 2015/1589 pour déposer une plainte visant une aide illégale dont ils bénéficient directement ou indirectement, et cela dans le but de faire adopter par la Commission une décision constatant la compatibilité de cette aide (pt. 38).
Par suite, la Commission n’a pas commis d’erreur de droit en constatant que la plainte introduite par les requérantes ne relevait pas du champ d’application de l’article 24, paragraphe 2, du règlement 2015/1589. Dès lors, le premier moyen est rejeté comme non fondé (pt. 40). En outre, comme la plainte introduite par les requérantes n’invoque pas une violation de l’article 107, § 1, TFUE et ne relève pas du champ d’application de l’article 24, § 2, dudit règlement, le Tribunal, rejetant le deuxième moyen, en déduit que la Commission n’était pas dans l’obligation de procéder à l’ouverture de la phase d’examen préliminaire conformément à l’article 12, § 1, dudit règlement (pt. 43).
Quant au troisième moyen tiré de l’obligation impartie à la Commission de faire appliquer le traité FUE, les requérante reprochait à cette dernière son inertie, estimant que l’absence de prise de position de la Commission sur la compatibilité des aides en cause équivaudrait à un déni de justice, car cette absence créerait un vide juridique que les articles 107 à 109 TFUE ainsi que le règlement 2015/1589 entendraient éviter (pt. 47).
Sur quoi, le Tribunal rappelle que, si la Commission a une compétence exclusive pour apprécier la compatibilité de mesures d’aide avec le marché intérieur, le droit de l’Union n’impose pas une obligation absolue pour la Commission de procéder à une appréciation de la compatibilité d’une aide non notifiée dès qu’elle en est informée (pt. 49). C’est notamment le cas lorsque que la mesure d’aides litigieuse n’a pas été notifiée et que la plainte introduite par les requérantes ne relève pas du champ d’application de l’article 24, § 2, du règlement 2015/1589. Dans ces conditions, la Commission n’était pas tenue de procéder à un examen des mesures d’aide susmentionnées. Dès lors, l’absence de décision de sa part à l’égard de ces mesures d’aide ne saurait constituer un déni de justice susceptible de créer un vide juridique (pt. 41).
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JURISPRUDENCE OVS : La Chambre criminelle de la Cour de cassation approuve le rejet par le premier président d'une demande indifférenciée d'annulation des OVS ne désignant pas précisément les documents couverts par la confidentialité des relations entre l'avocat et son client
Le 4 novembre 2021, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu un arrêt dans l’affaire des opérations de visites et saisies (OVS) réalisées en octobre 2017 notamment dans les locaux du Conseil supérieur du notariat (CSN) et de l'Association pour le développement du service notarial (ADSN) a la suite d’une autorisation du juge des libertés et de la détention (JLD) du Tribunal de grande instance de Paris à la demande des services d’instruction de l'Autorité de la concurrence.
Le CSN, l'ADSN et ses filiales ont formé un recours devant le premier président de la Cour d'appel de Paris contre le déroulement desdites opérations de visites domiciliaires. La déléguée du premier président a déclaré régulières les OVS, suivies de la réunion du 14 novembre 2017 dans les locaux de l'ADSN, suite à l'ordonnance sur commission rogatoire du JLD d'Aix-en-Provence du 3 octobre 2017, en dépit du fait que l'ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence agissant sur commission rogatoire, ne comportait pas la signature du magistrat.
En réponse au troisième moyen des requérantes tiré de cette irrégularité, la Chambre criminelle de la Cour de cassation retient en substance que le premier président, qui a relevé d'une part qu'une expédition certifiée conforme par le greffier de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention avait été produite au début de la visite, d'autre part que l'inexistence de cette ordonnance pour défaut de signature n'était pas établie, n'a pas méconnu les textes visés au moyen et a justifié sa décision.
Par leur quatrième moyen, les requérantes faisaient valoir qu'à défaut de pouvoir prévenir la saisie de documents relevant de la confidentialité qui s'attache aux relations entre un avocat et son client, les personnes visitées doivent pouvoir faire apprécier a posteriori et de manière concrète et effective leur régularité, et contestaient le refus qui leur avait été opposé de « procéder à la suppression des documents relevant manifestement de la protection légale quand bien même ils ne ressortiraient pas des listings remis à l'Autorité », et ce, au moment de la constitution des scellés définitifs. Selon elles, la conseillère déléguée par le premier président de la cour d'appel était tenue d'analyser in concreto les documents produits afin de s'assurer qu'il ne subsiste pas dans les scellés définitifs des documents couverts par le secret professionnel.
Sur quoi, la Chambre criminelle de la Cour de cassation répond, d'une part, que c'est à bon droit que le premier président, saisi par les conclusions des appelants d'une contestation relative à l'examen des scellés provisoires effectué alors que les opérations de visites domiciliaires n'étaient pas terminées, et qui à ce titre relevait du contrôle du juge des libertés, a constaté que ce magistrat avait rempli son office, et d'autre part, qu’il ne ressort pas des conclusions déposées devant lui qu'il était saisi par les appelants d'une demande d'annulation de saisies désignant précisément les documents que ceux-ci estimaient couverts par la confidentialité des relations entre l'avocat et son client, mais seulement d'une demande indifférenciée d'annulation de l'ensemble des opérations de visites et saisies.
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JURISPRUDENCE CONTRÔLE DES CONCENTRATIONS : Le Conseil d’État confirme en tous points l’analyse de l’Autorité de la concurrence autorisant dès la phase I mais sous conditions la création de l’entreprise commune de plein exercice Salto et juge suffisants les engagements souscrits par France Télévisions, TF1 et M6 visant à prévenir les risques de coordination entre sociétés mères
À la faveur d’une décision rendue le 8 novembre 2021, le Conseil d’État a finalement validé en tous points l’analyse de l’Autorité de la concurrence autorisant sous conditions en phase I la création de l’entreprise commune de plein exercice Salto. Ce faisant, il rejette dans leur intégralité les requêtes des sociétés Free et Iliad, ainsi que les conclusions présentées par la société Molotov dans le cadre d’une intervention incidente jugée recevable.
En substance, les sociétés Free et Iliad demandaient l'annulation de la décision n° 19-DCC-157 du 12 août 2019 aux termes de laquelle l’Autorité de la concurrence avait autorisé, dès la phase I, la création, par les groupes France Télévisions (FTV), TF1 et Métropole Télévision (M6), de l’entreprise commune de plein exercice Salto qui a pour activité, dans le cadre d’offres payantes, d’une part, la distribution de services de télévision et de médias audiovisuels à la demande et, d’autre part, l’édition d’une offre de vidéo à la demande par abonnement, ces offres étant diffusées sur internet « over the top » (OTT).
S’agissant d’abord de la légalité externe de la décision attaquée, le Conseil d’État confirme premièrement que l’Autorité n’étaient pas tenue de transmettre un projet de décision aux requérantes, tiers à l’opération de concentration, aux fins de les mettre en mesure de présenter leurs observations (pt. 3), deuxièmement qu’elle n’était pas tenue de procéder à un examen approfondi de l’opération et qu’elle pouvait se contenter de subordonner son autorisation au terme de la phase I à la réalisation effective d'engagements pris par les parties, pour autant que ceux-ci soient de nature à garantir le maintien d'une concurrence suffisante sur les marchés affectés par l'opération (pt. 4) et troisièmement qu’elle avait suffisamment motivé sa décision au regard des exigences de l'article L. 430-5 du code de commerce (pt. 5).
S’agissant ensuite de la légalité interne de la décision attaquée, le Conseil d’État confirme d’abord que l’opération en question — la création d'une entreprise commune accomplissant de manière durable toutes les fonctions d'une entité économique autonome — relevait bien du contrôle des concentrations (pt. 7) et, partant, que l’Autorité ne pouvait analyser les effets de cette opération au regard des règles générales du droit de la concurrence, et plus particulièrement au regard des dispositions de l'article 101 TFUE ou de celles des articles L. 420-1 et L. 420-4 du code de commerce relatives à la répression des pratiques anticoncurrentielles (pt. 9).
Le Conseil d’État valide ensuite la délimitation des marchés pertinents à laquelle est parvenue l’Autorité, s’agissant d’abord des marchés aval de la distribution de services de télévision. En effet, une segmentation plus fine des marchés avals de la distribution en fonction du type de contenus, permettant d’identifier un marché spécifique de la distribution de films d'expression originale française (EOF), ne serait pas justifiée, dans la mesure où, sur ce marché, que ce soit pour les consommateurs ou pour les distributeurs, de tels contenus ne s'avèrent pas insuffisamment substituables aux autres contenus distribués (pt. 12). Le Conseil approuve aussi l’Autorité de n'avoir pas identifié un marché distinct de la distribution au détail de la télévision gratuite, en l'absence de relations commerciales entre les distributeurs et les consommateurs finaux de télévision gratuite, de sorte qu’elle pouvait se borner à apprécier les effets de l'opération qui lui était soumise sur les marchés aval, à analyser ces effets dans le cadre du marché de la publicité et du marché de la vente de données, d'ou provient l'essentiel des revenus des distributeurs de services de télévision gratuite (pt. 13). De même, le Conseil estime que l'Autorité de la concurrence n’a pas commis d’erreur d'appréciation en ne retenant pas l’existence d'un marché de la distribution de télévision payante sur Internet dite « over-the-top », dès lors que les offres de télévision payante « OTT » exercent une pression concurrentielle croissante sur les offres de télévision payante distribuées selon des modes de diffusion classiques (pt. 14). Enfin, l'Autorite de la concurrence pouvait laisser ouverte la question du maintien d'une segmentation entre la distribution de la télévision linéaire et non linéaire, du fait de la perméabilité croissante entre l'une et l'autre (pt. 15).
Quant aux marchés relatifs à l'activité de commercialisation des données, le Conseil d’État estime que l'Autorité de la concurrence pouvait procéder à l'analyse des effets de l’opération sur le marché global de la vente de données et au marché spécifique de la vente de données de consommation audiovisuelle, sans segmenter davantage ce dernier, dès lors que rien n’indique que ces données ne seraient pas substituables entre elles ou aux autres données relatives a la consommation audiovisuelle recueillies par des tiers (pt. 17).
S’agissant à présent de l’analyse concurrentielle conduite par l’Autorité, le Conseil d’État rappelle dès l’abord que l'analyse de l'éventuelle contribution de l'opération au progrès économique ne saurait intervenir que lorsque l'opération fait l'objet d'un examen approfondi, ce qui n’est pas le cas en l’espèce (pt. 19). Le Conseil approuve ensuite la prise en compte par l’Autorité du périmètre de l'activité de Salto et de son évolution prévisible, notamment au regard de la chronologie des médias (pt. 20). De même, estime le Conseil, c'est sans erreur d'appréciation que l'Autorité de la concurrence a estimé que les marchés de l'acquisition des droits sportifs et des films de cinema [EOF] récents n'étaient pas affectés par l’opération, dans la mesure où ces droits, compte tenu de leur coût très élevé, étaient hors de portée des moyens de Salto (pts. 21-22). S’agissant toujours de l'acquisition des droits sportifs, le Conseil d’État considère que l’Autorité n’avait pas à examiner les effets verticaux découlant de la position forte des sociétés mères de Salto, en amont, sur le marché de l'acquisition de droits sportifs et de la présence de Salto, en aval, sur le marché de la distribution de services de télévision, dès lors notamment que les sociétés mères ne détenaient, prises ensemble, pas plus de 25 % des parts de marché, sur le marché amont de l'acquisition de droits (pt. 24).
Le Conseil d’État a alors examiné les moyens tirés de l’insuffisance des engagements souscrits au regard de ce qu'exige le maintien d'une concurrence suffisante sur les marchés affectés par l'opération.
S’agissant en premier lieu de la prévention des risques de coordination entre les sociétés mères du fait de la création de Salto, on se souvient que l’Autorité avait constaté, au terme de son analyse concurrentielle, que l’opération était de nature à renforcer la transparence entre les sociétés mères, ou entre les sociétés mères et Salto, sur les marchés de l’acquisition de droits de diffusion de contenus audiovisuels et de l’édition et la commercialisation de chaînes de la TNT en clair, et dans une moindre mesure, de chaînes payantes. Compte tenu de la position des sociétés mères sur ces marchés, la transparence résultant de l’opération était de nature à faciliter une coordination entre FTV, TF1 et M6, ainsi qu’entre ces dernières et leur filiale commune. Afin de répondre à cette préoccupation de concurrence, les sociétés mères s’étaient engagées à mettre en place un ensemble de garanties structurelles, individuelles et collectives, destinées à encadrer les échanges d’informations entre Salto et ses sociétés mères (pt. 30). Les requérantes soutenaient que les engagements souscrits étaient insuffisants pour garantir le maintien d'une concurrence effective sur les marchés affectés par l’opération. Selon Jamal Henni, commentant la présente affaire et le contexte dans lequel elle s'inscrit dans un article intitulé « La justice valide la création de Salto » paru le 8 novembre 2021 dans le magazine Capital, le rapporteur public, Laurent Cytermann, n’aurait pas été indifférent aux arguments des requérantes, invitant même le Conseil à annuler partiellement la décision de l’Autorité.
À l’inverse, le Conseil d’État juge suffisants les engagements souscrits, y compris pour ce qui concerne la prévention des risques de coordination entre les sociétés mères du fait de la création de Salto. Bref, pour lui, la muraille de Chine érigée autour de Salto est suffisante pour prévenir les risques de coordination identifiés. Ainsi, relève-t-il que ces engagements permettent, pour toute la durée de vie de Salto et dès sa création, de limiter strictement la possibilité pour les sociétés mères d'échanger des informations sensibles relatives à l'acquisition de droits de diffusion et à la distribution de services audiovisuels par le biais de leurs représentants au sein du conseil de surveillance ou de leurs anciens collaborateurs recrutés par Salto. Il rappelle à cet égard que la méconnaissance des accords de confidentialité est constitutive d'une faute professionnelle et qu’il existe d’autres garanties encadrant les échanges d'informations sensibles au sein du conseil de surveillance (pt. 31).
Le Conseil d’État parvient à la même conclusion s'agissant de la prévention des effets anticoncurrentiels identifiés sur les marchés de l’acquisition des droits de diffusion, au regard des engagements relatifs aux achats couplés entre droits linéaires et droits non linéaires par les sociétés mères. À cet égard, le Conseil estime qu'il aurait été disproportionné d'étendre cet engagement en excluant les achats groupés y compris lorsque les droits de diffusion non linéaire et linéaire d'un même contenu portent sur la même période, dès lors que, compte tenu de la pratique d'achats « tous droits » développée par l'ensemble des plateformes pour s'assurer une exclusivité provisoire sur certains contenus, une telle extension aurait empêché les mères de s'adapter à une pratique du marché préexistante à l’opération (pt. 34). De la même façon, le Conseil estime que les engagements relatifs aux achats de droits non linéaires par Salto auprès des sociétés mères sont suffisants pour prévenir les risques d'une dégradation de la situation concurrentielle sur le marché des droits de diffusion de ces contenus (pt. 36). Il en va de même des engagements relatifs à la levée de clauses de « holdback » et l'exercice d’un droit de préemption et de priorité, et ce afin de prévenir les risques de verrouillage, par les sociétés mères, de l'accès aux droits de diffusion non linaire de contenus audiovisuels et cinématographiques EOF et des programmes de flux par l’exercice, au bénéfice de Salito, de clauses dites de « holdback » par lesquelles l'ayant-droit s'engage à ne pas commercialiser des droits non linéaires d'un programme auprès d'un tiers autre que l'éditeur pendant une période déterminée et de claμses de priorité et de préemption. Pour le Conseil, les quotas retenus fixés dans la décision querellée permettent aux concurrents de la nouvelle entité de formuler des demandes de levée de clauses de « holdback » sur une quantité non négligeable de contenus EOF et de programmes de flux et d'acquérir ainsi des droits de diffusion non linéaire de ces contenus dans des conditions garantissant le maintien d'une concurrence suffisante sur le marché (pt. 38).
S'agissant encore de la prévention des effets anticoncurrentiels identifiés sur les marchés de l’édition et de la commercialisation des chaine de télévision, le Conseil d’État relève que la pratique contestée des offres groupées, liant la reprise des chaines et les services associés, préexistaient à l'opération soumise au contrôle de l'Autorité de la concurrence. Dès lors qu'il incombe seulement à celle-ci, dans le cadre de ce contrôle, de veiller au maintien d'une concurrence suffisante, mais non de subordonner son accord à des engagements permettant de restaurer un niveau de concurrence supérieur à celui existant avant l'opération, c'est sans erreur d'appréciation qu'elle a estimé qu'il serait disproportionné d'imposer aux sociétés mères de proposer les offres dissociées réclamées par les sociétés requérantes (pt. 41).
En fin de compte, le Conseil d’État estime que la société Free et la société Iliad ne sont pas fondées à demander l'annulation de la décision de l'Autorité de la concurrence du 12 août 2019.
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INFOS : Aux termes d’un examen partiel et à charge, l’Autorité de la concurrence sanctionne le fabricant de matériels de vidéosurveillance Mobotix et trois de ses huit grossistes, d'abord, pour une pratique de prix imposés et, ensuite, pour une pratique de limitation de la revente en ligne des produits de Mobotix par les distributeurs
Le 8 novembre 2021, l’Autorité de la concurrence a rendu une décision n° 21-D-26 à la faveur de laquelle elle sanctionne à hauteur de 1,4 million d’euros le fabricant de matériels de vidéosurveillance de marque Mobotix et trois de ses huit grossistes pour avoir mis en oeuvre, pendant 7 ans, de 2012 à 2019, deux ententes verticales, la première pour imposer aux revendeurs le respect de prix « conseillés » et la seconde visant, selon elle, à limiter la revente en ligne des produits de Mobotix par les distributeurs.
S’agissant en premier lieu des ententes verticales sur les prix, Mobotix communiquait à ses grossistes et à leurs clients revendeurs des prix dits « conseillés », par la diffusion de listes de prix comprenant un prix de revente au détail auprès de ses partenaires (pt. 175), mais également via son site Internet (pt. 176). En s’appuyant sur un ensemble de stipulations contractuelles, Mobotix s’est entendue avec ses trois grossistes ACTN, BE IP et EDOX pour que ces derniers affichent des prix correspondant aux prix conseillés et s’engagent à les faire respecter par leurs clients, les revendeurs (pt. 179). Les contrats de distribution conclus par le fabricant avec trois de ses grossistes en 2012 constituent, selon l’Autorité, des preuves directes, au sens de la pratique décisionnelle et de la jurisprudence, permettant d’établir l’existence d’un accord de volontés entre Mobotix et lesdits distributeurs pour leur interdire la communication de prix en dessous du niveau de prix de détail diffusé par la tête de réseau et pour que ces derniers s’assurent que cette obligation soit respectée par leurs clients revendeurs-installateurs. En conséquence, les prix de détail diffusés par Mobotix ne revêtaient pas le simple caractère de prix conseillés, mais avaient vocation à être appliqués par les revendeurs-installateurs (pt. 181). Sous couvert de veiller à la cohérence de l’information relative à ses produits, le fabricant a cherché à harmoniser les prix de revente de ses produits sur le marché de détail et limité l’incitation des revendeurs à se livrer une concurrence par les prix sur la revente de ses produits. Mobotix a ainsi conféré aux prix de revente au détail minimums communiqués aux distributeurs le caractère de prix imposés (pt. 196). À cet égard, les grossistes étaient incités contractuellement à respecter les stipulations relatives à la communication des prix, via des remises (pt. 202).
Selon l’Autorité, Mobotix s’appuyait également sur un programme de partenariat avec les grossistes visant à garantir la stabilité de leurs marges (pt. 184).
L’affirmation par l’Autorité que les contrats de distribution conclus par Mobotix avec trois de ses grossistes en 2012 constituent des preuves directes d’un accord de volontés est ici fondamentale, dans la mesure où cette facilité procédurale dispense l’Autorité de procéder à l’examen de preuves additionnelles de nature comportementale et d’examiner les autres éléments retenus par les services d’instruction (pt. 184). Bref, l’Autorité n’est pas tenue de réunir un faisceau d’indices articulé en trois branches pour démontrer l’existence d’une entente verticale sur les prix. En somme, elle est dispensée de recourir à des preuves indirectes ou comportementales, constitutives d’un faisceau d’indices graves, précis et concordants, impliquant la caractérisation d’une application significative ou effective par les distributeurs des prix conseillés par le fournisseur.
Les mis en cause faisaient pourtant valoir que les produits Mobotix ne sont pas vendus au consommateur mais intégrés dans un projet d’installation qui comprend un ensemble de prestations, de sorte que le prix des produits eux-mêmes n’est pas déterminant dans le choix final du consommateur (pt. 188). Ils faisaient également valoir que la clause 12.5 des contrats conclus en 2012 entre Mobotix et trois de ses huit distributeurs n’était pas assortie d’un mécanisme de sanctions (pt. 205). Dans les deux cas, l’Autorité écarte les objections d’un revers de la main : la circonstance que les produits Mobotix soient intégrés dans un projet d’installation n’exclut pas qu’ils soient choisis en fonction de leur prix et, partant, ne remet pas en cause l’intérêt d’une liberté dans l’affichage des prix. En effet, les prix des équipements représentent une part substantielle du coût total supporté par le client (pt. 215). Reste que l’Autorité ne fait aucun cas de la possibilité pour l’installateur de moduler les postes de coûts liés à leur prestation d’installation et non le prix des produits des Mobotix, ne serait-ce que faire face à la concurrence des autres marques présentes sur le marché. Quant à l’absence de mécanisme de sanction, l’Autorité se contente de répondre que les clauses présentent un caractère impératif et que, de toute façon, la jurisprudence n’impose pas aux autorités de concurrence d’établir l’existence d’un mécanisme de surveillance ou de sanctions pour démontrer une entente verticale sur les prix (pts. 206-207). Facilité procédurale quand tu nous tiens !
Retenant qu’en exigeant une harmonisation des informations de prix publiées par la quasi-totalité de ses distributeurs au stade de la vente en gros et par leurs clients revendeurs-installateurs au stade de la vente au détail, Mobotix a cherché à obtenir une uniformité des communications relatives aux prix de ses produits sur toute la chaîne de valeur et sur la totalité du territoire français, impliquant ainsi une diminution de la concurrence intra-marque entre grossistes et entre revendeurs-installateurs (pt. 219), l’Autorité conclut que de telles pratiques sont considérées comme anticoncurrentielles par leur objet même (pt. 220).
S’agissant en second lieu des ententes verticales sur la limitation de la vente en ligne, l’autorité use de la même facilité procédurale tenant à ce qu’elle qualifie de « preuves directes » suffisant à établir la réalité d’une entente pour interdire aux détaillants la vente en ligne. Ainsi, selon l’Autorité, les contrats conclus par Mobotix avec trois de ses huit grossistes contiennent un ensemble de stipulations imposant aux distributeurs de ne sélectionner, dans le cadre de l’application du « Programme Partenaire Mobotix », que les revendeurs qui ne commercialisent pas la majorité de leurs produits en ligne (pt. 249). Si l’on comprend bien les distributeurs pouvaient être sélectionné pour autant qu’ils ne réalise moins de 50 % de leurs ventes en ligne, ce qui leur laissaient la possibilité contractuellement d’écouler jusqu’à 50 % des produits contractuels en ligne. Les grossistes devaient seulement s’assurer que les revendeurs sélectionnés n’aient « pas de boutique en ligne comme activité principale » (pt. 272). Pourtant, l’Autorité laisse entendre à plusieurs reprises que les revendeurs ne pouvaient être sélectionnés dès lors qu’ils pratiquaient des ventes en ligne (pts. 266, 275, 276, 277). Ce qui n’est pas tout à fait la même chose que de jouir de la possibilité d’écouler jusqu’à 50 % des produits contractuels en ligne…
Ce qui n’empêche pas l’Autorité de conclure que les clauses des contrats de distribution de Mobotix et les différents documents précités concourent à mettre en œuvre une restriction de la liberté des distributeurs AMD de sélectionner des revendeurs qui pratiqueraient la vente en ligne. Une telle restriction est prohibée par les articles 101, § 1, du TFUE et 420-1 du code de commerce, qu’elle vise à la sélection de revendeurs qui n’ont pas une activité majoritairement en ligne (au sens des clauses des contrats de distribution de Mobotix), ou à celle des partenaires qui n’ont aucune activité de vente en ligne (au sens de certains des documents extracontractuels recueillis au cours de l’enquête). Visiblement, pour l’Autorité, qu’il y ait interdiction pure et simple de la revente en ligne ou que les distributeurs puissent écouler jusqu’à 50 % des produits contractuels en ligne est, du point de vue juridique, parfaitement identique.
L’affirmation ne laisse pas de surprendre. D’autant que l’Autorité relève elle-même, au stade de l’appréciation du dommage à l’économie, que le marché français des produits de vidéosurveillance n’a pu être affecté que de façon limitée, dans la mesure où les ventes en ligne propre à ce secteur sont très réduites comme en témoignent les déclarations des revendeurs (pt. 409). Par suite, sur un marché où les ventes en ligne sont peu développées, la possibilité d’écouler jusqu’à 50 % des produits contractuels en ligne est loin d’être négligeable et, en tout état de cause, ne devrait pas être traitée de la même façon qu’une interdiction pure et simple de revendre en ligne. Reste que l’Autorité ne se pose pas la question de savoir pourquoi sur le marché en cause les ventes en ligne sont peu développées. L’explication tiendrait selon les mis en cause au fait que les produits Mobotix doivent faire l’objet d’une installation, de sorte que la vente en ligne ne constituerait pas un canal adéquat pour leur commercialisation (pt. 409). L’Autorité préfère ignorer l’objection… De même qu’elle préfère écarter l’explication selon laquelle les stipulations incriminées constitueraient non pas une limitation des ventes en ligne des revendeurs-installateurs mais une interdiction faite aux grossistes de vendre les produits Mobotix à des revendeurs disposant uniquement d’une boutique en ligne, bref aux « pure players » du type Amazon, Ebay et Cdiscount (pt. 290). À l’inverse, l’Autorité s’évertue à considérer que les quelques ventes réalisées sur les sites de ces « pure players » atteste de la possibilité de vendre en ligne des produits Mobotix sans qu’une installation soit nécessaire (pt. 287).
Ce faisant, l’Autorité refuse le bénéfice d’une exemption sur le fondement de l’article 2 du règlement européen sur les accords verticaux n° 330/2010 et notamment le bénéfice de l’exception portant sur la liberté des fournisseurs d’exiger de leurs distributeurs qu’ils disposent d’un ou plusieurs points de vente physiques pour faire partie du réseau de distribution (point 54 des lignes directrices sur les restrictions verticales), excluant ainsi les « pure players » opérant uniquement en ligne (pt. 293). Pourtant, une lecture avisée du fonctionnement du marché aurait conduire l’Autorité à s’interroger sur le point de savoir pourquoi sur le marché en cause les ventes en ligne sont si peu développées et, partant à examiner l’explication selon laquelle les produits Mobotix, du fait de leur sophistication, devraient, en pratique, faire l’objet d’une installation. Dès lors, la réponse de l’Autorité selon laquelle les stipulations des contrats de distribution de Mobotix, comme les différents documents recueillis au cours de l’enquête, ne visent pas exclusivement les installateurs qui ne disposent pas de point de vente physique mais, plus largement, ceux ayant une boutique en ligne comme activité principale, par trop mécanique, peut paraître insuffisamment motivée.
Plus encore, on s’étonnera de la lecture pour le moins restrictive, pour ne pas dire rigide, de l’exception figurant au point 52, c) des lignes directrices sur les restrictions verticales, laquelle reconnait au fournisseur la liberté de requérir de ses distributeurs qu’ils vendent au moins une certaine quantité absolue de produits (en volume ou en valeur) hors ligne pour assurer le bon fonctionnement de leur point de vente physique, sans pour autant limiter la part des ventes en ligne. À cet égard, l’Autorité retient que les stipulations des contrats de Mobotix, comme les différents documents recueillis au cours de l’enquête, ne comportent pas une limitation exprimée en termes absolus. Les grossistes ne pourraient sélectionner des revendeurs ayant une boutique en ligne comme activité principale, c’est-à-dire réalisant l’essentiel de leurs ventes en ligne (pt. 294). Si effectivement, cette limitation ne fixe aucune quantité absolue minimale de produits devant être vendus hors-ligne, elle permet au revendeur de connaître précisément la quantité de produits (en volume ou en valeur) qu’il doit vendre hors ligne pour assurer le bon fonctionnement de son ou ses points de vente physique, en l’occurrence 50 % des produits contractuels.
S’agissant à présent du calcul des sanctions, l’Autorité retient, après analyse de la gravité des faits et de l’importance du dommage causé à l’économie, une proportion de 6 % de la valeur retenue comme assiette du montant des sanctions pécuniaires prononcées au titre du grief n° 1 tenant à la restriction de la liberté tarifaire des distributeurs. Elle applique ensuite un coefficient multiplicateur de 4,12 pour une participation d’une durée de 7 ans et 3 mois (Mobotix et ACTN) et de 3,62 pour une participation d’une durée de 6 ans et 3 mois (BE IP et EDOX).
Pour ce qui concerne le grief n° 2 tenant à la limitation de la vente en ligne des produits fabriqués par Mobotix, l’Autorité ne retient, après analyse de la gravité des faits et de l’importance du dommage causé à l’économie, qu’une proportion de 4 % de la valeur retenue comme assiette du montant des sanctions pécuniaires prononcées au titre de ce grief (pt. 411). Pourtant, l’Autorité semble considérer que les faits en question présentent un degré certain de gravité (pt. 388). En revanche, elle considère, au terme de son analyse de l’importance du dommage causé à l’économie, que la pratique a causé un dommage certain mais très limité à l’économie (pt. 410). Certes, l’Autorité relève que le marché ne présentait pas de barrières à l’entrée insurmontables (pt. 404). En fait, ce qui explique la relative mansuétude de l’Autorité est le constat que le marché n’a été affecté que de façon limitée, compte tenu du niveau limité, à ce jour, des ventes en ligne propre à ce secteur comme en témoignent les déclarations des revendeurs (pt. 409).
Sur la procédure, les mis en cause soutenaient que la procédure était fondée sur une décision de saisine d’office entachée d’illégalité, dans la mesure où il s’était écoulé plus de deux mois entre la transmission des pièces de la procédure par la DGCCRF au rapporteur général de l’Autorité et la décision de saisine d’office, de sorte que cette dernière a méconnu le délai de deux mois prévu par l’article D. 450-3 du code de commerce. Qu’à cela ne tienne ! L’Autorité répond que, de toute façon, que les délais impartis à l’administration par des dispositions législatives ou réglementaires pour rendre une décision ne sont pas, en principe, impartis à peine d’illégalité (pts. 112, 115, 117). De même, le silence du rapporteur général de l’Autorité pendant le délai suivant la transmission du rapport administratif d’enquête ne saurait valoir décision de l’Autorité de refus de se saisir d’office (pt. 121).
Pour le surplus, je vous renvoie à la lecture du communiqué de l'Autorité de la concurrence.
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EN BREF : De quelques décisions rendues ces derniers jours par l’Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie
Ces derniers jours, l’Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie a rendu plusieurs décisions intéressantes.
Dans sa décision n° 2021-PAC-02 du 4 novembre 2021, l'Autorité prononce un non-lieu concernant des pratiques d'entente présumées dans le cadre d'un appel d'offres sur le marché du nettoyage de bureau lancé par le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie en octobre 2019. À cette occasion, l'Autorité précise le droit applicable en Nouvelle-Calédonie en cas de soumission d'offres distinctes par des entreprises appartenant au même groupe, qu'elles soient autonomes commercialement ou non et s'écarte en particulier du revirement de jurisprudence opérée par l’Autorité de la concurrence métropolitaine. Ainsi, le droit de la concurrence calédonien, qui n’est pas soumise au droit de l’Union européenne à l’origine de ce revirement décisionnel, n'interdit pas, en soi, le dépôt d'offres distinctes en réponse à un même appel d’offres par des sociétés appartenant à un même groupe mais sanctionne la coordination d’offres distinctes par des sociétés appartenant ou non à la même unité économique pour tromper l'acheteur public, sur le fondement du droit des ententes.
Par ailleurs, dans une décision du 2 novembre 2021, l’Autorité a clos sa saisine d'office dans le secteur des produits destinés à lutter contre la propagation de l’épidémie de Covid-19 en Nouvelle-Calédonie après avoir constaté l’absence de pratiques abusives entre mars et octobre 2021.
Enfin, l’Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie a également rendu deux décisions de sanctions en matière de pratiques commerciales restrictives, d’une part pour non-respect des délais de paiement et, d’autre part, pour non-respect des règles de formalisme en matière de convention unique.
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L’application du droit de la concurrence
aux activités des associations professionnelles
23 novembre 2021 — 12h30-14h
Bonjour,
Suite à la récente publication par l'Autorité de la concurrence de son étude thématique sur les associations professionnelles et de son projet de document-cadre sur les programmes de conformité, l’AFEC a le plaisir de vous inviter le 23 novembre 2021 — de 12h30 à 14h — à un webinar consacré à l’application du droit de la concurrence aux activités des associations professionnelles.
Ce webinar consistera en un échange de points de vue entre :
— un agent de l’Autorité de la concurrence : Thomas Guérin, référendaire au Service Juridique et co-rédacteur de l’étude thématique sur les associations professionnelles,
— un directeur juridique : Hervé Delannoy, Directeur juridique de Rallye, holding des groupes Casino et Go Sport, et rapporteur de l’AFEC, et
— un avocat concurrence : Romain Maulin, Associé fondateur du cabinet Maulin Avocats et membre de l’AFEC.
Les échanges seront l'occasion d'aborder les thèmes suivants :
(i) sécurisation des échanges d’informations intervenant dans le cadre de groupes de travail et/ou réunions entre adhérents,
(ii) le conseil juridique et l’assistance des adhérents en matière de représentation et/ou défense collective de leurs intérêts,
(iii) la communication externe de l’association professionnelle et le risque de dénigrement et
(iv) la structuration d’une stratégie de conformité concurrence au sein d’une association professionnelle.
Afin de permettre la plus grande interactivité possible, les participants sont d’ores et déjà invités à s'inscrire gratuitement au webinar et transmettre les questions/commentaires qu’ils aimeraient adresser aux intervenants, par E-MAIL.
Des références doctrinales pourront également être adressées aux inscrits sur demande.
Bien cordialement,
Michaël Cousin, Partner
Addleshaw Goddard (Europe) LLP
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