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SOMMAIRE
JURISPRUDENCE AIDES D’ÉTAT : Précisant le type d'analyse que la Commission doit effectuer et les facteurs qu'elle doit prendre en compte, lorsqu’elle examine un régime d’aides, pour déterminer l'existence d'un avantage au titre de l'article 107, § 1, TFUE, la Cour de justice de l’Union censure l’arrêt du Tribunal qui avait annulé la décision de la Commission qualifiant d’aide d’État le régime fiscal dérogatoire de quatre clubs de football professionnel espagnols et, statuant elle-même définitivement, rejette le recours introduit par le Fútbol Club Barcelona en annulation de la décision de la Commission
JURISPRUDENCE AIDES D'ÉTAT : Prenant acte des différences objectives existant selon que l’entité qui dispense l’aide est une entreprise publique ou une entité privée, lesquelles tiennent notamment à l’existence ou à l’absence de lien capitalistique et impliquent de réunir des indices différents pour démontrer l’imputabilité des mesures à l’État, la Cour de justice de l’Union confirme que le soutien accordé par un consortium de droit privé italien à l’un de ses membres n’était pas imputable à l’État et rejette en conséquence le pourvoi formé par la Commission contre l’arrêt du Tribunal écartant la qualification d’aides d’État
JURISPRUDENCE AIDES D'ÉTAT : Appelée à examiner la gestion du service de compte courant postal pour le recouvrement de la taxe foncière communale italienne et le sort des commissions fixées unilatéralement par La Poste, la Cour de justice de l’Union émet des doutes quant à la qualification d’aides d’État de la mesure en cause
JURISPRUDENCE : Estimant la question dépourvue de caractère sérieux, la Cour d’appel de Paris refuse de transmettre à la Cour de cassation une QPC déposé dans le cadre d’un recours formé contre la décision adoptée dans l’affaire du porc charcutier et portant sur la conformité à la Constitution de l’article L. 463-8 du code de commerce, qui reconnait au rapporteur général de l’Autorité la faculté d’ordonner une expertise
INFOS : Aux termes d’une lecture pour le moins contestable de l’article L. 464-9 du code de commerce relative aux micro-PAC, l’Autorité de la concurrence sanctionne lourdement et solidairement une entreprise qui avait refusé la transaction proposée par le ministre, en imputant son comportement infractionnel à ses sociétés mères
INFOS : Faute pour un distributeur agréé d’avoir démontrer son état de dépendance économique à l’égard d’un grand éditeur de logiciels de conception et de fabrication assistées par ordinateur, l’Autorité écarte une nouvelle fois la caractérisation d’un abus de dépendance économique et rejette la saisine de la du distributeur pour défaut d’éléments probants
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Webinaire #4 Business angels, VC and CVC - 12 mars 2021 17:30 CET [Message de Nicolas Petit]
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JURISPRUDENCE AIDES D’ÉTAT : Précisant le type d'analyse que la Commission doit effectuer et les facteurs qu'elle doit prendre en compte, lorsqu’elle examine un régime d’aides, pour déterminer l'existence d'un avantage au titre de l'article 107, § 1, TFUE, la Cour de justice de l’Union censure l’arrêt du Tribunal qui avait annulé la décision de la Commission qualifiant d’aide d’État le régime fiscal dérogatoire de quatre clubs de football professionnel espagnols et, statuant elle-même définitivement, rejette le recours introduit par le Fútbol Club Barcelona en annulation de la décision de la Commission
Le 4 mars 2021, la Cour de justice de l’Union a rendu son arrêt dans l’affaire C-362/19 (Fútbol Club Barcelona/Commission) concernant les quelques clubs de football professionnel espagnols dispensés de se transformer en sociétés anonymes sportives.
Elle suit pour l’essentiel les conclusions de l’avocat général Giovanni Pitruzzella.
L'article 19, § 1, de la loi 10/1990 sur le sport a obligé tous les clubs sportifs professionnels espagnols à se transformer en sociétés anonymes sportives (SAS). La mise en place de la mesure se justifiait par le fait que de nombreux clubs avaient été mal gérés parce que ni les membres ni les administrateurs n'assumaient aucune responsabilité financière pour les pertes économiques qui pouvaient être générées. L'objectif était d’établir un modèle de responsabilité économique et juridique pour les clubs qui exercent une activité professionnelle afin de favoriser leur bonne gestion. Toutefois, le même loi exemptait de l'obligation de conversion les clubs de football ayant « fait preuve de bonne gestion sous le régime associatif » lesquels pouvaient garder leur structure juridique de clubs sportifs, organismes sans but lucratif bénéficiant en tant que tels d'une exonération partielle de l'impôt sur les sociétés. Les seuls clubs répondant à cette condition étaient l'Athletic Club Bilbao, le Club Atlético Osasuna (Navarre), le FC Barcelona et le Real Madrid CF. En dépit du fait que ces quatre clubs ont des activités professionnelles à but lucratif, ils acquittaient ainsi l'impôt pour leurs recettes commerciales au taux réduit de 25 % au lieu du taux général actuel de 30 %.
Par sa décision de 2016, la Commission a déclaré que l’Espagne avait introduit illégalement une aide incompatible sous la forme d’un privilège fiscal en matière d’impôt sur les sociétés au profit de ces quatre clubs de football professionnel. Elle a en conséquence enjoint l’Espagne d’y mettre fin et de récupérer, auprès des bénéficiaires, le montant de l’aide accordée.
Le Fútbol Club Barcelona et l’Athletic Club ont alors introduit un recours contre la décision de la Commission. Dans l’affaire T-865/16 (Fútbol Club Barcelona contre Commission), qui nous intéresse, le Tribunal a annulé la décision de la Commission par arrêt du 26 février 2019, estimant qu’à la suite d’une erreur dans l’appréciation des faits, la Commission n’avait pas démontré, à suffisance de droit, l’existence d’un avantage. En substance, le Tribunal, rappelant que les différentes composantes du régime fiscal des entités à but non lucratif devaient être appréciées ensemble, a estimé que la Commission n’avait pas établi, à suffisance de droit que le régime fiscal des entités à but non lucratif, pris dans son ensemble, était de nature à placer ses bénéficiaires dans une situation plus avantageuse que s’ils avaient dû opérer sous la forme de SAS. Plus précisément, il a reproché à la Commission de ne pas avoir suffisamment examiné, dans le cadre de l'analyse du régime fiscal applicable aux clubs de football qu'elle considérait comme bénéficiaires d'aides d'État, l'importance de la déduction pour le réinvestissement des bénéfices exceptionnels prévu par le régime des SAS, laquelle déduction serait en particulier mise en oeuvre à l’occasion des transferts de joueurs, aux fins de la détermination de l'existence d'un avantage au sens de l'article 107, § 1, TFUE et surtout de ne pas avoir rechercher si la limitation des déductions fiscales à un niveau moins favorable pour les entités à but non lucratif que pour les SAS ne venait pas compenser l’avantage découlant du taux d'imposition nominal inférieur à celui appliqué auxdites SAS.
La Commission a alors introduit devant la Cour un pourvoi contre l’arrêt du Tribunal, aux termes duquel elle a soulevé un moyen unique, divisé en deux branches, tiré de la violation par le Tribunal, dans l’arrêt attaqué, de l’article 107, § 1, TFUE, en ce qui concerne, d’une part, la notion d’« avantage » susceptible de constituer une « aide d’État », au sens de cette disposition, ainsi que, d’autre part, l’obligation de diligence incombant à la Commission dans le cadre de l’examen de l’existence d’une aide et la charge de la preuve de l’existence d’un avantage qui lui incombe. La Cour a estimé qu’il convenait d’apprécier le bien-fondé du moyen unique du pourvoi en examinant ensemble les deux branches dudit moyen.
Ce faisant, la présente affaire permet à la Cour de clarifier le type d'analyse que la Commission doit effectuer et les facteurs qu'elle doit prendre en considération pour déterminer l'existence d'un avantage au titre de l'article 107, § 1, TFUE, en particulier dans le cas de régimes fiscaux dérogatoires prévoyant un taux d'imposition préférentiel pour les personnes soumises à ce régime.
À l’appui de son pourvoi, la Commission faisait valoir en premier lieu que le Tribunal avait commis une erreur de droit en considérant qu’elle était tenue, pour déterminer l’existence d’un avantage découlant d’un régime fiscal dérogatoire, de prendre en considération, outre les critères propres au régime en cause qui sont de nature à placer le bénéficiaire dans une position plus favorable que les autres entreprises soumises au régime général, comme un taux réduit d’imposition, des éléments défavorables en raison de leur caractère indissociable des autres éléments dudit régime, comme la déduction fiscale pour réinvestissement de bénéfices exceptionnels, lesquels se matérialiseraient seulement en fonction de circonstances extérieures au régime et variables, en ce sens qu’ils sont susceptibles de changer à chaque exercice fiscal, à l’instar de ladite déduction, qui dépend de décisions d’investissement prises par les entreprises bénéficiaires, et notamment de l’importance des transferts de joueurs, et cela même si ces éléments défavorables sont de nature aléatoire, ne sont pas en mesure de neutraliser systématiquement l’avantage et ne peuvent pas être prévus dans le cadre d’un examen ex ante du régime fiscal en cause.
Sur ce, la Cour commence par rappeler que, dans le cas spécifique d’un régime d’aides, la Commission peut se borner à étudier les caractéristiques du régime en cause pour apprécier si, en raison des modalités que ce régime prévoit, celui-ci assure un avantage aux bénéficiaires par rapport à leurs concurrents et est de nature à profiter à des entreprises qui participent aux échanges entre les États membres. Ainsi, la Commission, dans une décision qui porte sur un tel régime, n’est pas tenue d’effectuer une analyse de l’aide octroyée dans chaque cas individuel sur le fondement d’un tel régime. Ce n’est qu’au stade de la récupération des aides qu’il sera nécessaire de vérifier la situation individuelle de chaque entreprise concernée (pt. 65).
Elle confirme ensuite qu’au cas d’espèce, la Commission était bien en présence d’un régime d’aide, dès lors que les dispositions fiscales spécifiques applicables aux entités sans but lucratif, en particulier le taux réduit d’imposition, sont susceptibles de bénéficier, du fait de cette seule mesure, à chacun des clubs de football éligibles, définis d’une manière générale et abstraite, pour une période et un montant indéterminés, et cela sans qu’il soit besoin de mesures d’application supplémentaires et sans que ces dispositions soient liées à la réalisation d’un projet spécifique (pt. 69). Du reste, la mesure litigieuse figurent dans une mesure de portée générale (pt. 70). Par suite, est dépourvu d’incidence pour déterminer l’étendue des obligations incombant à la Commission en ce qui concerne la preuve de l’existence d’un avantage au titre de l’article 107, § 1, TFUE, le fait que, dans sa décision, la Commission se soit également prononcée sur les aides individuellement octroyées aux quatre clubs bénéficiaires, nommément désignés, en indiquant que ces aides devaient être considérées comme étant illégales et incompatibles avec le marché intérieur (pt. 71). En effet, dans le cas d’un régime d’aides, il convient de distinguer l’adoption de ce régime des aides accordées sur la base de celui-ci (pt. 74). Partant, le seul fait que, en l’occurrence, des aides ont été accordées individuellement aux clubs sur la base du régime d’aides en cause ne saurait, dès lors que cet octroi n’est que la conséquence de l’application automatique de ce régime d’aides, avoir d’incidence sur l’examen auquel la Commission est tenue, au regard de l’article 107, § 1, TFUE, en ce qui concerne la preuve de l’existence d’un avantage (pt. 75). Il s’ensuit que, aux fins de déterminer l’existence d’un tel avantage, la Commission devait exclusivement examiner, dans la décision litigieuse, le « régime d’aides », au sens de l’article 1er, sous d), du règlement 2015/1589, institué par la mesure litigieuse, et non les « aides individuelles », au sens de l’article 1er, sous e), de ce règlement, accordées sur la base de ce régime (pt. 76). En conséquence, le Tribunal a commis une erreur de droit lorsqu’il a considéré que la décision litigieuse devait s’analyser comme une décision relative à la fois à un régime d’aides et à des aides individuelles (pt. 77).
Dans son pourvoi, la Commission faisait encore grief au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit dans l’appréciation du lien existant entre les éléments favorables, tels qu’un taux réduit d’imposition, et les éléments défavorables, tels qu’un taux moins élevé de déduction, d’un régime d’aides comme la mesure litigieuse, aux fins de déterminer si ce régime procure à ses bénéficiaires un avantage relevant de l’article 107, § 1, TFUE.
Sur ce point, la Cour estime que le raisonnement développé par le Tribunal est entaché de plusieurs erreurs de droit. Puisque, dans le cas d’un tel régime d’aides, l’examen auquel la Commission est tenue au regard de l’article 107, § 1, TFUE porte exclusivement sur ce régime et non sur les aides octroyées ultérieurement sur la base de celui-ci, la question de savoir si ledit régime procure un avantage à ses bénéficiaires ne saurait dépendre de la situation financière de ces derniers au moment de l’octroi ultérieur de ces aides, mais doit nécessairement être appréciée en se plaçant au moment de l’adoption du régime en question, en procédant à une analyse ex ante (pt. 86). En pratique, lorsque le régime fiscal d’aides s’applique sur une base annuelle ou périodique, la Commission doit uniquement démontrer que ce régime d’aides est de nature à favoriser ses bénéficiaires, en vérifiant que celui-ci, pris globalement, est, compte tenu de ses caractéristiques propres, susceptible de conduire, au moment de son adoption, à une imposition moindre par rapport à celle résultant de l’application du régime d’imposition général. Il est sans importance qu’elle ne soit pas en mesure de déterminer, à l’avance et pour chaque exercice fiscal, le niveau précis d’imposition afférent à celui-ci, car c’est au stade de la récupération éventuelle de l’aide octroyée sur la base de ce régime d’aides que la Commission est tenue de déterminer si ledit régime a effectivement procuré un avantage à ses bénéficiaires pris individuellement, dès lors qu’une telle récupération exige de définir le montant exact de l’aide dont ces derniers ont eu la jouissance effective lors de chaque exercice fiscal (pts. 87-88). Dès lors, l’impossibilité de déterminer, au moment de l’adoption d’un régime d’aides, un tel montant ne saurait empêcher la Commission de constater que ce régime était susceptible, dès ce stade, de procurer un avantage à ces derniers et ne saurait, corrélativement, dispenser l’État membre concerné de notifier un tel régime au titre de l’article 108, paragraphe 3, TFUE (pt. 89). Rappelant le caractère fondamental de l’obligation des notification des aides à l’état de projet (pts. 90-92), la Cour observe à son tour que les États membres qui instaurent des régimes d’aides en violation de l’obligation leur incombant en vertu de l’article 108, § 3, TFUE seraient favorisés par rapport à ceux qui se conforment à cette obligation si la Commission était tenue de vérifier, aux fins d’apprécier l’existence d’un régime d’aides, sur la base de données recueillies après l’adoption de ce régime, si l’avantage s’est effectivement matérialisé lors de tous les exercices fiscaux ultérieurs, en application du régime en cause, ou si les avantages qui se seraient matérialisés au cours de certains exercices fiscaux ont été compensés par les désavantages constatés lors d’autres exercices fiscaux (pt. 93).
Or, au cas d’espèce, le régime d’aides en cause était, dès le moment de son adoption, susceptible de favoriser les clubs opérant en tant qu’entités sans but lucratif par rapport aux clubs opérant en tant que SAS, leur procurant ainsi un avantage susceptible de relever de l’article 107, § 1, TFUE. Et s’il est vrai que, dès ce même moment également, ce régime prévoyait un taux de déduction pour réinvestissement de bénéfices exceptionnels moins élevé que celui applicable aux SAS, cette circonstance n’est pas de nature à remettre en cause la conclusion selon laquelle le régime d’aides en cause procurait, dès la date de son adoption, un avantage à ses bénéficiaires (pts. 95-97). De fait, l’examen, aux fins de l’application de l’article 107, § 1, TFUE, de l’incidence de la déduction en cause, dont il est constant qu’elle dépend de la survenance ultérieure de circonstances aléatoires et variables, sur le taux réduit d’imposition prévu par le régime d’aides en cause et, en particulier, l’appréciation du point de savoir si ce taux réduit serait neutralisé par ladite déduction ne sauraient, s’agissant d’un régime fiscal d’aides tel que celui en cause, qui s’applique sur une base annuelle, être effectués au moment de l’adoption dudit régime, cette incidence étant uniquement susceptible de se matérialiser au terme de chacun des exercices fiscaux ultérieurs (pt. 98). Tel est a fortiori le cas lorsque, comme en l’espèce, le régime d’aides en cause a vocation à s’appliquer pendant une période indéterminée. En pareil cas, s’il ne peut être totalement exclu que la déduction en cause aboutisse à un lissage dans le temps des effets de la mesure litigieuse qui serait susceptible de compenser, à un moment donné ou à un autre, le taux réduit d’imposition, ce n’est que lorsqu’un tel régime aura définitivement cessé de s’appliquer, si tant est qu’une telle cessation intervienne, qu’il sera possible de déterminer de manière définitive si cette déduction a effectivement neutralisé l’application du taux réduit d’imposition (pt. 99).
Dès lors, conclut la Cour, pour démontrer à suffisance de droit que le régime d’aides en cause procure à ses bénéficiaires un avantage relevant de l’article 107, § 1, TFUE, la Commission n’était pas tenue d’examiner, dans la décision litigieuse, l’incidence de la déduction pour réinvestissement de bénéfices exceptionnels ni celle des possibilités de report sous forme de crédit d’impôt et, en particulier, si cette déduction ou ces possibilités neutraliseraient l’avantage résultant du taux réduit d’imposition. Et c’est précisément au stade de la récupération éventuelle de l’aide octroyée sur la base de ce régime d’aides que la Commission doit tenir compte de ces incidences, lorsqu’il y a lieu de déterminer le montant exact de l’aide dont le bénéficiaire a obtenu la jouissance effective (pt. 101). Par suite, la Cour constate que, en jugeant que la Commission était tenue de procéder à un tel examen, le Tribunal a commis une erreur de droit (pt. 102). Cette erreur de droit a conduit le Tribunal à commettre une autre erreur de droit lorsqu’il a fait grief à la Commission de ne pas avoir demandé au Royaume d’Espagne les éléments d’informations pertinents permettant d’apprécier cette incidence (pt. 102). Au surplus, la Cour estime que le Tribunal a également commis une erreur de droit dans l’analyse qu’il a faite des différences entre le régime d’aides résultant de la mesure litigieuse et le régime d’aides en cause dans l’arrêt du 8 décembre 2011 rendu dans l’affaire C‑81/10 (France Télécom/Commission) (pt. 104).
Ce faisant, la Cour annule l’arrêt attaqué. Estimant que le litige est en état d’être jugé, la Cour statuer ensuite elle-même définitivement sur le recours sur le recours introduit par le Fútbol Club Barcelona dans l’affaire T‑865/16 en annulation de la décision de la Commission.
Sur le deuxième moyen du recours contre la décision de la Commission, tiré de la violation de l’article 107, § 1, TFUE, en ce que la Commission a commis une erreur d’appréciation quant à l’existence d’un avantage, et du principe de bonne administration dans l’examen de l’existence dudit avantage, la Cour de justice de l’Union rappelle que la Commission n’était pas tenue, pour démontrer à suffisance de droit que le régime d’aides résultant de la mesure litigieuse procure à ses bénéficiaires un avantage relevant de l’article 107, § 1, TFUE, d’examiner, dans la décision litigieuse, l’incidence de la déduction pour réinvestissement de bénéfices exceptionnels et, en particulier, le point de savoir si celle-ci neutraliserait l’avantage résultant du taux réduit d’imposition (pt. 114). Dès lors, c’est à bon droit que, au considérant 68 de ladite décision, la Commission a estimé que la déduction pour réinvestissement de bénéfices exceptionnels applicable aux entités sans but lucratif ne devait pas être prise en compte pour déterminer si la mesure litigieuse procurait un avantage à ses bénéficiaires, au motif que, étant uniquement accordée sous certaines conditions qui ne sont pas toujours réunies, cette déduction n’était pas de nature à neutraliser systématiquement, pour chaque exercice fiscal, l’avantage conféré par le taux réduit d’imposition (pt. 115).
Sur le troisième moyen, tiré de la violation des principes de protection de la confiance légitime et de sécurité juridique, la Cour rappelle que, compte tenu du caractère impératif du contrôle des aides étatiques opéré par la Commission au titre de l’article 108 TFUE, d’une part, les entreprises bénéficiaires d’une aide ne sauraient se prévaloir, en principe, d’une confiance légitime dans la régularité de l’aide que si celle-ci a été accordée dans le respect de la procédure prévue à cet article et, d’autre part, un opérateur économique diligent doit normalement être en mesure de s’assurer que cette procédure a été respectée (pt. 120). Dès lors, en l’absence, en l’occurrence, de notification de la mesure litigieuse par le Royaume d’Espagne au titre de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, le FCB ne saurait en aucun cas se prévaloir d’une violation du principe de protection de la confiance légitime (pt. 121).
Sur le quatrième moyen, tiré de la violation de l’article 107, § 1, TFUE, en ce que la Commission n’a pas pris en compte le fait que la mesure litigieuse était justifiée par la logique interne du système fiscal, la Cour répond que la mesure litigieuse, examinée par la Commission, dans sa décision, au regard de l’article 107 TFUE, consiste non pas dans l’existence, dans le droit espagnol, de régimes fiscaux différents pour les entités sans but lucratif et pour les sociétés anonymes, mais dans le resserrement, dans le secteur du sport professionnel, du champ d’application personnel du régime des entités sans but lucratif, impliquant l’existence, entre les clubs de football professionnel, d’une différence de traitement en ce qui concerne l’accès à cette forme juridique et introduisant, partant, une différence de régime fiscal entre ces clubs, selon qu’ils ont été tenus de se transformer en sociétés anonymes ou qu’ils ont pu, à titre dérogatoire, continuer à opérer en tant qu’entités sans but lucratif (pt. 127).
Enfin, sur le cinquième moyen, tiré de la violation de l’article 108 TFUE ainsi que des articles 21 à 23 du règlement 2015/1589, en ce que la Commission a ordonné la récupération d’une aide existante et n’a pas respecté la procédure prévue pour ce type d’aides, la Cour estime que la modification apportée par la loi 10/1990, après l’adhésion du Royaume d’Espagne à la Communauté économique européenne le 1er janvier 1986, a introduit une différenciation dans le secteur du sport professionnel, en refusant aux clubs de football professionnel en général la possibilité d’opérer en tant qu’entité sans but lucratif, tout en réservant cette possibilité, et le régime fiscal qui y était associé, aux quatre clubs de football éligibles à cette dérogation, laquelle différenciation fiscale au sein d’un même secteur n’est pas de nature purement formelle ou administrative (pt. 94). On était donc en présence d’une « aide nouvelle » soumise à l’obligation de notification prévue à l’article 108, § 3, TFUE, la Cour précisant que cette modification est susceptible d’avoir une incidence sur l’évaluation de la compatibilité de la mesure litigieuse au regard de l’article 107, § 3, TFUE, dès lors que, en limitant le traitement fiscal avantageux qui en découle à certains clubs de football professionnel uniquement, elle est de nature à affecter la capacité du Royaume d’Espagne à invoquer la compatibilité du régime d’aides en cause au regard de l’objectif de promotion du sport, examinée aux considérants 85 et 86 de la décision litigieuse, en tant qu’objectif d’intérêt commun, au sens de l’article 107, § 3, sous c), TFUE.
Pour le surplus, je vous renvoie à la lecture du communiqué de presse de la Cour.
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JURISPRUDENCE AIDES D'ÉTAT : Prenant acte des différences objectives existant selon que l’entité qui dispense l’aide est une entreprise publique ou une entité privée, lesquelles tiennent notamment à l’existence ou à l’absence de lien capitalistique et impliquent de réunir des indices différents pour démontrer l’imputabilité des mesures à l’État, la Cour de justice de l’Union confirme que le soutien accordé par un consortium de droit privé italien à l’un de ses membres n’était pas imputable à l’État et rejette en conséquence le pourvoi formé par la Commission contre l’arrêt du Tribunal écartant la qualification d’aides d’État
Le 2 mars 2021, la Cour de justice de l’Union a rendu son arrêt dans l’affaire C-425/19 (Commission européenne contreRépublique italienne e.a.).
Estimant à son tour que le soutien accordé par un consortium de banques italiennes en faveur d’un de ses membres n’impliquait pas l’emploi de ressources d’État et ne lui était donc pas imputable, la Cour de justice de l’Union, suivant en cela les conclusions présentées par l’avocat général Evgeni Tanchev, rejette le pourvoi formé par la Commission contre l’arrêt du Tribunal écartant la qualification d’aides d’État
En 2013, une banque italienne, Banca Popolare di Bari, a manifesté son intérêt pour la souscription d’une augmentation de capital d’une autre banque italienne, Banca Tercas, placée depuis 2012 sous le régime de l’administration extraordinaire à la suite d’irrégularités constatées par la banque centrale italienne. Banca Popolare di Bari soumettait son engagement dans Banca Tercas à la condition principale que le Fondo Interbancario di Tutela dei Depositi (FITD), qui est un consortium de droit privé mutualiste visant à garantir les déposants des banques membres de ce fonds, assure la couverture du déficit patrimonial de Banca Tercas, ce que le fonds a consenti à faire dès lors qu’une telle intervention s’avérait économiquement plus avantageuse que le remboursement des déposants de cette banque. Ces mesures ont été approuvées par la Banque d’Italie.
Par décision du 23 décembre 2015, la Commission est parvenue à la conclusion que les mesures en cause constituaient une aide d’État mise à exécution par l’Italie en faveur de Tercas. En substance, la Commission a considéré que les mesures en cause supposaient l’emploi de ressources d’État et qu’elles étaient imputables à l’État. En premier lieu, la Commission a estimé que l’État italien avait confié au FITD un « mandat public » relatif à la protection des déposants qu’il exerce sous différentes formes. En deuxième lieu, la Commission a considéré que les autorités publiques italiennes avaient la possibilité d’influencer toutes les étapes de la mise en œuvre d’une intervention de soutien telle que celle en cause en l’espèce. En troisième lieu, la Commission a relevé que, pour les banques italiennes, il était obligatoire d’adhérer au FITD et de contribuer aux interventions qui étaient décidées par ses organes de direction, de sorte que l’intervention litigieuse était imputable au FITD et non aux banques du consortium, puisque ces dernières étaient obligées par la législation italienne de contribuer aux coûts des interventions du FITD et que les ressources employées pour financer ces interventions étaient clairement prescrites, gérées et réparties en conformité avec la loi et d’autres réglementations publiques, et revêtaient donc un caractère public.
L’Italie, Banca Popolare di Bari et le consortium de droit privé qui a octroyé son soutien, ont alors demandé au Tribunal d’annuler la décision de la Commission.
Par arrêt rendu le 19 mars 2019 dans les affaires jointes T-98/16, T-196/16, T-198/16 (Italie / Commission), le Tribunal de l’Union a fait droit à leur demande et a annulé la décision de la Commission.
En ce qui concerne la notion d’« aide accordée par un État » au sens de l’article 107, § 1, TFUE, laquelle implique que soient remplies deux conditions distinctes et cumulatives : être imputable à l’État et être octroyée au moyen de ressources d’État, le Tribunal a considéré, s’agissant en premier lieu de la condition tenant à l’imputabilité de l’aide à l’État, que la Commission n’avait pas prouvé à suffisance de droit l’implication des autorités publiques italiennes dans l’adoption de la mesure en cause ni, par conséquent, l’imputabilité de cette mesure à l’État au sens de l’article 107, § 1, TFUE. Au contraire, il existait, selon lui, dans le dossier de nombreux éléments indiquant que le fonds de garantie des déposants avait agi de façon autonome lors de l’adoption de l’intervention en faveur de Tercas.
S’agissant en second lieu de la condition tenant au financement de l’intervention au moyen de ressources de l’État, le Tribunal, relevant que l’intervention du FITD en faveur de Tercas était moins onéreuse que la mise en œuvre de la garantie légale en faveur des déposants de Tercas, en cas de liquidation administrative forcée de cette dernière, a considéré que la Commission n’était pas en mesure de conclure que, alors même que l’intervention du FITD en faveur de Tercas a été effectuée conformément aux statuts de ce consortium et dans l’intérêt de ses membres, en utilisant des fonds exclusivement privés, ce seraient en réalité les autorités publiques qui, par l’exercice d’une influence dominante sur le FITD, auraient décidé d’orienter l’utilisation de ces ressources pour financer une telle intervention.
La Commission a donc formé un pourvoi dirigé contre l’arrêt du Tribunal, à l’appui duquel elle soulève deux moyens.
Par son premier moyen, la Commission faisait valoir en substance que le Tribunal avait violé l’article 107, § 1, TFUE, d’une part, en constatant que, lorsqu’une aide est accordée par une entité privée telle que le FITD et non par une entreprise publique, une charge de la preuve plus lourde pèse sur la Commission pour établir que ladite mesure d’aide est imputable à l’État et qu’elle est financée au moyen de ressources d’État (première branche du premier moyen) ; d’autre part, en appréciant séparément les éléments de preuve produits à cet effet, sans les considérer dans leur ensemble et en faisant abstraction du contexte plus large dans lequel ils s’inscrivent (seconde branche du premier moyen).
S’agissant en premier lieu du grief concernant la preuve de l’imputabilité à l’État d’une mesure d’aide, la Cour de justice de l’Union estime que le Tribunal n’a pas, dans l’arrêt attaqué, imposé à la Commission de satisfaire à une charge de la preuve plus lourde parce qu’elle était en présence d’une mesure d’aide adoptée par une entité privée et non par une entreprise publique (pt. 69).
Pour parvenir à cette conclusion, la Cour rappelle d’abord que l’imputabilité à l’État d’une mesure d’aide né découle pas du seul constat que ladite mesure a été adoptée par une entreprise publique et qu’il faut en outre que l’État ait été impliqué dans l’adoption de la mesure (pt. 59). Par suite, l’imputabilité à l’État d’une mesure d’aide prise par une entreprise publique peut être déduite d’un ensemble d’indices résultant des circonstances de l’espèce et du contexte dans lequel cette mesure est intervenue. Toutefois, cela ne va pas jusqu’à exiger la preuve que les autorités publiques ont incité concrètement l’entreprise publique à prendre la mesure d’aide concernée (pt. 60). En revanche, est pertinent tout indice indiquant, dans le cas concret, une implication des autorités publiques, voire le caractère improbable d’une absence d’implication dans l’adoption d’une mesure, eu égard également à l’ampleur de celle-ci, à son contenu ou aux conditions qu’elle comporte, ou bien l’absence d’implication desdites autorités dans l’adoption de ladite mesure (pt. 61).
Au cas d’espèce, observe la Cour, le Tribunal a pris soin de rappeler cette jurisprudence et, partant, a pu considéré que l’« obligation de la Commission » de disposer de tels indices « est d’autant plus nécessaire » dans une situation dans laquelle la mesure en cause est prise par une entité privée. En pareil cas, en effet, la Commission ne peut se fonder sur l’existence de liens capitalistiques entre une telle entité et l’État, puisque de tels liens font défaut (pt. 66). Ce faisant, le Tribunal a pu juger que la Commission ne pouvait, en l’espèce, s’appuyer sur l’improbabilité d’une absence d’influence et de contrôle effectif des autorités publiques sur l’entité privée dispensant l’aide, mais qu’elle était tenue d’exposer et d’étayer « des indices suffisants » de nature à établir que la mesure d’aide en cause avait été adoptée sous l’influence ou le contrôle effectif des autorités publiques et que, partant, cette mesure était imputable à l’État (pt. 67). Dès lors, poursuit la Cour, au regard des indices avancés par la Commission, le Tribunal a pu constater que les mesures litigieuses ne pouvaient pas être imputées aux autorités italiennes (pt. 68). Par ses constats, le Tribunal s’est limité, d’une part, à prendre acte des différences objectives existant entre une situation dans laquelle l’entité dispensant l’aide est une entreprise publique et celle où, comme en l’occurrence, cette entité, à savoir le FITD, est privée et, d’autre part a tiré les conséquences de ces différences objectives, afin de préciser le type d’indices qui permettraient, dans le cas d’espèce, de démontrer l’imputabilité des mesures litigieuses aux autorités italiennes (pts. 70-71). En effet, dans une situation dans laquelle, comme en l’occurrence, l’entité ayant dispensé l’aide a une nature privée, les indices aptes à démontrer l’imputabilité à l’État de la mesure diffèrent de ceux exigés dans l’hypothèse où l’entité dispensatrice de l’aide est une entreprise publique (pt. 72). Ce faisant, le Tribunal n’a pas imposé des standards de preuve différents, mais, au contraire, a appliqué la jurisprudence selon laquelle les indices aptes à démontrer l’imputabilité d’une mesure d’aide résultent des circonstances de l’espèce et du contexte dans lequel cette mesure est intervenue, l’absence de lien capitalistique entre l’entité concernée et l’État présentant à cet égard une pertinence certaine (pt. 73). Par suite, c’est à tort que la Commission soutient que le Tribunal a jugé que, aux fins d’établir l’imputabilité à l’État d’une mesure adoptée par une entité privée, la Commission doit prouver l’incidence de l’implication des autorités publiques sur ladite mesure. En effet, le Tribunal n’a pas examiné si l’intervention de la Banque d’Italie avait eu une incidence concrète sur le contenu des mesures litigieuses, mais s’est borné à constater, d’une part, que cette autorité nationale n’avait aucun pouvoir d’influencer le contenu des interventions et, d’autre part, que la Banque d’Italie n’a qu’un pouvoir de contrôle de la conformité desdites mesures avec le cadre réglementaire, à des fins de surveillance prudentielle (pt. 75). Ce faisant, la Cour rejette la première branche du premier moyen.
Par son premier moyen, pris en sa seconde branche, la Commission soutenait encore que le Tribunal avait commis une erreur en examinant séparément les éléments de preuve, sans les considérer dans leur ensemble et en faisant abstraction du contexte plus large dans lequel ils s’inscrivent. Sur quoi, la Cour de justice de l’Union, admettant que les éléments de preuve produits doivent faire l’objet d’une appréciation d’ensemble, relève que c’est sur la base de l’analyse de l’ensemble des indices retenus par la Commission, placés dans leur contexte, et dès lors d’une manière conforme à la jurisprudence, que le Tribunal a jugé que cette institution avait commis une erreur de droit en estimant qu’elle avait démontré que les autorités italiennes avaient exercé un contrôle public substantiel dans la définition de l’intervention du FITD en faveur de Tercas (pt. 84).
Par son second moyen, la Commission soutenait que les conclusions du Tribunal étaient également entachées de graves inexactitudes matérielles relatives aux faits et à l’interprétation du droit italien applicable, qui ressortent de manière manifeste du dossier de l’affaire.
Sur ce point également, la Cour rejette le second moyen de la Commission. Elle juge d’abord que la Commission n’a pas établi que l’article 96 ter, § 1, de la loi italienne sur les banques doit être interprété dans le sens qu’il permettrait à la Banque d’Italie de contrôler l’opportunité de mesures d’intervention d’un système de garantie des dépôts plutôt que, comme le Tribunal l’a constaté, de procéder au simple contrôle de la conformité de ces mesures aux règles prudentielles applicables aux établissements de crédit. Par suite, estime-t-elle, le Tribunal n’a pas dénaturé cette disposition de la loi italienne (pts. 97-98). En outre, relève-t-elle, contrairement à ce qu’affirme la Commission, le Tribunal n’a pas constaté que l’article 21 des statuts du FITD prévoyait que les mesures d’intervention d’un système de garantie des dépôts au soutien d’une banque qui en est membre, telles que les mesures en cause, seraient financées différemment des mesures de remboursement des déposants. Bref, que la méthode de financement des interventions volontaires était différente de celle des interventions obligatoires, de sorte que la Commission a fait une interprétation erronée de l’arrêt attaqué (pt. 99).
Pour le surplus, je vous renvoie à la lecture du communiqué de presse de la Cour.
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JURISPRUDENCE AIDES D'ÉTAT : Appelée à examiner la gestion du service de compte courant postal pour le recouvrement de la taxe foncière communale italienne et le sort des commissions fixées unilatéralement par La Poste, la Cour de justice de l’Union émet des doutes quant à la qualification d’aides d’État de la mesure en cause
Le 2 mars 2021, la Cour de justice de l’Union a rendu un arrêt dans les affaires jointes C-434/19 (Poste Italiane SpA contre Riscossione Sicilia SpA) et C-435/19 (Agenzia delle entrate – Riscossione contre Poste Italiane SpA), lequel fait suite à deux demandes de décision préjudicielle introduites par la Cour de cassation italienne.
En Italie, le décret législatif n° 504/1992 a soumis les contribuables assujettis au paiement de la taxe foncière communale — l’ICI — à l’obligation de verser le montant de leur taxe à un concessionnaires de l’État en charge de la perception de la taxe et de son reversement aux communes. Elle doit être acquittée par un versement direct au concessionnaire de la circonscription dans laquelle est située la commune ou par un versement sur un compte courant postal ouvert au nom de ce concessionnaire. Ce sont précisément la gestion de ce service de compte courant postal pour le recouvrement de la taxe foncière communale et les commissions fixées unilatéralement par la Poste Italienne en rémunération de ce service qui sont au coeur de la présente affaire.
Les demandes de décision préjudicielle ont été présentées dans le cadre de litiges concernant les demandes de paiement de commissions adressées par Poste Italiane à deux concessionnaires en charge de la perception de l’ICI, Riscossione Sicilia et l’Agence de perception, et ce, pour la gestion, de l’année 1997 à l’année 2011, des comptes courants dont ces concessionnaires disposent auprès de Poste Italiane, afin de permettre aux contribuables d’y verser les sommes qu’ils devaient au titre de l’ICI.
À la faveur d’un arrêt rendu le 26 mars 2014, la juridiction de renvoi avait pour partie donné raison à Poste Italiane en considérant que l’objectif du décret législatif n° 504/1992 consistant à maximiser la perception des impôts au moyen d’un service déployé sur l’ensemble du territoire, grâce à la très large répartition territoriale des bureaux de poste qui permet d’atteindre le contribuable plus facilement, justifiait l’instauration d’un monopole légal. À cet égard, la Cour de cassation italienne a constaté que le texte ne prévoyait pas la gratuité du service de gestion du compte courant destiné au versement de l’ICI, de telle sorte que, indépendamment de l’obligation faite au concessionnaire d’ouvrir un compte courant postal, le service devait être réputé comme étant fourni, par nature, à titre onéreux, au même titre que le service ordinaire de gestion d’un compte courant dans les conditions de libre concurrence.
Toutefois, la juridiction de renvoi s’est interrogé sur la légalité, au regard des règles du droit de l’Union, et plus précisément de celles relatives au droit de la concurrence et aux aides d’État, du fait que l’article 10 du décret législatif n° 504/1992 réserve à Poste Italiane le service de gestion des comptes courants affectés à la perception de l’ICI. Dès lors, les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation des articles 14, 102, 106 et 107 TFUE.
En substance, ladite juridiction estime que l’article 10 du décret législatif n° 504/1992 ne peut être considéré comme compatible avec la législation de l’Union que dans la mesure où le service de gestion de compte courant réservé à Poste Italiane relèverait de la notion de « gestion de service d’intérêt économique général », au sens de l’article 106, § 2, TFUE. Si tel est le cas, elle demande, en premier lieu, si le pouvoir conféré à Poste Italiane de déterminer la commission pourrait, en ce qu’elle constituerait une taxe ou contribution obligatoire imposée par la loi, et donc une aide accordée au moyen de fonds publics, être qualifié d’« aide d’État illégale », au sens de l’article 107, § 1, TFUE, étant précisé que cette mesure n’a jamais fait l’objet d’une notification préalable à la Commission européenne en vertu de l’article 108, § 3, TFUE.
La juridiction de renvoi demandait, en second lieu, si la fixation unilatérale de la commission en cause au principal par Poste Italiane ne pourrait pas être qualifiée d’abusive et être donc interdite en vertu de l’article 102, premier alinéa, TFUE, étant entendu que le concessionnaire ne peut se soustraire au paiement de cette commission, sous peine de manquer aux obligations qui lui incombent en vertu du rapport juridique distinct qui le lie à l’organisme taxateur local et qui a pour objet la perception de l’ICI. Toutefois, la Cour de justice constate l’irrecevabilité de cette troisième question dans la mesure où elle ne dispose pas des éléments nécessaires pour répondre de manière utile. En effet, les décisions de renvoi ne comportent pas de données permettant d’identifier les éléments constitutifs d’une position dominante, au sens de l’article 102 TFUE, dans le contexte des affaires au principal : la juridiction de renvoi n’a fourni des informations précises ni sur les caractéristiques du marché pertinent, ni sur son étendue géographique ni sur l’existence éventuelle de services équivalents (pts. 77-82).
Par ses première et deuxième questions, que la Cour de justice a décidé d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi demandait en substance si l’article 106, § 2, et l’article 107 TFUE devaient être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à la mise en œuvre des règles nationales obligeant les concessionnaires en charge de la perception de l’ICI à disposer d’un compte courant ouvert à leur nom auprès de Poste Italiane pour permettre le versement de cette taxe par les contribuables et à s’acquitter d’une commission pour la gestion dudit compte courant, lorsque ces règles n’ont pas été notifiées à la Commission au titre de l’article 108, § 3, TFUE.
La Cour de justice de l’Union commence par examiner si la mesure en cause au principal doit être qualifiée d’« aide d’État », au sens de l’article 107 TFUE et donc si elle remplit quatre conditions posées par la jurisprudence, à savoir l’existence d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État, que cette intervention soit susceptible d’affecter les échanges entre les États membres, qu’elle accorde un avantage sélectif à son bénéficiaire et qu’elle fausse ou menace de fausser la concurrence.
S’agissant, en premier lieu, de la condition relative à l’intervention de l’État ou au moyen des ressources d’État, laquelle implique que les avantages octroyés soient, d’une part, accordés directement ou indirectement au moyen de ressources d’État et, d’autre part, imputables à l’État, la Cour indique d’abord qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si le dispositif obligeant les concessionnaires à disposer d’un compte courant ouvert à leur nom auprès de Poste Italiane pour permettre le versement de l’ICI par les contribuables et à s’acquitter d’une commission pour la gestion dudit compte courant peut être considéré comme imputable à l’État (pt. 41). Pour ce qui concerne la condition tenant au transfert de ressources d’État, la Cour estime, à première vue, que les commissions versées par les concessionnaires à Poste Italiane, en relation avec l’ouverture et la gestion des comptes qu’ils sont tenus d’y posséder, ne sauraient être considérées comme étant accordées directement ou indirectement au moyen de ressources d’État (pt. 52) : en premier lieu, une mesure comme celle en cause au principal, par laquelle des entreprises, publiques ou privées, sont tenues à une obligation d’achat ou d’acquisition de services au moyen de leurs ressources financières propres ne constitue pas une aide d’État, dans la mesure où cette obligation n’implique pas, en principe, l’engagement de ressources d’État, au sens de l’article 107 TFUE (pt. 43, pt. 45), à moins que la mesure en cause au principal soit le résultat de l’usage par l’État de son influence dominante sur ces entreprises afin d’orienter l’utilisation de leurs ressources, ce qui ne semble pas être le cas en l’espèce (pt. 47), mais qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier (pt. 52).
S’agissant, en deuxième lieu, de la condition selon laquelle l’intervention doit accorder un avantage sélectif à son bénéficiaire, la Cour indique d’emblée que la faculté reconnue, par une réglementation nationale, à une entreprise de percevoir des commissions pour la gestion d’un service dont elle détient le monopole légal est, a priori, susceptible d’être considérée comme un avantage sélectif au profit exclusif de cette entreprise (pt. 54). Or, au cas d’espèce, Poste Italiane a été la seule à bénéficier de cet avantage (pt. 55). Mais encore faut-il qu’il y ait eu avantage. À cet égard, la Cour rappelle que, dans la mesure où une intervention étatique doit être considérée comme une compensation représentant la contrepartie des prestations effectuées par les entreprises bénéficiaires pour exécuter des obligations de service public, de telle sorte que ces entreprises ne profitent pas, en réalité, d’un avantage financier et que ladite intervention n’a donc pas pour effet de mettre ces entreprises dans une position concurrentielle plus favorable par rapport aux entreprises qui leur font concurrence, une telle intervention ne tombe pas sous le coup de l’article 107, paragraphe 1, TFUE (pt. 57). Mais pour cela il faut que les quatre conditions cumulative posées par l’arrêt Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg du 24 juillet 2003 soient remplies. En ce qui concerne la première condition de la jurisprudence Altmark, selon laquelle l’entreprise bénéficiaire doit effectivement être chargée de l’exécution d’obligations de service public et ces obligations doivent être clairement définies, la Cour de justice relève que rien ne démontre que, dans sa relation avec ces concessionnaires, Poste Italiane soit formellement tenue de fournir certaines prestations à titre d’obligations de service public, dans des conditions qui en définissent de manière suffisamment précise la nature et la portée (pt. 61). Ainsi, en dehors de l’obligation de contracter avec tous les concessionnaires, Poste Italiane n’est pas soumise à plus d’obligations que celles qui s’appliquent au secteur des services bancaires. Elle reste libre de fixer ses tarifs et, mis à part ladite obligation de contracter avec les concessionnaires, aucun élément spécifique ne différencie sa relation avec ceux-ci de celle qu’elle entretient avec ses autres clients titulaires de comptes courants postaux. Du reste, elle fournit depuis toujours un seul compte courant postal, dont l’offre de base est la même pour tous ses clients (pt. 63). Dans ces circonstances, conclut la Cour sur ce point, la première condition dégagée dans l’arrêt du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg n’est pas remplie en l’occurrence, de sorte qu’il n’y a pas lieu d’examiner les autres conditions dégagées dans cet arrêt, celles-ci étant cumulatives (pt. 64). Ce faisant, le droit, reconnu par la réglementation nationale pertinente à Poste Italiane, de percevoir des commissions pour la gestion des comptes courants postaux que les concessionnaires étaient légalement tenus d’ouvrir à leur nom pour recevoir le versement de l’ICI par les contribuables est susceptible d’être considéré comme un avantage sélectif, ce qu’il appartient toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier (pt. 65).
S’agissant, en troisième lieu, des conditions selon lesquelles l’intervention doit être susceptible d’affecter les échanges entre les États membres et doit fausser ou menacer de fausser la concurrence, la Cour de justice de l’Union estime, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, que ces deux conditions pourraient être remplies en l’occurrence (pt. 66). En effet, il ne peut être exclu, en l’occurrence, que, en obligeant les concessionnaires à disposer d’un compte courant postal pour la perception de l’ICI auprès des contribuables et à s’acquitter d’une commission pour la gestion de ces comptes auprès de Poste Italiane, la réglementation italienne en cause au principal soit de nature à renforcer la position de cette entreprise publique par rapport aux autres entreprises concurrentes dans le secteur des services bancaires et financiers et qu’elle soit également de nature à affecter les échanges entre les États membres (pt. 69), même si la juridiction de renvoi devra apprécier l’incidence concrète sur l’activité de Poste Italiane et des autres établissements bancaires de la mesure en cause au principal (pt. 70).
Une fois passées en revue les quatre conditions posées par la jurisprudence pour qu’une mesure puisse être qualifiée d’« aide d’État », au sens de l’article 107 TFUE, la Cour de justice de l’Union observe, pour le cas où la juridiction de renvoi parviendrait à la conclusion qu’elle constitue une aide d’État, que la mesure instaurée par le décret législatif n° 504/1992, tendant à conférer à Poste Italiane le monopole de la gestion des comptes courants ouverts au nom des concessionnaires chargés de la perception de l’ICI, n’a pas fait l’objet d’une notification à la Commission au titre de l’article 108 TFUE, de sorte qu’il appartiendrait à cette juridiction de tirer toutes les conséquences de la violation, en l’occurrence, de l’article 108, § 3, TFUE (pts. 71-72).
En définitive, et en dépit des réserves exprimées par la Cour notamment à propos de la condition relative à l’intervention de l’État ou au moyen des ressources d’État, mais aussi des nombreuses vérifications que devra opérer la juridiction de renvoi, la Cour de justice de l’Union répond aux première et deuxième questions que l’article 107 TFUE doit être interprété en ce sens que constitue une « aide d’État », au sens de cette disposition, la mesure nationale par laquelle les concessionnaires en charge de la perception de l’ICI sont tenus de disposer d’un compte courant ouvert à leur nom auprès de Poste Italiane, pour permettre le versement de cette taxe par les contribuables, et de s’acquitter d’une commission pour la gestion de ce compte courant, pour autant que cette mesure est imputable à l’État, qu’elle procure un avantage sélectif à Poste Italiane au moyen de ressources d’État et qu’elle est susceptible de fausser la concurrence et les échanges entre les États membres, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.
À l’évidence, le présent arrêt vaut moins par la réponse formelle de la Cour, qui ne fait là que rappeler les quatre conditions posées par la jurisprudence pour qu’une mesure telle que celle en cause au principal puisse être qualifiée d’aide d’État, que par les réserves exprimées tout au long de son analyse par la Cour elle-même.
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JURISPRUDENCE : Estimant la question dépourvue de caractère sérieux, la Cour d’appel de Paris refuse de transmettre à la Cour de cassation une QPC déposée dans le cadre d’un recours formé contre la décision adoptée dans l’affaire du porc charcutier et portant sur la conformité à la Constitution de l’article L. 463-8 du code de commerce, qui reconnait au rapporteur général de l’Autorité la faculté d’ordonner une expertise
Voici un carnet de note qui fait parler de lui et qui n’a pas fini de faire parler de lui…
Ce carnet de note est celui que le groupe Campofrio a incidemment confié aux services d’instruction de l’Autorité de la concurrence lors de la demande de clémence de premier rang qu’il a formée dans l’affaire du porc charcutier qui a donné lieu à la décision n° 20-D-09 du 16 juillet 2020, à la faveur de laquelle l’Autorité a sanctionné sévèrement trois ententes horizontales, à hauteur de 93 millions d’euros au total.
Or, les condamnations prononcées reposent en grande partie sur les éléments figurant dans ce carnet de notes établi par un salarié de Campofrio, lequel, se présentant comme un témoin scrupuleux des moindres développements de l’entente, prenait des notes sur des post-it ou sur des feuilles volantes, puis les retranscrivait le soir venu dans ledit carnet, quand il ne notait pas directement les informations sur ce carnet au moment des appels téléphonique. De fait, ce carnet constitue l’élément central du faisceau d’indices qui a permis à l’Autorité d’entrer en voie de sanction. Or, la crédibilité de ce carnet de note, qui fait l’objet d’une plainte avec constitution de partie civile pour faux, usage de faux, dénonciation calomnieuse et escroquerie au jugement devant le Tribunal judiciaire de Paris, est largement remis en cause. Pour faire bonne mesure, le rapporteur général de l’Autorité a ordonné une expertise, laquelle, observant que les informations y figurants sont des notes « retranscrites » et non des notes prises sur le vif, directement au moment de l'appel téléphonique, a néanmoins conclu à l’absence d’élément probant permettant de dire que ces notes manuscrites « retranscrites » avaient été fabriquées de toutes pièces, d’une seule traite (pt. 332), ce dont l’Autorité s’est empressée de déduire que les déclarations du demandeur de clémence et de M. JLG (Campofrio) présentaient, intrinsèquement, un degré élevé de crédibilité (pt. 377). Dès lors, le Collège s’est autorisé à considérer que les notes prises par M. JLG (Campofrio) dans le Carnet, étaient recoupées non seulement par des éléments fournis par le second demandeur de clémence (pt. 380), mais aussi par d’autres éléments, tels les relevés téléphoniques de M. JLG (Campofrio), mais également des courriels, des télécopies, ainsi que des notes émanant des entreprises mises en cause (pt. 382). Par suite, l’Autorité a considéré que le Carnet devait être tenu pour un élément de preuve ne pouvant être écarté du faisceau d’indices permettant de démontrer l’existence des pratiques anticoncurrentielles alléguées (pt. 386) (voir également pour les griefs n° 2 et 3 les points 550-551).
L’une des entreprises sanctionnées par l’Autorité, la Société Charcutière de l’Odet (SCO), qui est une unité de production de salaisonneries détenue par le Groupement des Mousquetaires et qui commercialise ses produits sous la marque « Monique Ranou » et a écopé d’une amende de 15 millions d’euros dans cette affaire, a formé un recours contre la décision de l’Autorité. À la faveur de ce recours, elle a demandé à la Cour d’appel de Paris de transmettre à la Cour de cassation, en vue de son renvoi devant le Conseil constitutionnel, la question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée : « Les dispositions de l’article L. 463-8 du code de commerce sont-elles contraires aux droits et libertés que la Constitution garantit, tout particulièrement aux droits de la défense, au droit à un procès équitable et à des recours juridictionnels effectifs garantis notamment par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ? ».
La Chambre 5-7 de la Cour d’appel de Paris a rendu son arrêt le 4 mars 2021.
Cette QPC interroge donc la constitutionnalité l’article L. 463-8 du code de commerce, qui est justement le siège de la faculté reconnue au rapporteur général de l’Autorité de faire appel à des experts, faculté dont l’application est précisée à l’article R. 463-16 du code de commerce.
Estimant que les deux premières conditions posées par l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 pour que la QPC soit transmise à la Cour de cassation étaient remplies, la Cour d’appel s’est principalement interrogée sur la troisième condition posée par le texte, celle de savoir si la question n'est pas dépourvue de caractère sérieux.
À l’appui de sa demande, la société SCO avançait deux arguments : en premier lieu, l’article L. 463-8 du code de commerce porte atteinte aux droits de la défense en ne soumettant pas le champ de la mission et le choix de l’expert au débat contradictoire ; en second lieu, l’article L. 463-8 du code de commerce porte atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif, du fait de l’absence de motivation de la décision de rejet et l’absence de voie de recours effective.
Par son premier moyen, la société SCO faisait valoir en substance, que compte tenu de l’importance des conclusions du rapport d'expertise sur le carnet de note litigieux dans sa condamnation, l'exercice des droits de la défense supposait l’organisation d'un débat contradictoire préalable lors du choix de l'expert puis du champ de sa mission par le rapporteur général de l’Autorité. Elle faisait notamment valoir que la circonstance que les services d’instruction (comme le Collège) de l’Autorité ne sont pas liés par les conclusions de l'expertise n'est pas de nature à atténuer la gravité et l'irréversibilité de toute atteinte portée aux droits de la défense, puisqu'elle permet au contraire de ne retenir des conclusions de l' expert que celles qui vont au soutien de la thèse infractionnelle en utilisant l'expertise pour écarter toute autre constatation ou contestation des entreprises et ne pas avoir à y répondre. Elle ajoutait que la possibilité dont les parties disposeraient de solliciter auprès du rapporteur général une nouvelle expertise est illusoire et relève que la question de l'authenticité d'une preuve se situe nécessairement en amont de l'évaluation de sa crédibilité.
Sur quoi la Cour d’appel de Paris, relevant que l'article R. 463-16 organise le déroulement des opérations d’expertise se fait de façon contradictoire en obligeant l’expert à prendre en considération les observations des parties et à y répondre dans son rapport d’expertise, qui leur est remis afin qu'elles puissent faire part de leurs observations éventuelles, déduit de là que les droits de la défense sont ainsi garantis tout au long de la mesure d’expertise.
Observant par ailleurs que l'article L. 463-8 du code de commerce prévoit que « Le rapporteur général peut décider de faire appel à des experts en cas de demande formulée à tout moment de l’instruction par le rapporteur ou une partie », la Cour de Paris en déduit qu’il est vain de contester le fait que le choix de l'expert et l'objet de l'expertise sont déterminés par le rapporteur général, et non à l'issue d'une phase contradictoire impliquant les parties… Déduction de la Cour qui laisse pour le moins perplexe, dès lors que l’expertise n’est pas un droit pour les parties, mais une simple faculté laissée à l’entière appréciation du rapporteur général…
Laisse également perplexes les dénégations de la Cour concernant le fait que l’expertise peut être à tout le moins perçue comme un outil dans les mains des services d’instruction au service de la répression des pratiques anticoncurrentielles. À cet égard, au cas d’espèce, on peut légitimement se demander si l’expertise n’a pas été décidée par le rapporteur général dans le seul but de « sauver » un élément de preuve central dans l’accusation, alors même que ledit carnet de notes faisait l’objet d’une plainte avec constitution de partie civile pour faux, usage de faux, dénonciation calomnieuse et escroquerie au jugement devant le Tribunal judiciaire de Paris…
Toujours est-il que la Cour d’appel conclut sur ce point que, compte tenu de la nature de ce type d'investigation, qui n'a aucun caractère définitif et n'est pas irréversible, il n'est pas davantage justifié de l'atteinte à un droit protégé résultant d'une telle mesure, qui justifierait de devoir obtenir l'autorisation d'un juge avant de pouvoir la mettre en œuvre et, partant, que le premier moyen invoqué par la société SCO n'établit pas le caractère sérieux justifiant le renvoi de la QPC.
Par son second moyen, concernant l'atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif, la société SCO soutenait en substance que les décisions prises par le rapporteur général sur cette base sont susceptibles de faire grief par elles-mêmes aux entreprises concernées, ce qui suppose également une motivation des décisions de rejet et une voie de recours effective, ce qui existe du reste déjà à propos de mesures d’expertise ordonnée par les juridictions civiles. Par ailleurs, la société SCO a précisé qu'elle sollicitait une nouvelle expertise dans le cadre de son recours contre la décision attaquée, mais que, dans l'hypothèse où cette mesure serait ordonnée par la Cour, elle ne pourrait être réalisée que sur la base d'un support qui sera possiblement altéré par l'effet du temps et des manipulations dont il a été l’objet — remis il y a plus de six ans à l'Autorité, le carnet a été restitué au groupe Campofrio entre 2013 et 2017, avant de faire l'objet des opérations d’expertise, ce qui lui est préjudiciable.
Reprenant son argumentaire quelque peu désincarné et excessivement théorique développé à l’occasion du premier moyen, la Cour de Paris estime sur ce point qu’il est vain de soutenir que le droit à un recours juridictionnel effectif est méconnu en l'absence de voie de recours immédiate contre un acte qui ne fait pas grief indépendamment de la procédure dans laquelle il s'inscrit. L'absence d'obligation de motivation de la décision du rapporteur général — qu’il ordonne la mesure ou la modification de la mission confiée à un expert ou qu'il refuse d'accéder à de telles demandes — n'est pas davantage de nature à caractériser une atteinte aux droits des entreprises en cause. Pour la Cour, il est suffisant que les décisions prises par l'Autorité à la suite d'une expertise mise en œuvre en application de l'article L. 463-8 du code de commerce puissent faire l'objet d'un recours, de sorte que les dispositions contestées ne portent pas atteinte au droit des personnes intéressées de faire contrôler, par les juridictions compétentes, la régularité des mesures mises en œuvre.
On l’a compris, on regrettera que la Cour de Paris ait jugé bon de rejeter la demande de renvoi de la QPC à la Cour de cassation…
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INFOS : Aux termes d’une lecture pour le moins contestable de l’article L. 464-9 du code de commerce relative aux micro-PAC, l’Autorité de la concurrence sanctionne lourdement et solidairement une entreprise qui avait refusé la transaction proposée par le ministre, en imputant son comportement infractionnel à ses sociétés mères
On se souvient que fin 2018, la DGCCRF avait mis fin à une pratique d’entente illicite entre trois sociétés ayant candidaté à des appels d’offres lancés en 2013 et 2014 par Lille Métropole Communauté Urbaine (LMCU) en matière de gestion technique des bâtiments (GTB). Au cas d’espèce, lors d’un appel d’offres lancé en 2013, deux entreprises avaient élaborées conjointement leurs offres en vue de déterminer leurs prix en commun. L’année suivante, Lille Métropole Communauté Urbaine avait lancé un nouvel appel d’offres pour le même marché de maintenance et transformation de ses installations de GTB. À cette occasion, l’une de ces entreprises s’était concertée cette fois avec une troisième entreprise, afin de dissimuler la sous-traitance les réunissant et l’absence d’indépendance de leurs offres respectives. La DGCCRF avait fait injonction aux entreprises de s’abstenir, à l’avenir, de procéder à des échanges d’information préalablement à la remise d’offres présentées comme concurrentes lors d’appels d’offres publics ou privés et leur avaient proposé des règlements transactionnels. Deux entreprises avaient accepté l’injonction et une transaction, respectivement de 19 400 € et de 14 850 €. La troisième société impliquée dans cette affaire n’avaient pas souhaité s’engager dans la procédure de transaction. En conséquence, l’Autorité de la concurrence avait été saisie des pratiques qui lui sont imputables.
Mal lui en a pris !
Par décision n° 21-d-05 du 4 mars 2021, jugée selon la procédure simplifiée ancienne manière, l’Autorité de la concurrence a infligé solidairement une sanction de 435 000 euros à la société qui avait refusé la transaction proposée par le ministre (dont on rappellera qu’en application de l’article L. 464-9 du code de commerce, dans sa version en vigueur au moment des faits, elle ne pouvait excéder le montant de 150 000 € ou 5 % du dernier chiffre d'affaires connu en France si cette valeur est plus faible), en qualité d’auteur et à plusieurs sociétés du groupe Vinci en leur qualité de sociétés mères, pour avoir mis en œuvre une pratique concertée ayant pour objet de fausser la concurrence, prohibée par l’article L. 420-1 du code de commerce.
De fait, estimant que les éléments produits par Vinci Energies France, Vinci Energies et Vinci n’étaient pas de nature à renverser la présomption d’influence déterminante sur le comportement de leur filiale, l’Autorité de la concurrence a retenu la responsabilité des sociétés mères, qui détenaient à l’époque des faits la totalité ou quasi-totalité du capital de la filiale Santerne, pour les faits commis par cette dernière. Ainsi, elle a considéré Vinci Energies France (qui s’est substituée à Vinci Energies France nord), Vinci Energies et Vinci étaient conjointement et solidairement responsables des pratiques imputées à Santerne en tant que sociétés mères (pt. 114).
Et c’est précisément la question de l’imputabilité des pratiques qui retiendra ici essentiellement l’attention. En effet, alors même que le rapport administratif d’enquête établi en 2017 par la Brigade interrégionale d’enquête de concurrence (BIEC) de Lille, qui concluait très clairement à l’existence d’une « influence déterminante » exercée par les sociétés mères du groupe Vinci sur Santerne, a été transmis par le ministre de l’économie au rapporteur général de l’Autorité de la concurrence, celui-ci a répondu qu’il n’entendait pas proposer à l’Autorité de se saisir d’office de cette affaire, ce qui a conduit le ministre à « prendre » le dossier.
Mais en l’état de telles constatations relatives à l’existence d’une « influence déterminante » exercée par les sociétés mères du groupe Vinci sur Santerne, le ministre était-il encore compétent pour mettre en œuvre la procédure de transaction de l’article L. 464-9 du code de commerce ? On peut sérieusement en douter ? De fait, si les sociétés mères du groupe Vinci exercent une « influence déterminante » sur Santerne, il en découle logiquement et de façon imparable que les sociétés mères du groupe Vinci et leur filiale, la société Santerne, constituent une seule et même entreprise au sens du droit de la concurrence. De sorte que, compte tenu des plafonds retenus par le législateur pour cantonner les transactions du ministre à ce qui étaient encore à l’époque des PAC locales, à savoir un chiffre d'affaires qui ne dépassant pas 50 millions d’euros pour chaque entreprise considérée individuellement et des chiffres d'affaires cumulés ne dépassant pas 200 millions d’euros réalisés par l’ensemble des entreprises qui ont pris part à la pratique, le ministre n’était pas compétent pour connaître des pratiques mises en œuvre par l’entreprise composée par les sociétés mères du groupe Vinci et leur filiale, la société Santerne. On objectera et c’est du reste ce que fait l’Autorité au point 98 de la présente décision, l’article L. 464-9 du code de commerce prévoit que ces dispositions s’appliquent aux « entreprises auteurs » des pratiques, de sorte que les seuils de chiffre d’affaires visés par cette disposition doivent donc être calculés en tenant compte du chiffre d’affaires réalisé par les seules sociétés auteurs des pratiques, et non celui du groupe auquel ces sociétés appartiennent. En premier lieu, on relèvera que le texte de l’article L. 464-9 du code de commerce renvoie lorsqu’il évoque les plafonds de chiffres d’affaires aux « entreprises » (« elles ») et non aux « auteurs », même s’ils est exact par ailleurs que le texte permet au ministre d’enjoindre aux « entreprises » de mettre un terme aux pratiques dont elles sont les « auteurs ». Il n’en reste pas moins que le terme d’entreprise a une signification particulière en droit de la concurrence et que la notion d’entreprise doit être mise en œuvre de façon cohérente. Par suite, et dès lors que l’on constate que les sociétés mères du groupe Vinci et leur filiale, la société Santerne, constituent une seule et même entreprise au sens du droit de la concurrence, il en découle logiquement que cette entreprise est dans son ensemble l’auteure de la pratique, même si seule la filiale y a pris part directement et activement. Partant, une application cohérente de la notion d’entreprise au sens du droit de la concurrence aurait dû conduire à considérer qu’au cas d’espèce, le ministre n’était pas compétent pour connaitre de cette affaire… et par suite que seule l’Autorité de la concurrence l’était.
Or, il se trouve que, lorsque le rapport de la BIEC de Lille — celui-là même qui concluait très clairement à l’existence d’une « influence déterminante » exercée par les sociétés mères du groupe Vinci sur Santerne — a été transmis par le ministre de l’économie au rapporteur général de l’Autorité de la concurrence, ce dernier, par courrier du 29 décembre 2017, a répondu qu’il n’entendait pas proposer à l’Autorité de se saisir d’office de cette affaire, laissant en quelque sorte le dossier au ministre, dont il est pour le moins douteux qu’il avait encore la compétence pour s’en saisir… Mais si cette interprétation de la notion d’entreprise a l’aune de la mise en œuvre de l’article L. 464-9 du code de commerce est exact, alors le ministre, incompétent pour traiter du dossier en transaction, l’était encore moins pour saisir, à la suite du refus de la transaction opposée par la société Santerne, en application des articles L. 464-9 et R. 464-9-3 du code de commerce, l’Autorité de pratiques mises en œuvre dans le secteur de la gestion technique des bâtiments de LMCU par la société Santerne… et ses sociétés mères ! Du reste, il serait pour le moins choquant d’admettre que l’Autorité, qui d’emblée était la seule compétente pour connaitre du dossier, puisse en hériter après avoir décliner sa compétence au stade préliminaire de la présentation du rapport administratif d’enquête…
L’argument de l’Autorité de la concurrence selon lequel l’article L. 464-9 du code de commerce s’appliqueraient aux seules « entreprises auteurs » des pratiques, tandis que la procédure suivie devant elle à la suite de la transmission par le ministre du dossier en cas de refus d’entrer dans les voies de la transaction pourrait s’étendre aux sociétés mères exerçant sur leurs filiales une influence déterminante, vaut d’autant moins que ce raisonnement introduit une rupture d’égalité manifeste entre les entreprises autonomes et les filiales de sociétés mères exerçant sur elles une influence déterminante. De fait, alors que le refus de la transaction du ministre et la transmission du dossier à l’Autorité de la concurrence est sans grande conséquence pour les entreprises autonomes, en revanche, le même refus de la transaction proposée par le ministre de la part de filiale d’un grand groupe, pourrait avoir de graves conséquences, dès lors que, devant l’Autorité, celle-ci leur notifiera des griefs en qualité de sociétés mères exerçant une influence déterminante sur leur filiale et qu’elle se verront assurément imputer les pratiques de leur filiale. Ce faisant, aucune société exerçant une influence déterminante sur sa filiale ne prendra le risque de refuser le transaction proposée par le ministre, qui ne peut, en pareil cas, prendre en compte le chiffre d’affaires des sociétés mère. Ce serait prendre le risque de se voir notifier des griefs, de se voir imputer les pratiques de la filiale, et, partant, de voir pris en compte son chiffre d’affaires dans le calcul de l’amende et d’écoper d’une bien plus lourde amende solidairement avec sa filiale. De sorte que la lecture de l’article L. 464-9 du code de commerce faite par l’Autorité de la concurrence... et par le ministre aurait pour effet de priver, dans les faits, les sociétés exerçant une influence déterminante sur leur filiale d’une voie de recours devant l’Autorité, les obligeant en pratique à accepter le transaction du ministre.
La rupture d'égalité que porte en germe l’article L. 464-9 du code de commerce est d'autant plus manifeste qu'elle en quelque sorte à double détente. Devant le ministre, le fait, comme au cas d'espèce du reste, que ce dernier puisse dans une même affaire proposer une transaction, d'une part, à deux entreprises autonomes en prenant en compte l'intégralité de leur chiffre d'affaires comme assiette de la sanction, et, d'autre part, à la seule filiale d'un groupe dont le chiffre d’affaires mondial consolidé pour 2018 a atteint 43,5 milliards d’euros, tandis que le chiffre d’affaires de ladite filiale retenu comme assiette de la sanction représentait moins de 0,1 % du chiffre d’affaires total du groupe Vinci, n'introduit-il pas une seconde rupture d'égalité — peut-être plus grave que la première ? Cette seconde rupture d'égalité se fait celle-là au détriment des entreprises autonomes, le cas échéant, monoproduits, qui proportionnellement seront infiniment plus sanctionnées que la filiale du grand groupe, dont, pourtant, le ministre savait, par le rapport administratif d’enquête établi en 2017 par ses propres services — la Brigade interrégionale d’enquête de concurrence (BIEC) de Lille —, qu'il exerçait une « influence déterminante » sur sa filiale Santerne ? Bizarrement, là où habituellement les entreprises monoproduit se trouvent relativement épargnées, devant le ministre, elles sont comparativement plus mal traitées. N'est-il pas temps que la notion d'entreprise, devenue prégnante dans le droit moderne de la concurrence, infuse jusque et y compris la procédure de transaction de l’article L. 464-9 du code de commerce ???
De leur côté, les sociétés Vinci Energies France, Vinci Energies et Vinci soutenaient, pour contester l’imputabilité à elles de la pratique mise en œuvre par leur filiale, qu’en s’estimant compétent pour traiter cette affaire, le ministre de l’économie avait forcément considéré que Santerne était une entreprise autonome du groupe Vinci, dans la mesure où le chiffre d’affaires français de celui-ci excède très largement le seuil de 50 millions d’euros. Elles relevaient à cet égard que l’Autorité avait été saisie par le ministre de l’économie « des pratiques imputables à la société Santerne Nord Tertiaire », et non à leurs sociétés mères. Elles invoquaient, en deuxième lieu, une violation de leurs droits de la défense, au motif qu’elles n’ont pas été mesure de se défendre devant la DGCCRF, ni d’accepter le cas échéant l’offre de transaction proposée par cette dernière à leur filiale. Sur quoi l’Autorité répond que la circonstance que l’Autorité ait été saisie par le ministre chargé de l’économie « des pratiques imputables à la société Santerne Nord Tertiaire » est indifférente dans la mesure où, saisie in rem, l’Autorité n’est pas liée par la saisine ministérielle. Par ailleurs, selon l’Autorité, si Vinci, Vinci Energies et Vinci Energies France n’ont pas été parties à la procédure devant la DGCCRF, elles ont pu déposer leurs observations dans le cadre de la procédure devant l’Autorité. Les trois sociétés mères de Santerne ont d’ailleurs produit des éléments en réponse à la notification de griefs et en séance, de sorte qu’aucune violation des droits de la défense et du contradictoire ne saurait être caractérisée à leur encontre.
Sur la sanction, on notera encore qu’au cas d’espèce, l’Autorité retient, pour déterminer le montant de base de la sanction des sociétés mises en cause, une proportion de 0,8 % du chiffre d’affaires total réalisé en France par Santerne sur l’exercice 2014, soit un montant de base de la sanction de 222 707 euros, au regard de la gravité des faits et de l’importance du dommage causé à l’économie. En outre, l’Autorité tient compte, au titre de l’individualisation de la sanction, de la taille du groupe Vinci, auquel appartient Santerne. Ainsi, pour que la sanction soit dissuasive, le montant de base de la sanction pécuniaire infligée à Santerne, solidairement avec ses sociétés mères Vinci Energies France, Vinci Energies et Vinci, est augmenté de 70 %, à quoi s’ajoute, au titre de la réitération des pratiques une majoration de 15 % de la sanction. Enfin, l’Autorité ordonne la publication, aux frais des mises en cause, dans l’édition papier et sur le site Internet du journal « La Voix du Nord » et de la revue « Le Moniteur des travaux publics et du bâtiment » du résumé de la présente décision.
Pour le surplus, je vous renvoie à la lecture du communiqué de l'Autorité de la concurrence.
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INFOS : Faute pour un distributeur agréé d’avoir démontrer son état de dépendance économique à l’égard d’un grand éditeur de logiciels de conception et de fabrication assistées par ordinateur, l’Autorité écarte une nouvelle fois la caractérisation d’un abus de dépendance économique et rejette la saisine de la du distributeur pour défaut d’éléments probants
Le 3 mars 2021, l’Autorité de la concurrence a rendu publique une décision n° 21-D-04 adoptée le 24 février 2021 à propos de pratiques dénoncées dans le secteur de l’édition et de la vente de logiciels professionnels.
En septembre 2020, la société Cartocad, distributeur de produits logiciels et de services associés pour le compte d’Autodesk, l’un des dix plus grands éditeurs de logiciels de conception et de fabrication assistées par ordinateur (CAO), a saisi l’Autorité de la concurrence de pratiques qu’aurait mises en œuvre le groupe Autodesk et qui seraient contraires au deuxième alinéa de l’article L. 420-2 du code de commerce. En particulier, la société Cartocad reproche à Autodesk i) d’abuser de la situation de dépendance économique de ses revendeurs agréés, dont elle fait partie, et ii) d’être à l’origine de la création d’un déséquilibre significatif dans les droits et obligations du contrat qui les lie.
À partir de 2010, Autodesk a amorcé une transition de son modèle économique de la vente d’une licence (perpétuelle ou à durée limitée), qui autorise l’utilisateur à installer le logiciel sur sa ou ses machines sans cession des droits d’auteur, vers la vente d’une solution dite « SaaS » (Software as a Service) dans laquelle l’accès au logiciel installé sur un serveur distant, dont l’hébergement est géré par l’éditeur, est facturé à l’utilisateur qui paie à l’utilisation ou via un abonnement, au point qu’en 2019, le modèle SaaS contribuait, à hauteur de 85 %, au chiffre d’affaires global du groupe Autodesk. Parallèlement, l’organisation de la distribution des produits est passée d’un réseau était purement sélectif à un réseau multicanal. Aux termes du contrat le liant à Autodesk, Cartocad ne disposait pas d’un droit exclusif de fournir les produits Autodesk et services associés sur son territoire géographique d’activité. Au contraire, Autodesk se réservait la possibilité d’intervenir directement sur ce territoire, auprès des clients finaux, ou par le biais d’un autre distributeur. En revanche, le contrat prévoyait que Cartocad pouvait commercialiser et distribuer des produits concurrents, sous réserve de maintenir une équipe commerciale et technique dédiée exclusivement aux activités de distribution des produits Autodesk, pour des raisons de confidentialité.
Le dernier contrat entre Cartocad et Autodesk a été signé le 25 février 2016 et devait expirer le 31 janvier 2019. Autodesk a notifié à Cartocad par courrier recommandé du 25 janvier 2019 « la fin des relations commerciales entre [les] deux sociétés après expiration d’un préavis de 18 mois, soit à compter du 1er août 2020 ».
La saisissante reproche à Autodesk d’avoir abusé de sa situation de dépendance économique « lors de la mise en place de sa politique de restructuration de son modèle d’affaires ayant pour objectif de basculer vers la vente multicanale de licences de logiciels en ligne sous forme d’abonnements », en maintenant, dans le but de « s’en défaire », ses revendeurs dans une situation d’insécurité juridique et économique. Avançant que les ventes des produits Autodesk et des services associés représentent plus de 90 % de son chiffre d’affaires annuel, Cartocad estime être en situation de dépendance économique au sein du réseau de distribution d’Autodesk et ne pas disposer de solution de remplacement, en raison du fait que les produits et services du groupe Autodesk bénéficient d’une notoriété particulière dans la mesure où celui-ci serait en position dominante sur le marché des logiciels de CFAO. En outre, l’obligation d’embaucher « parallèlement aux collaborateurs de la société, une équipe commerciale et technique dédiée uniquement à la promotion et la vente des produits Autodesk », constituerait un obstacle juridique à la faculté de diversifier son approvisionnement auprès des éventuels concurrents de la société Autodesk.
Aux termes de la présente décision, l’Autorité de la concurrence rejette la saisine de la société Cartocad pour défaut d’éléments probants. L’Autorité estime que les faits dénoncés à l’encontre de la société Autodesk ne sont pas appuyés par des éléments suffisamment probants pour caractériser un abus de dépendance économique de la part d’Autodesk à l’encontre de Cartocad.
En effet, les dispositions du deuxième alinéa de l’article L. 420-2 du code de commerce relatives à l’abus de dépendance économique supposent la réunion de trois conditions cumulatives : l’existence d’une situation de dépendance économique d’une entreprise à l’égard d’une autre, une exploitation abusive de cette situation et une affectation, réelle ou potentielle du fonctionnement ou de la structure de la concurrence. En l’absence de l’une de ces trois conditions, l’abus de dépendance économique allégué n’est pas établi.
La saisine concerne deux segments au sein des gammes de logiciels dits « de conception assistée par ordinateur » (CAO) : le segment « bâtiment » et le segment « mécanique ».
À cet égard, l’Autorité observe que la saisissante n’a pas fourni d’éléments permettant d’apprécier les présences respectives et les différences de notoriété des marques des logiciels présents sur ces segments et de conclure que, dans les gammes de logiciels de CAO disponibles dans le segment « bâtiment » et dans le segment « mécanique », ne se trouvent pas des produits de marque ou présentant des caractéristiques techniques telles qu’ils pourraient être considérés comme interchangeables avec les produits d’Autodesk (pt. 57). Il apparaît au contraire qu’il existe un certain nombre de logiciels développés par d’autres éditeurs sur les marchés en question (pts. 58-59). En outre, la saisine ne fournit pas d’éléments pour apprécier les différences de notoriété des marques des logiciels présents sur ces segments et conclure au caractère incontournable de la marque Autodesk pour les distributeurs de logiciels de PLM (pt. 60). Par ailleurs, la saisissante ne verse aux débats aucune pièce permettant d’apprécier le positionnement d’Autodesk sur les différents segments de marché en cause (pt. 61).
Quant à l’impossibilité dans laquelle se trouverait le distributeur de trouver des solutions de remplacement pour l’activité de distribution qu’il exerce, l’Autorité reève, outre le fait que des logiciels interchangeables existent sur le marché, à propos des contraintes contractuelles mises en avant par Cartocad concernant le personnel technique et commercial dédié aux produits et services d’Autodesk, que, suite à la perte de sa spécialisation « mécanique » au 1er août 2015, Cartocad disposait de personnels certifiés par Autodesk, à tout le moins un ingénieur technique et un commercial, désormais libérés de leurs obligations et qui auraient pu être affectés à d’autres activités, y compris auprès d’un réseau de distribution concurrent (pt. 63). Du reste, Cartocad n’a pas démontré, dans sa saisine ou au cours de la séance du 25 janvier 2021, en quoi cette reconversion et réaffectation de personnels, notamment auprès des réseaux alternatifs de distribution de logiciels de PLM, aurait été impossible en raison de la relation contractuelle entre les parties (pt. 64). L’Autorité déduit de là qu’il n’est pas établi que la vente de produits concurrents ne pouvait constituer une alternative économiquement viable aux activités de distribution de Cartocad pour le compte d’Autodesk (pt. 65). En tout état de cause, ajoute l’Autorité, aucun élément factuel ne permet de démontrer une altération, même potentielle, de la concurrence (pt. 66). En effet, Cartocad a poursuivi, malgré la fin de sa relation contractuelle avec Autodesk au 1er août 2020, son activité auprès de ses clients par le biais du système de sous-distribution des produits Autodesk, pour lesquels elle s’approvisionne auprès d’un grossiste, maintenant ainsi un degré de concurrence intra-marque au sein du réseau de distribution.
Puisque les faits dénoncés par la société Cartocad ne sont pas appuyés par des éléments suffisamment probants pour caractériser un état de dépendance économique de Cartocad à l’égard d’Autodesk et que l’état de dépendance économique mentionné au deuxième alinéa de l’article L. 420-2 du code de commerce est une condition de l’application de cet article, l’Autorité a estimé qu’il n’était pas nécessaire d’analyser le caractère abusif des comportements dénoncés.
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Les candidatures sont ouvertes
Bonjour,
We are thrilled to announce that submissions are now open for the 2021 Antitrust Writing Awards.
Now in their 10th year, the Antitrust Writing Awards are the field’s largest awards for written thought. Participation in the Awards process, whether as an author, jury member, or reader, helps highlight the best antitrust ideas of the past year.
The present Call for Nominations concerns 3 types of publications:
— Best Articles: Articles published or accepted for publication in 2020, in both academic journals and professional magazines.
— Best Soft Laws: Most innovative non-enforcement tools issued by competition agencies in 2020, such as guidelines, market studies, white books, etc.
— Best Student Papers: Articles written or published in 2020 by current students of law or economics.
Deadline for submissions is Monday, April 5, 2021. You can submit your article here.
See the eligibility rules here.
Winners will be announced at the online Awards Ceremony on Wednesday, June 30, 2021, and accept their Awards in the presence of the Board and Steering Committee Members. To see the full list of Jury members, click here.
The Antitrust Writing Awards is a joint initiative between Concurrences and the George Washington University Law School. Learn more about the Jury, the Awards categories and Rules on the dedicated website.
Bien cordialement,
Achet-Billa Saleh - Ariel Salvaro
Global Events Manager - Events Coordinator
For the 2021 Antitrust Writing Awards Editorial Committee
awards.concurrences.com
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Webinaire #1
Digital antitrust reforms in the EU and the US
10 mars 2021 17:30 CET
Bonjour,
Les cabinets White & Case et Positive Competition, en partenariat avec la revue Concurrences, ont le plaisir de vous inviter au premier webinaire de la 2ème édition de la conférence « Numérique et Concurrence » qui aura lieu le mardi 9 mars 2021 à 17h30 CET :
« Digital antitrust reforms in the EU and the US »
Doug Melamed (Professeur, Stanford Law School), Giovanni Pitruzzella (Avocat général, Cour de justice), et Heike Schweitzer (Professeur, Université Humboldt de Berlin) interviendront à nos côtés.
Inscription libre sur le site dédié.
Nous espérons vous accueillir — virtuellement — nombreux le mardi 9 mars pour ce webinaire.
Meilleures salutations,
Xavier Boutin | Associé, Positive Competition, Bruxelles/Paris
Jacquelyn MacLennan | Associée, White & Case, Bruxelles/Londres
Webinaire #2
Tipping
10 mars 2021 16:30 CET
Bonjour,
La Revue Concurrences, en partenariat avec les cabinets Oxera et Shearman & Sterling, a le plaisir de vous inviter au deuxième webinaire de la 2ème édition de la conférence « Numérique et Concurrence » qui aura lieu le mercredi 10 mars 2021 à 16h30 CET et avec la présence exceptionnelle du Commissaire Thierry Breton qui prononcera le discours d'ouverture de ce webinaire.
Suivra la seconde table-ronde de la conférence intitulée « Tipping: Should regulators intervene before or after? » avec :
— Pinar Akman (Professeur de droit, Université de Leeds)
— Kyle Andeer (Vice-président - Corporate Law & Chief Compliance Officer, Apple)
— Eliana Garces-Tolon (Directrice - Economic Policy, Facebook)
— Helen Jenkins (Managing Partner, Oxera)
— Andreas Mundt (Président, Bundeskartellamt)
Inscription libre sur le site dédié.
Nous espérons vous accueillir — virtuellement — nombreux le mercredi 10 mars pour ce webinaire exceptionnel.
Meilleures salutations,
Nicolas Charbit | Rédacteur en chef, Concurrences
Achet-Billa Saleh | Global Events Manager, Concurrences
Webinaire #3
What can digital antitrust learn from Business & Management Science?
11 mars 2021 17:30 CET
Bonjour,
La Revue Concurrences, en partenariat avec le cabinet Oxera, a le plaisir de vous inviter au troisième webinaire de la 2ème édition de la conférence « Numérique et Concurrence » qui aura lieu le jeudi 11 mars 2021 à 17h30 CET :
« What can digital antitrust learn from Business & Management Science? »
Les intervenants seront :
— Amelia Fletcher (Professeur, Université d'East Anglia)
— Marco Iansiti (Professeur de gestion des entreprises et titulaire de la chaire David Sarnoff - Co-directeur du laboratoire Information Science, Harvard Business School, Boston)
— David Teece (Thomas W. Tusher Professor in Global Business, University of California’s Haas School of Business | Executive Chairman, BRG, San Francisco)
— Modératrice : Avantika Chowdhury (Associée, Oxera, Bruxelles/Londres)
Inscription libre sur le site dédié.
Nous espérons vous accueillir — virtuellement — nombreux le jeudi 11 mars pour ce webinaire.
Meilleures salutations,
Nicolas Charbit | Rédacteur en chef, Concurrences
Achet-Billa Saleh | Global Events Manager, Concurrences
Webinaire #4
Business angels, VC and CVC
12 mars 2021 17:30 CET
Bonjour,
La revue Concurrences, en partenariat avec les cabinets White & Case et Analysis Group, organisera le quatrième webinaire de la conférence « Digital and competition » 2021 le vendredi 12 mars 2021 à 17h30 CET :
« Business angels, VC and CVC: What role for antitrust and regulatory policy? »
Benedict Evans (Analyste indépendant), Marie-Barbe Girard (Membre du Comité de sélection, Station F), Daniel Sokol (Professeur de droit, Université de Floride | Senior Advisor, White & Case) et Andrew McCreary (Candidat de JD/MBA (2021) Stanford Law School | Co-autheur de l'article « How Venture Capital’s “Exit Strategy” Drives Tech Industry Concentration » avec Mark A. Lemley) interviendront à mes côtés à cette occasion.
Ce panel sera suivi par un « fireside chat » avec Oliver Bethell (Head of Competition EMEA, Google) et Antoine Chapsal (Associé, Analysis Group).
Inscription libre sur le site dédié.
J'espère vous accueillir — virtuellement — nombreux le vendredi 12 mars pour ce webinaire.
Meilleures salutations,
Nicolas Petit | Professor of European Competition Law, European University Institute, Florence
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