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L'actualité la plus récente du droit de la concurrence
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Hebdo n° 44/2022
19 décembre 2022
Actualités de la semaine du 28 novembre au 2 décembre 2022
SOMMAIRE
 
JURISPRUDENCE AIDES D’ÉTAT : Estimant que la construction de deux nouveaux réacteurs nucléaires en Hongrie ne présente pas de lien indissociable avec l’objet de l’aide à l’investissement versée, le Tribunal de l’Union juge que l’attribution du marché de construction de ces deux réacteurs n’avait pas à faire l’objet d’une procédure d’appel d’offres et rejette en conséquence le recours de l’Autriche contestant l’aide hongroise approuvée par la Commission

JURISPRUDENCE ACTION PRIVÉE EN RÉPARATION DU DOMMAGE CONCURRENTIEL : La charge de la preuve de la répercussion des surcoûts continue de peser sur la victime lorsque les faits commis sont antérieurs à l’entrée en vigueur de la directive « dommages » [Commentaire de Muriel Chagny]

INFOS UE : La Commission sanctionne à hauteur de 157 millions d’euros une entente entre six entreprises sur les prix à l’achat du styrène, un intrant essentiel à de nombreux produits chimiques

INFOS AIDES D’ÉTAT : La Commission dévoile les résultats de l’évaluation des règles applicables aux SIEG dans le domaine des services sociaux et de santé et pour les aides de minimis : vers un alignement du règlement de minimis relatif aux SIEG sur le règlement de minimis général ?

INFOS CONTRÔLE DES CONCENTRATIONS UE : Nourrissant des craintes à propos de l'édition de livres et de magazines, la Commission ouvre, sans surprise, une enquête approfondie sur le projet d'acquisition de Lagardère par Vivendi


INFOS : Estimant que beIN Sports et Groupe Canal Plus ont cherché à remettre en cause les conclusions qu’elle avait adoptées en 2021 à propos de la remise en jeu, à la suite de la défaillance de Mediapro, des seuls droits de diffusion de la Ligue 1 acquis par la société espagnole, conclusions validées par la Cour d’appel de Paris, l’Autorité rejette par des motifs proches, cette fois à propos de la réattribution des mêmes droits à Amazon, leur saisine au fond pour défaut d’éléments suffisamment probants, et, partant, les demandes de mesures conservatoires

INFOS : Opération des magasins Leclerc sur la baguette de pain à 29 centimes : l’Autorité rejette la saisine d’un boulanger niçois pour défaut d’éléments démontrant une pratique de prix abusivement bas

 

JURISPRUDENCE AIDES D’ÉTAT : Estimant que la construction de deux nouveaux réacteurs nucléaires en Hongrie ne présente pas de lien indissociable avec l’objet de l’aide à l’investissement versée, le Tribunal de l’Union juge que l’attribution du marché de construction de ces deux réacteurs n’avait pas à faire l’objet d’une procédure d’appel d’offres et rejette en conséquence le recours de l’Autriche contestant l’aide hongroise approuvée par la Commission

 

Le 30 novembre 2022, le Tribunal de l’Union européenne a rendu son arrêt dans l’affaire T-101/18 (République d’Autriche contre Commission européenne).

Elle y confirme la décision du 6 mars 2017 à la faveur de laquelle la Commission, après avoir considéré que l’aide à l'investissement pour la construction de deux nouveaux réacteurs nucléaires sur le site de Paks en Hongrie, destinés à remplacer les quatre réacteurs actuellement en fonction sur le site, construits dans les années 80 et qui assuraient environ 50 % de la production nationale d’électricité, constituait une aide d'État au sens de l'article 107, § 1, TFUE, dès lors que l'État hongrois consentirait à un retour sur investissement inférieur à ce qu'accepterait un investisseur privé, a conclu que cette aide était compatible avec le marché intérieur, eu égard aux engagements substantiels souscrits par la Hongrie — éviter une surcompensation de l'exploitant de Paks II, éviter une concentration du marché et assurer sa liquidité —, estimant au final que le montant de l'aide était limité et proportionné aux objectifs poursuivis, tandis que les distorsions de concurrence engendrées par l'aide publique étaient limitées.

L’Autriche, soutenue par le Luxembourg, avait introduit un recours visant à l’annulation de la décision attaquée. Au soutien de la Commission, on trouvait pêle-mêle, au-delà de la Hongrie, la France, la République tchèque, la Pologne, la Slovaquie et le Royaume-Uni, bref les principaux producteurs d’énergie nucléaire.

À l’appui de son recours, elle évoquait finalement pas moins de huit moyens.

Par son premier moyen, tiré de l’absence d’une procédure de passation de marché public, la République d’Autriche faisait valoir que la décision attaquée était entachée d’une illégalité dans la mesure où une procédure de passation de marché public pour la construction des nouveaux réacteurs nucléaires en faveur de la société Paks II aurait dû être lancée. Selon la requérante, dès lors que l’attribution du marché de construction des nouveaux réacteurs était une modalité indissociable de l’aide en cause (pt. 18), la Commission était tenue d’examiner celle-ci également au regard des règles de l’Union en matière de passation de marchés publics.

Selon elle, il ressortirait, de surcroît, de l’arrêt Autriche/Commission du 22 septembre 2020 que la Commission aurait dû apprécier l’aide en cause au regard des dispositions du droit de l’Union sur la passation de marchés publics indépendamment de la question de savoir si l’attribution du marché de construction constituait une modalité indissociable de cette aide.

Pour rejeter le moyen, le Tribunal écarte d’abord l’argumentation fondée sur l’arrêt Autriche/Commission, d’où il résulte que l’activité économique promue par l’aide doit être compatible avec le droit de l’Union. Or, aucune violation de dispositions du droit de l’Union du fait de l’activité soutenue, à savoir la production d’énergie nucléaire, n’a été invoquée dans le cadre du premier moyen par la requérante (pt. 27). En outre, il ne ressort pas de cet arrêt que la Cour aurait entendu élargir l’étendue du contrôle incombant à la Commission dans le cadre d’une procédure visant à vérifier la compatibilité d’une aide d’État avec le marché intérieur, en abandonnant sa jurisprudence selon laquelle il convenait d’opérer une distinction entre les modalités présentant un lien indissociable avec l’objet de l’aide et celles qui n’en avaient pas (pts. 29-30).

Par ailleurs, la reconnaissance, dans le cadre d’une procédure visant à vérifier la compatibilité d’une aide d’État avec le marché intérieur, d’une obligation imposant à la Commission de prendre position de manière définitive sur l’existence ou l’absence d’une violation de dispositions du droit de l’Union distinctes de celles relatives aux aides d’État, quel que soit le lien entre la modalité d’aide et l’objet de cette aide, se heurterait, d’une part, aux règles et aux garanties procédurales qui sont propres aux procédures spécialement prévues pour le contrôle de l’application de ces dispositions et, d’autre part, au principe d’autonomie des procédures administratives et des voies de recours (pt. 31). Par suite, estime le Tribunal, la Commission n’a pas commis d’erreur de droit lorsqu’elle a estimé qu’il convenait de limiter son contrôle, dans le cadre de la procédure de l’article 108 TFUE, à la mesure d’aide elle-même ainsi qu’aux modalités présentant un lien indissociable avec celle-ci (pt. 34).
 
Le Tribunal juge, ensuite, que c’est à tort que la République d’Autriche fait valoir que le fait d’avoir chargé JSC NIAEP de la construction des nouveaux réacteurs constitue une modalité indissociable de l’objet de l’aide, au motif qu’une mise en concurrence des concurrents aurait pu aboutir à une aide totalement différente, notamment au regard du montant et de la structure de cette dernière. En l’espèce, l’aide en cause consiste en la mise à disposition à titre gratuit de deux nouveaux réacteurs nucléaires au profit de la société Paks II aux fins de leur exploitation. La question de savoir si l’attribution du marché de construction de ces deux réacteurs aurait dû faire l’objet d’une procédure d’appel d’offres concerne la fabrication et l’approvisionnement du bien qui sera mis à disposition à titre gratuit et se situe ainsi en amont de la mesure d’aide proprement dite, de sorte que la décision d’attribution du marché de développement et de construction des deux nouveaux réacteurs ne constitue pas une modalité de l’aide elle-même (pts. 35-36). De plus, à supposer qu’une procédure d’appel d’offres ait eu une influence sur le montant de l’aide, ce que l’Autriche n’a pas démontré, une telle circonstance n’aurait eu en soi aucune conséquence sur l’avantage que ladite aide constituait pour son bénéficiaire, à savoir la mise à disposition gratuite de deux nouveaux réacteurs en vue de leur exploitation (pt. 38).

Le Tribunal souligne, enfin, que, contrairement à ce que soutient l’Autriche, la Commission était fondée à renvoyer, dans la décision attaquée, à son appréciation effectuée dans le cadre d’une procédure en manquement antérieure, dans laquelle elle avait conclu que l’attribution directe de la construction des deux nouveaux réacteurs à la société JSC NIAEP ne violait pas le droit de l’Union en matière de passation de marchés publics. En effet, le principe de sécurité juridique exclut que la Commission puisse réexaminer l’attribution du marché de construction dans le cadre de la procédure d’aide d’État en l’absence de nouvelles informations par rapport au moment auquel elle a décidé de clore la procédure en manquement (pt. 47).

Par son quatrième moyen, tiré du caractère disproportionné de la mesure d’aide en cause, la République d’Autriche soutenait que la Commission avait omis de vérifier que les effets négatifs, dont les effets sur l’environnement, notamment en ce qui concerne l’élimination des déchets, ne primaient pas sur les éventuels avantages de l’aide. En outre, la requérante dénonçait l’absence d’une prise en compte des solutions de remplacement de l’énergie nucléaire.

Sur quoi, le Tribunal rappelle qu’il ressort de l’article 194, § 2, second alinéa, TFUE ainsi que de l’article 1er, deuxième alinéa, de l’article 2, sous c), et de l’article 192, premier alinéa, du traité Euratom qu’un État membre est libre de déterminer la composition de son bouquet énergétique, de sorte que le choix de la Hongrie d’octroyer une aide en faveur de la promotion de l’énergie nucléaire ne saurait, à lui seul, être remis en cause, en dépit du fait qu’il implique que les ressources publiques consacrées à ce projet ne sont pas disponibles pour d’autres projets (pt. 82). En outre, estime-t-il, la Hongrie était également en droit de définir la construction de nouvelles capacités de production d’énergie nucléaire comme un objectif d’intérêt public au sens de l’article 107, § 3, sous c), TFUE (pt. 83).

Dans la même veine, la requérante dénonçait, à la faveur de son cinquième moyen, tiré de l’existence de distorsions disproportionnées de la concurrence et d’inégalités de traitement qui rendraient l’aide incompatible avec le marché intérieur, le traitement inégal dont on aurait fait preuve à l’égard des producteurs d’énergie renouvelable. Sur ce point, le Tribunal rappelle qu’un État membre était libre de déterminer la composition de son bouquet énergétique et que, partant, la Commission ne peut exiger que les financements de l’État soient affectés aux sources d’énergie alternatives. Il s’ensuit également qu’il ne peut être imposé à un État membre de prévoir des conditions de financement ou d’exploitation absolument identiques pour tous les producteurs d’énergie. Cette exigence exclurait par ailleurs toute aide à un projet précis de production d’énergie (pt. 97).

Pour le reste, le Tribunal écarte tour à tour, les autres moyens tirés de l’illégalité d’une aide à une entreprise en difficulté, du renforcement ou de la création d’une position dominante sur le marché, du risque pour la liquidité du marché de gros d’électricité hongrois, ainsi que les moyens tirés de la détermination insuffisante de l’aide d’État et d’une motivation insuffisante.  

Pour le surplus, je vous renvoie à la lecture du communiqué de presse du Tribunal.

JURISPRUDENCE ACTION PRIVÉE EN RÉPARATION DU DOMMAGE CONCURRENTIEL : La charge de la preuve de la répercussion des surcoûts continue de peser sur la victime lorsque les faits commis sont antérieurs à l’entrée en vigueur de la directive « dommages » [Commentaire de Muriel Chagny]

 

RÉPERCUSSION DES SURCOÛTS —  PRÉSOMPTION — APPLICATION DANS LE TEMPS

Cass. com. 19 octobre 2022, n° 21-19197

La directive « dommages » du 26 novembre 2014 s’est attachée à faciliter la tâche probatoire des victimes de pratiques anticoncurrentielles et a eu recours, dans cette perspective, au mécanisme des présomptions à différents égards.

Comme le souligne fort justement Madame la Conseillère Poillot-Peruzzetto dans son premier rapport, « la question du droit applicable ratione temporis est particulièrement cruciale tant les dispositions nouvelles résultant de la directive facilitent ces actions » (p. 23 ; l’auteur tient à lui adresser des remerciements pour la communication de ses deux rapports, le second ayant été établi à titre complémentaire à la suite de l’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne, le 22 juin 2022, dans l’affaire C-267/20 Volvo DAF Trucks). Cependant, cela est plus ou moins vrai selon les textes concernés.

Ainsi, avant même que le nouvel article L. 481-2 du code de commerce édictant une présomption irréfragable de pratique anticoncurrentielle en présence d’une condamnation définitive par l’Autorité de la concurrence soit applicable dans le temps, la démonstration de la faute est facilitée en pareil cas : les juridictions font leur miel des constatations effectuées par l’autorité spécialisée au moment où elles se prononcent sur le point de savoir si celui dont la responsabilité civile est recherchée a effectivement violé le droit des pratiques anticoncurrentielles et, partant, commis une faute au sens de l’article 1240 du code civil.

Il en va bien autrement de la présomption d’existence du préjudice introduite par la directive « dommages » dans le cas des cartels (art. L. 481-7 C. com. transposant l’art. 17 § 2 Dir.) et, plus encore, de la présomption de non-répercussion des surcoûts énoncée au bénéfice de l’acheteur intermédiaire ayant revendu en l’état ou incorporé dans sa propre production destinée à la vente auprès de tiers, acheteurs indirects, les produits cartellisés.

S’il est logique d’admettre, à l’instar de la Cour de cassation (Cass. com. 15 juin 2010, n° 09-15816) ou de la directive « dommages », le moyen de défense tiré de la répercussion des surcoût, il reste que la solution jurisprudentielle française consistant à faire peser sur l’acheteur direct la démonstration de la non-répercussion constitue, à la lumière de plusieurs affaires récentes, un obstacle majeur sur la voie de l’indemnisation (Cass. com. 15 mai 2012, n° 11-18495).

Consacré à cette difficulté cruciale, l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 19 octobre 2022, mérite dès lors une attention particulière et ne manquera pas d’être intégré dans la prochaine version du recueil fiches méthodologique consacrées au préjudice économique dont la révision est engagée.

Par-delà des faits classiques, puisqu’il s’agissait de l’action en réparation exercée par un grand distributeur à l’encontre de l’un de ses fournisseurs condamné pour avoir pris part à un cartel, le litige ayant donné lieu au pourvoi en cassation avait ceci de particulier que l’action avait été introduite après l’expiration du délai imparti par la directive « dommages » pour la mise en conformité dans les différents États membres, mais avant sa transposition en droit français intervenue avec quelques mois de retard.

Débouté de sa demande de dommages et intérêts au motif que la réalité du préjudice n’était pas démontrée, l’auteur du pourvoi faisant porter l’essentiel de ses critiques articulées en un moyen unique sur la mise à la charge du demandeur en réparation de la preuve de la non-répercussion : il reprochait à la Cour d’appel, d’une part, l’exclusion du bénéfice de la présomption de non-répercussion prévue par la directive « dommages » et d’autre part, l’application faite par cette juridiction du droit antérieur. La Chambre commerciale rejette le moyen dans son intégralité, approuvant la mise à l’écart de la présomption de non-répercussion des surcoûts autant que l’application faite des principes jurisprudentiels antérieurs par la juridiction du fond.

 

1) L’exclusion de la présomption de non-répercussion des surcoûts prévue par la directive « dommages » au bénéfice de la victime


L’auteur du pourvoi tentait de tirer avantage de ce que le délai de transposition était expiré au moment où l’action en réparation avait été introduite en faisant grief aux juges du fond d’avoir privé d’effet direct les dispositions précises, inconditionnelles et complètes de la directive « dommages ».

Cependant, la Cour de cassation rétorque à ce propos, en prenant appui sur la jurisprudence européenne (not. CJCE 26 févr. 1986, aff. C-152/84, Rec. p. 723, pt. 48 ; CJUE 19 janv. 2010, aff. C-555/07, pt. 46), que les directives, étant dépourvues d’effet horizontal, ne peuvent créer par elles-mêmes d’obligations dans le chef d’un particulier et ne peuvent donc être invoquées dans les litiges entre particuliers. La Cour régulatrice approuve dès lors très nettement (« à bon droit ») la Cour d’appel d’avoir considéré que les dispositions de la directive « dommages » n’étaient pas applicables au litige.

La Chambre commerciale fait également brèche à l’argumentation du pourvoi fondée sur l’obligation faite, en vertu du principe de primauté, aux juridictions nationales d’interpréter le droit national conformément au droit de l’Union.

Elle commence par admettre, dans le sillage de la Cour de justice que, lorsque le délai de transposition d’une directive est expiré sans que l’État membre ait pris les dispositions nécessaires, il incombe à une juridiction nationale, statuant dans un litige entre particuliers, d’interpréter le droit national « de façon à rendre la situation en cause immédiatement compatible avec les dispositions de cette directive » non transposée. Toutefois, la Cour de cassation rappelle, immédiatement après, que selon la jurisprudence de la CJUE (22 juin 2022, Volvo AB et DAK Trucks, C-267/20, pt. 77), la juridiction nationale ne saurait à cette occasion « procéder à une interprétation contra legem du droit national ». Elle approuve alors la Cour d’appel ayant retenu que « les dispositions de l’article 13 de la directive étaient incompatibles avec le droit national en vigueur à la date de transposition de celle-ci » d’avoir considéré « à bon droit », qu’il n’y avait pas lieu d’interpréter les règles de preuve applicables à l’action dont elle était saisie à la lumière de ce dernier texte.

S’il s’agit là effectivement d’une limite classique à l’obligation d’interprétation conforme, il est permis de s’interroger sur l’application qui en est faite en présence d’une solution prétorienne. En l’occurrence, la jurisprudence dont il s’agit est d’autant plus susceptible d’évoluer qu’elle ne constitue pas une application mécanique d’une disposition légale, mais d’une interprétation du droit commun de la responsabilité civile. À cet égard, on ne peut manquer de relever avec d’autres (L. Augagneur, Actualités Dalloz) que la souplesse du droit français de la responsabilité civile est telle qu’elle a permis de longue date la création jurisprudentielle d’une présomption d’existence du préjudice en matière de concurrence déloyale, ceci afin de répondre « à la nécessité de permettre aux juges une moindre exigence probatoire, lorsque le préjudice est particulièrement difficile à démontrer » (Com. 12 févr. 2020, n° 17-31.614).

Au demeurant, et en dehors même des impératifs du droit de l’Union, il n’était pas inconcevable d’anticiper la solution nouvelle portée par la directive « dommages » tout en statuant sur le fondement du droit ancien, ce d’autant plus qu’il s’agissait d’une solution prétorienne. La Cour de cassation a parfois procédé de la sorte, notamment à l’occasion de la réforme du droit commun des contrats et la Cour d’appel de Paris avait fait de même, dans un premier temps, précisément à propos de la répercussion des surcoûts (Paris, Pôle 5 ch. 4, 20 sept. 2017, n° 12/0441) avant d’y renoncer et de revenir à la solution traditionnelle (par ex. Paris, Pôle 5 ch. 4, 5 janvier 2022, RG n° 19/22293)

Du point de vue des conflits de lois dans le temps, le pourvoi faisait valoir que les règles organisant la charge de la preuve relèvent de la loi en vigueur au moment de l’introduction de la demande en justice et reprochait à la Cour d’appel d’avoir, pour sa part, raisonné en considération de la date des faits générateurs de responsabilité.

C’était de la sorte interroger la Cour de cassation sur le point de savoir à quelle catégorie — substantielle ou procédurale — appartient la règle édictant la présomption de non-répercussion des surcoûts. Telle est effectivement la méthodologie à suivre, ainsi que l’a récemment indiqué la Cour de justice (CJUE, 22 juin 2022, Volvo AB et DAK Trucks, C-267/20 ; CJUE 10 novembre 2022, aff. C-163/21, Paccar, pt. 30), au moment de se prononcer sur l‘applicabilité ratione temporis d’une disposition issue de la directive « dommages » dont l’article 22, consacré au droit transitoire, repose sur cette distinction entre règles de fond et de procédure, mais sans indiquer de quelle catégorie relève telle ou telle disposition.

Si la Cour de justice s’est récemment prononcée en ce qui concerne la règle édictant une présomption d’existence du préjudice dans le cas des cartels (CJUE, 22 juin 2022, Volvo AB et DAK Trucks, C-267/20), elle n’a pas été appelée à préciser la nature de la présomption de non-répercussion des surcoûts.

Aussi l’une des options envisagées in fine par le rapport complémentaire établi à la suite de l’arrêt Volvo consistait-elle à soumettre à la juridiction européenne une question préjudicielle. La Cour de cassation a cependant choisi de ne pas interroger la Cour de justice par voie de recours préjudiciel, considérant vraisemblablement disposer des éléments nécessaires pour procéder à l’interprétation du droit de la directive « dommages ». Comme le rappelle le rapport, lorsque l'interprétation correcte du droit de l’Union s'impose avec une telle évidence qu'elle ne laisse place à aucun doute raisonnable, il s’agit de l’une des trois dérogations à l’obligation de renvoi faite aux juridictions statuant en dernier ressort (CJUE 6 octobre 2021, Consorzio Italiana Management, aff. C-561/19).

Dans sa réponse, la Chambre commerciale marque avec force son approbation de la solution adoptée par les juges du fond qui ont, « à bon droit », considéré, en présence de faits générateurs de responsabilité antérieurs à l’entrée en vigueur de l’article L. 481-4 du code de commerce, qu’il y avait lieu de faire application des règles anciennes d’origine prétorienne en vertu desquelles il incombe à la victime de faire la preuve de la non-répercussion du surcoût. En raisonnant en fonction de la date des pratiques anticoncurrentielles et non pas, comme le proposait l’auteur du pourvoi, à partir de la date d’introduction de l’action en justice, la Cour de cassation considère, sans l’énoncer explicitement, que la disposition édictant une présomption de non-répercussion des surcoûts constitue une règle de fond.

Entre les deux possibilités de qualification envisagées dans le rapport, la Chambre commerciale a donc choisi de se placer dans le sillage de l’arrêt préjudiciel récent concernant la disposition relative à la présomption d’existence du préjudice pour les ententes entre concurrents (CJUE, 22 juin 2022, préc.).

Au regard de la transposition effectuée en droit français, concevant la disposition plutôt comme une règle de fond, la solution adoptée apparaît pleinement justifiée. Toutefois, il résulte de l’arrêt préjudiciel, suivant sur ce point les conclusions de l’avocat général Rantos, que la détermination de la nature de la règle s’effectue au regard du droit de l’Union et non pas du droit national applicable.

Il n’est alors pas certain que toutes les présomptions prévues par la directive « dommages » soient de même nature et que le raisonnement suivi par la Cour de justice à propos de l’article 17, § 2, soit complètement transposable à l’article 13.

Selon l’intitulé même de cette disposition, il s’agit d’un « moyen de défense », de sorte que ce texte, qui, contrairement à l’article 17, § 2, ne se rapporte pas directement à l’une des trois conditions d’engagement de la responsabilité civile, pourrait bien se limiter à un allègement de la charge de la preuve pour le demandeur en réparation et être par conséquent d’ordre procédural (v. déjà en ce sens nos obs. sous Paris, Pôle 5 ch. 4, 5 janvier 2022, RG n° 19/22293 : L’actu-concurrence Hebdo n° 3/2022, 24 janv. 2022).

2) L’application confortée de la solution jurisprudentielle exigeant la preuve de la non-répercussion des surcoûts par la victime

Après avoir écarté les griefs tenant au refus de faire jouer la présomption issue de la directive « dommages », la Cour de cassation examine les critiques relatives à l’application de la solution prétorienne faisant peser sur la victime la charge de la preuve de la non-répercussion des surcoûts.  

Selon cette jurisprudence (Cass. com. 15 mai 2012, n° 11-18-495), il résulte des dispositions combinées des articles 1240 et 1353 du code civil (antérieurement articles 1382 et 1315) que « la preuve de l’existence du préjudice causé par une pratique anticoncurrentielle incombe au demandeur à la réparation et que celui-ci doit, eu égard aux pratiques habituelles en matière commerciale, établir qu’il n’a pas répercuté le surcoût né d’une entente sur ses propres clients ».

Pour battre en brèche cette solution défavorable aux victimes, l’auteur du pourvoi mobilisait l’argument de l’atteinte portée à l’exigence d’effectivité, tempérament au principe d’autonomie procédurale des États membres et en vertu duquel il incombe aux juridictions nationales de s’assurer que les modalités d’exercice du recours prévues par le droit national ne rendent pas pratiquement impossible ou excessivement difficile l'exercice du droit conféré par le droit de l’Union européenne. Il faisait valoir à cet égard que la preuve mise à la charge de la victime était impossible à rapporter en présence de pratiques anticoncurrentielles anciennes, commises antérieurement au délai légal de conservation des factures qui est de dix ans.

La Cour réfute la critique, considérant que la juridiction du fond, devant laquelle n’était produit ni élément tiré de la comptabilité, ni pièce permettant de vérifier l’absence de marge commerciale, « n’a pas fait application des règles de preuve rendant excessivement difficile l’exercice des recours fondés sur le droit de l’Union européenne ».

On aurait cependant pu être tenté de transposer le raisonnement suivi par la Cour de justice dans un arrêt préjudiciel du 9 novembre 1983 relatif à une disposition nationale subordonnant le remboursement de taxes nationales perçues en violation de prescriptions du droit communautaire à la preuve que ces taxes n’ont pas été répercutées sur des tiers. La juridiction européenne y admet que « le droit communautaire ne fait pas obstacle à ce qu’un système juridique national refuse une restitution de taxes indument perçues lorsque celle-ci entrainerait un enrichissement sans cause des ayant droit » et ajoute que « rien ne s’oppose donc, du point de vue communautaire, à ce que les juridictions tiennent compte, conformément à leur droit national, du fait que les taxes indument perçues ont pu être incorporées dans le prix des marchandises et répercutées ainsi sur les acheteurs ». Cependant, elle précise que « seraient incompatibles avec le droit communautaire toutes modalités de preuve dont l’effet est de rendre pratique impossible ou excessivement difficile l’obtention du remboursement de taxes perçues en violation du droit communautaire. Tel est le cas notamment de présomptions ou de règles de preuve qui visent à rejeter sur le contribuable la charge d’établir que les taxes indument payées n’ont pas été répercutées sur d’autres sujets » (CJCE, 9 novembre 1983, Aff. C-199/82, Administration des finances de l’État italien et San Giorgio, pts. 13 et 14).

L’auteur du pourvoi faisait également porter ses critiques sur l’office du juge. Il tentait de tirer parti du principe bien établi, sur le fondement de l’article 4 du code civil, selon lequel le juge ne peut refuser d’évaluer un préjudice dont il constate l’existence en son principe. Cette branche du moyen est cependant écartée au motif qu’« elle manque en fait », autrement dit que le pourvoi fait dire à l’arrêt d’appel autre chose que ce qu’il contient, les juges du fond n’ayant pas constaté l’existence d’un préjudice.

Il reprochait encore aux juges de ne pas avoir procédé à certaines recherches. Tout aussi vainement !

L’argumentation tenant à l’impact de la loi n° 96-588 du 1er juillet 1996, dite loi Galland, dont le pourvoi soutenait qu’elle contraignait l’ensemble des distributeurs à revendre les produits au prix double-net figurant sur la facture et rendait impossible la répercussion du surcoût, est réfuté. En effet, la Cour d’appel avait justifié sa décision de ce chef puisqu’elle avait répondu que le contexte légal et réglementaire n’avait pas privé le demandeur en réparation de sa liberté de réaliser une marge-avant sur les produits, objets de l'entente sanctionnée, autrement dit de répercuter le surcoût.

Par ailleurs, l’argumentation fondée sur la neutralisation de la répercussion des surcoûts par une baisse corrélative du volume des ventes en cas d’augmentation des prix de revente par le distributeur n’a pas plus de succès dans la mesure où, comme l’avait relevé la Cour d’appel, la demande d’indemnisation portait exclusivement sur le gain manqué au titre des marges-arrière.

Enfin, à partir du moment où la charge de la preuve de la non-répercussion incombe à la victime, on ne saurait s’étonner du rejet du grief par lequel il était reproché aux juges du fond de ne pas avoir constaté que le montant du surcoût répercuté correspondait à celui du manque à gagner sur les marges arrière, autrement dit une répercussion intégrale.

Cela illustre un peu plus encore, si besoin était, à quel point la solution introduite à ce propos par la directive « dommages » est préférable du moins si l’on considère, à l’instar de la Cour de justice notamment (v. en tout premier lieu, CJCE, 20 septembre 2001, C-453/99, Courage), que les actions en dommages et intérêts exercées au titre de pratiques anticoncurrentielles ne répondent pas uniquement à la nécessité de préserver les droits subjectifs des victimes et qu’elles contribuent aussi à l’effet utile des règles de concurrence.

Muriel Chagny
Président de l’AFEC
Professeur à l’Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines (Paris-Saclay)
Directeur du master de droit de la concurrence et de droit des contrat

INFOS UE : La Commission sanctionne à hauteur de 157 millions d’euros une entente entre six entreprises sur les prix à l’achat du styrène, un intrant essentiel à de nombreux produits chimiques

 

Le 29 novembre 2022, la Commission européenne a annoncé qu’elle avait sanctionné cinq entreprises du secteur de la chimie à hauteur de 157 millions d’euros pour avoir pris part à une entente à l’achat d’un produit chimique intermédiaire — le monomère de styrène — qui sert d'intrant essentiel pour de nombreux autres produits chimiques, tels que des plastiques, résines, caoutchoucs ou latex.

Afin d’abaisser en leur faveur un élément du prix du styrène — le prix contractuel mensuel du styrène ou « SMCP » —, les entreprises ont coordonné leurs stratégies de négociation des prix avant et pendant les négociations bilatérales menées avec les vendeurs de styrène pour « fixer » le SMCP.

Une sixième entreprise, la société britannique INEOS, a bénéficié d'une immunité totale pour avoir révélé l’entente.

Sur les cinq autres participants à l’entente, quatre ont coopéré avec la Commission et ont obtenu des réductions allant de 40 à 10 % en application de la communication sur la clémence. Par ailleurs, l’ensemble des entreprises a transigé et obtenu à ce titre une réduction supplémentaire de 10 %.

INFOS AIDES D’ÉTAT : La Commission dévoile les résultats de l’évaluation des règles applicables aux SIEG dans le domaine des services sociaux et de santé et pour les aides de minimis : vers un alignement du règlement de minimis relatif aux SIEG sur le règlement de minimis général ?

 



Le 1er décembre 2022, la Commission européenne a publié un document de travail de ses services synthétisant les résultats de l'évaluation lancée en 2019 portant sur les règles de l'UE en matière d'aides d'État applicables aux services d'intérêt économique général (SIEG) dans le domaine des services sociaux et de santé et pour les aides de faible montant. Ce document de travail est accompagné d’un résumé en français.

L'évaluation conclut que, dans l'ensemble, les règles applicables aux SIEG dans les domaines des services sociaux et de santé sont adaptées à leur finalité. Il en ressort également que les modifications apportées aux règles relatives aux SIEG en 2012, pour les simplifier et éclaircir certaines notions essentielles, ont facilité l'application de ces règles aux SIEG sociaux et de santé et l'octroi d'aides de faible montant en faveur des SIEG. L'évaluation conclut par ailleurs que les règles existantes ont contribué à réduire la charge administrative pesant sur les autorités qui confient les SIEG aux différents prestataires.

Dans le même temps, l'évaluation a révélé que certains ajustements pourraient s'avérer nécessaires pour i) simplifier et éclaircir davantage les règles existantes et ii) réduire encore la charge administrative pesant sur les États membres lorsqu'ils accordent des compensations aux entreprises qui fournissent des SIEG.

Par exemple, les notions d’« activité économique et non économique », d’« effet sur le commerce entre États membres », de « bénéfice raisonnable », de « défaillance du marché » et de « logement social » pourraient nécessiter des éclaircissements supplémentaires.

En ce qui concerne les règles relatives aux aides de minimis en faveur des SIEG, l'évaluation conclut qu'il pourrait être nécessaire de relever le plafond de 500 000 € sur une période de trois ans en deçà duquel les aides de faible montant octroyées aux entreprises chargées de fournir des SIEG ne sont pas considérées comme constituant des aides d'État et d'aligner le règlement de minimis relatif aux SIEG sur le règlement de minimis général.

La Commission va maintenant réfléchir à la manière de résoudre les problèmes recensés dans le cadre de l'évaluation, en commençant par vérifier s'il est opportun de réexaminer le règlement de minimis relatif aux SIEG. Un appel à contributions sera lancé prochainement afin de recueillir les points de vue des parties prenantes.

Pour le surplus, je vous renvoie à la lecture du communiqué de presse de la Commission.

INFOS CONTRÔLE DES CONCENTRATIONS UE : Nourrissant des craintes à propos de l'édition de livres et de magazines, la Commission ouvre, sans surprise, une enquête approfondie sur le projet d'acquisition de Lagardère par Vivendi

 

Le 30 novembre 2022, la Commission a annoncé qu’elle ouvrait une enquête approfondie sur le projet d'acquisition de Lagardère par Vivendi, nourrissant des craintes quant au rapprochement dans l'édition de livres et de magazines.

Il est vrai que Vivendi (via Editis) et Lagardère (via Hachette) sont des acteurs majeurs de l'édition de livres francophones dans les pays francophones de l'Union européenne, actives l’une et l’autre tout au long de la chaîne de valeur du livre, depuis l'acquisition des droits d'édition jusqu'à la commercialisation, la distribution et la vente de livres aux détaillants.

En acquérant Lagardère, Vivendi deviendrait le premier acteur du secteur de l'édition de livres francophones, ainsi que le principal groupe intégré actif sur ce marché. La Commission craint que l’opération ne réduise la diversité, l’accès aux livres de langue française et leur caractère abordable. Ainsi, les éditeurs pourraient être privés de sources de revenus essentiels pour soutenir leurs activités découlant de l'édition des auteurs les plus vendues. Ils pourraient également avoir un accès limité à des services essentiels pour la commercialisation et la distribution de leurs livres.

Quant au marché de l’édition de magazines, la commission redoute que l'opération, en combinant trois magazines « people » (Paris Match de Lagardère et Gala et Voici de Vivendi), ne fasse naître à un leader puissant sur le marché.

D’ores et déjà, Vivendi a annoncé qu'elle envisageait de ceder Editis. En revanche, indique la Commission, elle a décidé de ne pas présenter d'engagements en réponse aux préoccupations préliminaires apparues au cours de l'enquête initiale.

La Commission dispose à présent de 90 jours prolongés, soit jusqu'au 19 avril 2023, pour prendre une décision.

INFOS : Estimant que beIN Sports et Groupe Canal Plus ont cherché à remettre en cause les conclusions qu’elle avait adoptées en 2021 à propos de la remise en jeu, à la suite de la défaillance de Mediapro, des seuls droits de diffusion de la Ligue 1 acquis par la société espagnole, conclusions validées par la Cour d’appel de Paris, l’Autorité rejette par des motifs proches, cette fois à propos de la réattribution des mêmes droits à Amazon, leur saisine au fond pour défaut d’éléments suffisamment probants, et, partant, les demandes de mesures conservatoires

 

Et de deux ! Après une première saisine de Groupe Canal Plus rejetée le 11 juin 2021 pour défaut d’éléments suffisamment probants, l’Autorité de la concurrence vient, dans l’affaire de la réattribution partielle par la Ligue de Football Professionnel (LFP) des droits TV de la ligue 1 de Football, et aux termes d’une décision n° 22-D-22 du 30 novembre 2022, de rejeter les saisines au fond des sociétés beIN Sports et Groupe Canal Plus, également pour défaut d’éléments suffisamment probants, et, par voie de conséquence, les demandes de mesures conservatoires accessoires à ces saisines.

Même motifs, mêmes punitions ! À la faveur de la première saisine, Groupe Canal Plus reprochait à la LFP d’avoir remis en jeu, à la suite de la défaillance de Mediapro, les seuls droits de diffusion de la Ligue 1 précédemment acquis en 2018 par la société espagnole, à l’exclusion de ceux du lot 3, emporté par beIN Sports et sous-licencié à Groupe Canal Plus. L’Autorité avait alors considéré que les éléments avancés ne permettaient pas de démontrer l’existence de pratiques de discrimination ou d’imposition de conditions de transaction inéquitables constitutives d’un abus de position dominante aux dépens de Groupe Canal Plus, dans la mesure où, estimant que le lot 3 était dissociable des autres lots, il n’avait pas à être remis en jeu, analyse confirmée par la Cour d’appel de Paris dans un arrêt daté du 30 juin 2022.

Les saisines aujourd’hui rejetées concernent les suites de la décision de la LFP de remettre en jeu les seuls droits de diffusion de la Ligue 1 acquis par Mediapro, c’est-à-dire l’attribution par la LFP, le 11 juin 2021 — le jour même de l’adoption de la première décision de l’Autorité de rejet pour défaut d’éléments suffisamment probants (pts 51-52) —, au groupe Amazon des droits des lots des deux consultations Ligue 1 et Ligue 2 lancées par la LFP le 19 janvier 2021, et qui avaient été déclarées infructueuses.

Selon les saisissantes, l’octroi des anciens lots de Mediapro pour les saisons 2021-2022 à 2023-2024 à Amazon pour 250 millions d’euros par saison constituait un abus de discrimination, dans la mesure où, dans le même temps, elles étaient tenues de diffuser les matchs du seul lot 3 pour 332 millions d’euros par saison.

Pour rejeter les saisines, l’Autorité a considéré que les saisissantes n’apportaient pas suffisamment d’éléments probants permettant de conclure qu’elles ont été discriminées dans la procédure qui a conduit à la sélection d’Amazon pour la reprise des anciens lots de Mediapro. Au contraire, il apparaît que beIN et GCP ont eu l’opportunité de participer à la consultation de 2021, ce qu’elles ont choisi de ne pas faire, et qu’elles ont pu, dans la procédure de gré à gré qui a suivi, déposer une offre conjointe pour la reprise des lots remis en jeu, dans les mêmes conditions que les autres candidats (pt. 78).

Au passage, l’Autorité égratigne les saisissantes en considérant que leur saisine  viennent remettre en cause les conclusions adoptées en 2021 et validées par la Cour d’appel selon lesquelles le fait que Groupe Canal Plus supportait déjà, lors de la consultation de 2021, la charge du lot 3 n’était pas pertinente pour établir l’existence d’une discrimination abusive. À cet égard, elle estime que la distinction proposée par les parties entre la notion d’« acquisition des droits », objet de la décision de 2021, et celle d’ « exploitation des droits », objet des présentes saisines, est largement artificielle. En effet, les conditions d’exploitation des droits, et en particulier le montant des redevances qui y sont associées, dépendent des offres déposées par les soumissionnaires pour acquérir les différents lots (pts. 71-72).

BeIN et GCP n’apportent pas non plus d’éléments de nature à démontrer que la LFP aurait dû, comme elles le prétendent, privilégier leur offre par rapport à celle formulée par Amazon.

Enfin, la LFP étant tenue de remettre en jeu les droits de diffusion de la Ligue 1 au terme de cycles relativement courts (quatre ans actuellement), l’Autorité a également estimé que les saisissantes n’apportaient pas non plus suffisamment d’éléments permettant d’indiquer que la LFP aurait pu être tenue d’ajuster le prix du lot 3 pour que celui-ci reflète le niveau de prix — inférieur à celui résultant de l’appel d’offres de 2018 — finalement retenu pour les lots de Mediapro après la défaillance de cette dernière (pt. 94).

Pour le surplus, je vous renvoie à la lecture du communiqué de l'Autorité de la concurrence.

INFOS : Opération des magasins Leclerc sur la baguette de pain à 29 centimes : l’Autorité rejette la saisine d’un boulanger niçois pour défaut d’éléments démontrant une pratique de prix abusivement bas

 

Par décision n° 22-D-23 rendu le 1er décembre 2022, l’Autorité de la concurrence a rejeté la saisine d’une  société exploitant un magasin sous enseigne « Paul » dans le centre-ville de Nice, qui reprochait au groupe Leclerc, dont les magasins se situent en périphérie de Nice, d’avoir lancé en février 2022 une opération commerciale consistant à geler à 0,29 euro pour une durée de 4 à 6 mois le prix de la baguette blanche de pain « premier prix » proposée par les magasins de l’enseigne.

Selon la saisissante, cette opération constituait une pratique de prix abusivement bas au sens de l’article L. 420-5 du code de commerce.

Néanmoins, l’Autorité a constaté que la saisissante, bien que relancée à plusieurs reprises par les services d’instruction, n’a apporté aucun élément quantitatif ou qualitatif de nature à établir que les conditions de l’article L. 420-5 étaient remplies et notamment que le prix de 0,29 euro ne couvrait pas les coûts de production, de transformation et de commercialisation du produit concerné et que l’opération dénoncée avait pour objet ou pouvait avoir pour effet d’éliminer d’un marché ou d’empêcher d’accéder à un marché une entreprise ou l’un de ses produits.

Mais pouvait-il en aller autrement ? Comment le saisissant aurait-il pu disposer des données lui permettant de disposer même d’un commencement de preuve du fait que les prix pratiqués par les magasins Leclerc ne couvraient pas les coûts engagés ?

À cet égard, l’Autorité relève que la saisissante n’a fourni aucun élément tangible relatif à sa propre structure de coûts, qui aurait pu, a minima, permettre, en première analyse, d’apprécier comparativement le niveau de prix pratiqué par Leclerc.

En outre, en tout état de cause, l’Autorité a relevé qu’un risque d’éviction de la saisissante était peu probable en l’espèce, dans la mesure où il n’est pas évident que la baguette de pain de la saisissante soit substituable à la baguette blanche « premier prix » commercialisée dans les magasins Leclerc, ou que la saisissante relève du même marché géographique que ces derniers.

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