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Hebdo n° 36/2018
24 septembre 2018
SOMMAIRE
 
INFOS PROJET DE LOI AGRICULTURE ET ALIMENTATION : La Commission des affaires économiques du Sénat dépose une question préalable, dont l’adoption en séance publique entraînerait le rejet du texte en nouvelle lecture

JURISPRUDENCE AIDE D'ÉTAT : Estimant que la présomption simple posée par l’arrêt La Poste n’est pas renversée en démontrant que l’EPIC n’a tiré aucun avantage réel de son statut par le passé et qu’elle peut être étendue, au-delà des établissements financiers, aux relations de l’EPIC avec ses fournisseurs et ses clients, la Cour de justice accueille le pourvoi de la Commission dans l'affaire de l'aide accordée à l’Institut français du pétrole lors de sa transformation en EPIC, mais renvoie le dossier au Tribunal

JURISPRUDENCE AIDES D'ÉTAT : Dans l’affaire des taxes françaises destinées à financer le cinéma, la Cour de justice dit pour droit qu’une augmentation du produit de taxes finançant plusieurs régimes d’aides autorisés par rapport aux prévisions notifiées à la Commission constitue une modification d’une aide existante à moins qu’elle ne reste inférieure à 20 % du budget initial

JURISPRUDENCE UE : La Cour de justice valide le rejet d'une plainte pour défaut d'intérêt de l’Union dans une affaire polonaise de commerce parallèle de produits phytopharmaceutiques

JURISPRUDENCE AIDES D'ÉTAT : La Cour de justice confirme le caractère d’aides d’État incompatibles des mesures adoptées par les autorités locales en faveur du déploiement de la TNT dans des zones éloignées et moins urbanisées de Castille-La Manche


JURISPRUDENCE AIDES D'ÉTAT : le Tribunal de l’Union annule la décision de la Commission déclarant compatibles les garanties étatiques et aides fiscales accordées au consortium chargé de la construction du pont/tunnel entre Copenhague et Malmö en tant qu’elle a été adoptée sans ouverture de la phase formelle d’examen

JURISPRUDENCE AIDES D'ÉTAT : Dans l’affaire des aides belges au secteur sidérurgique, le Tribunal de l'Union confirme que la participation de la région wallonne à une augmentation du capital du groupe Duferco ne satisfaisait pas au critère de l’investisseur privé

JURISPRUDENCE AIDES D’ÉTAT : L’avocat général Saugmandsgaard Øe invite la Cour à privilégier la méthode d’analyse classique pour juger du caractère sélectif de l’exemption de l’impôt allemand sur les acquisitions immobilières au profit de certaines opérations de transformation au sein d’un groupe de sociétés

INFOS CONTRÔLE DES CONCENTRATIONS UE : Suite à l’annulation d'une première décision pour défaut de motivation, la Commission publie la décision confirmant le rapprochement des deux principaux cablo-opérateurs néerlandais et rend publique la décision autorisant, sous conditions, l'acquisition par FMC d'une partie des activités phytosanitaires de DuPont et l'acquisition par DuPont des activités liées à la santé et à la nutrition de FMC


INFOS : Adoptant sa 4e décision consécutive au refus d'une transaction sur une PAC locale, l’Autorité sanctionne une pratique de prix excessif emportant non seulement abus d’exploitation, mais aussi abus d’éviction et, ce faisant, ouvre certaines perspectives

INFOS : Profitant de l’instruction en cours dans l’affaire des pratiques mises en œuvre par le barreau de Toulouse, l’Autorité rejette la saisine concernant les pratiques similaires du barreau de Limoges pour absence d’éléments suffisamment probants

INFOS CONTRÔLE DES CONCENTRATIONS : Mise en ligne de la décision autorisant le rachat du groupe Jardiland par le groupe InVivo (Gamm Vert, Delbard), sous réserve de la cession/résiliation de 11 magasins (+ 13 décisions simplifiées)

INFOS OUVRAGES : « Droit de la concurrence - Droit interne et droit de l'Union européenne » de André et Georges Decocq, 8e édition

INFOS PROJET DE LOI AGRICULTURE ET ALIMENTATION : La Commission des affaires économiques du Sénat dépose une question préalable, dont l’adoption en séance publique entraînerait le rejet du texte en nouvelle lecture


Après l’échec de Commission mixte paritaire et la nouvelle lecture du texte devant l’Assemblée nationale, la discussion sur le projet de loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous poursuit son cours, pour une nouvelle lecture, devant le Sénat.

Avant que la discussion en séance publique prévue les 25 et (éventuellement) 26 septembre 2018, ne débute, la Commission des affaires économiques était censée se prononcer sur le texte tel qu’issu de la nouvelle lecture devant l’Assemblée nationale.

Finalement, l’examen du
rapport, entamé le 19 septembre 2018, a tourné court. Anne-Catherine Loisier, rapporteur pour la Commission des affaires économiques du Sénat, a proposé à ses collègues de déposer, au nom de cette commission, une question préalable qui a pour objet de dénoncer, sur la forme, l'absence de concertation dans la discussion législative mais vise surtout à marquera, sur le fond, le rejet du texte issu des travaux de l'Assemblée nationale. Effectivement, l’adoption lors de la séance publique de cette question préalable aura pour effet d’entraîner le rejet du texte.

Par ailleurs, la rapporteur pour la Commission des affaires économiques a souhaité prolonger cette question préalable par une saisine du Conseil constitutionnel qui permettra, selon elle, de nettoyer ce texte d'un certain nombre de dispositions manifestement contraires à la Constitution.

JURISPRUDENCE AIDE D'ÉTAT : Estimant que la présomption simple posée par l’arrêt La Poste n’est pas renversée en démontrant que l’EPIC n’a tiré aucun avantage réel de son statut par le passé et qu’elle peut être étendue, au-delà des établissements financiers, aux relations de l’EPIC avec ses fournisseurs et ses clients, la Cour de justice accueille le pourvoi de la Commission dans l'affaire de l'aide accordée à l’Institut français du pétrole lors de sa transformation en EPIC, mais renvoie le dossier au Tribunal

 

Le 19 septembre 2018, la Cour de justice de l’Union a rendu un arrêt dans l’affaire C-438/16 (Commission européenne contre République française, IFP Énergies nouvelles).

Elle y suit pour partie les préconisations formulées par l’avocat général Melchior Wathelet dans ses
conclusions rendues le 7 décembre 2017.

En effet, la Cour annule l’
arrêt rendu le 26 mai 2016 par le Tribunal dans les affaires jointes T-479/11 (France/Commission) et T-157/12 et lui renvoie l’affaire pour réexamen.

Dans cette affaire toute entière centrée sur la question de la garantie illimitée dont bénéficient, en vertu de leur statut, les établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) français, laquelle leur permet de ne pas être soumis aux procédures d’insolvabilité et de faillite, l’avocat général Wathelet, estimant que la présomption simple posée par l’
arrêt La Poste du 3 avril 2014 devrait aussi trouver à s’appliquer pour l’avenir et qu’elle doit être étendue, au-delà des établissements financiers, aux relations qu’entretient l’EPIC avec ses fournisseurs et ses clients, suggère à la Cour de justice de l’Union d’accueillir la 2e branche du 1er moyen et le 2e moyen, ainsi que le 3e moyen du pourvoi introduit par la Commission dans l'affaire de l'aide accordée à l’Institut français du pétrole lors de sa transformation en EPIC.

On se souvient qu’à la faveur de l'
arrêt rendu le 26 mai 2016 dans les affaires jointes T-479/11 (France/Commission) et T-157/12, le Tribunal de l'Union avait annulé partiellement la décision de la Commission européenne du 29 juin 2011, sanctionnant la légèreté avec laquelle, avait-il estimé, la Commission était parvenue à la conclusion que la garantie implicite illimitée accordée par l’État à l'Institut Français du Pétrole, du fait de sa transformation en 2006 en établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), constituait une aide d’État.

Au terme de son examen, la Commission avait d’abord conclu que l'Institut Français du Pétrole n’avait pas tiré d’avantage économique réel de la garantie implicite et illimitée de l’État inhérente à son statut d’EPIC en ce qui concerne ses relations avec les institutions bancaires et financières pendant la période allant de sa transformation en EPIC en juillet 2006 jusqu’à la fin de 2010, dans la mesure où, ayant examiné les conditions des emprunts contractés par l'Institut Français du Pétrole ainsi que les offres des lignes de crédit proposées à celui-ci pendant cette période, elle avait constaté que ces conditions correspondaient aux conditions du marché. En revanche, la Commission avait constaté que l'Institut Français du Pétrole avait tiré un avantage économique réel du fait de ladite garantie dans ses relations avec les fournisseurs et les clients. Enfin, la Commission avait considéré que cet avantage économique était sélectif, dans la mesure où les concurrents de l’IFPEN, soumis aux procédures d’insolvabilité de droit commun, ne bénéficiaient pas d’une garantie de l’État comparable. Néanmoins, la Commission avait considéré que, sous réserve du respect de certaines conditions, l’aide d’État ainsi accordée pouvait être considérée comme compatible avec le marché intérieur.

À la suite du recours en annulation de la décision litigieuse formé par la république française et l'Institut Français du Pétrole, le Tribunal s'était attaché à vérifier si la garantie découlant du statut d’EPIC avait fait naître, pour l'Institut Français du Pétrole, un avantage sélectif et si l’existence d’un tel avantage pouvait être établie par voie de présomption, par application de la jurisprudence issue de l’arrêt du 3 avril 2014, La Poste.

À cet égard, le Tribunal avait expliqué que, si la méthode choisie par la Commission afin de déterminer l’existence d’un avantage sélectif, consistant à examiner le bénéfice que l’IFPEN aurait tiré de son statut d’EPIC dans ses relations avec ses créanciers, en l’occurrence les institutions bancaires et financières, ainsi qu’avec les fournisseurs et les clients – n’était pas erronée, en revanche, la manière dont la Commission avait appliqué cette méthode au cas d’espèce présentait des défauts majeurs, notamment en ce qui concerne la définition du prétendu avantage dont l’IFPEN aurait bénéficié dans ses relations avec les fournisseurs et les clients. Plus précisément, le Tribunal a considéré que la Commission ne pouvait se prévaloir de la présomption établie par l’arrêt La Poste pour les relations de l’IFPEN avec ses clients et ses fournisseurs. En effet, cette présomption permettrait seulement d’établir l’existence d’un avantage prenant la forme de conditions de crédit plus favorables et s’appliquerait donc seulement aux relations entre un EPIC et les institutions financières et bancaires. Toutefois, même en ce qui concerne ces dernières relations, le Tribunal a estimé que cette présomption avait été renversée par la Commission elle-même, de sorte qu’il pouvait conclure que l’IFPEN n’avait dans ses relations avec les institutions bancaires et financières tiré aucun avantage de sa transformation en EPIC.

La Commission a soulevé trois moyens à l’appui de son pourvoi. Par son premier moyen, la Commission estimait que le Tribunal a commis une erreur d’interprétation, tout d’abord de la notion de régime d’aides, ensuite en ne prenant pas en compte l’aptitude d’une mesure à conférer un avantage, ce qui emporte une erreur de droit quant à la nature de la preuve à apporter par la Commission afin d’établir l’existence d’un avantage résultant pour une entreprise de son statut d’EPIC. Sur ce point, la Cour estime qu’en retenant que la mesure examinée dans la décision litigieuse était non pas, de manière générale, la garantie attachée au statut d’EPIC, mais une mesure spécifique, à savoir la transformation de l’IFPEN en EPIC (pt. 65) et, partant, que ladite mesure ne relevait pas de la notion de « régime d’aides » visée à l’article 1er, sous d), du règlement n° 659/1999 (pt. 67), le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit lorsqu’il a jugé que, dans la mesure où la transformation de l’IFPEN en EPIC pouvait être qualifiée d’« aide d’État », elle constituait une aide accordée sur la base d’un régime d’aides qui devait être notifiée, c’est-à-dire une aide individuelle au sens de l’article 1er, sous e), du règlement n° 659/1999 (pt. 70).

Par le deuxième moyen, la Commission faisait valoir que le Tribunal avait commis une erreur de droit quant à la portée de la présomption simple de l’existence d’un avantage découlant d’une garantie gratuite et illimitée ainsi que quant au moyen de la renverser. À cet égard, le Tribunal avait indiqué que la présomption établie dans l’arrêt La Poste du 3 avril 2014, reposerait sur la double prémisse, jugée plausible par la Cour, selon laquelle, d’une part, l’existence d’une garantie des autorités publiques d’un État membre a une influence favorable sur l’appréciation par les créanciers du risque de défaut du bénéficiaire de cette garantie et, d’autre part, cette influence favorable se traduit par la diminution du coût de crédit. Surtout, il avait estimé qu’au cas d’espèce, la présomption simple avait été renversée, car l’examen effectué par la Commission avait mis en évidence que, pendant la période concernée, l’IFPEN n’avait pas tiré d’avantage économique réel de la garantie rattachée à son statut d’EPIC (pts. 113-114). Sur quoi, la Cour commence par rappeler que la seule circonstance que l’IFPEN bénéficie d’une garantie de l’État était de nature à permettre à la Commission de se prévaloir de la présomption d’avantage, telle que dégagée par la Cour dans l’arrêt du 3 avril 2014, cette présomption étant fondée sur l’idée que, grâce à la garantie attachée à son statut, un EPIC bénéficie ou pourrait bénéficier de conditions financières plus avantageuses que celles qui sont normalement consenties sur les marchés financiers. Pour se prévaloir de cette présomption, la Commission n’était donc pas tenue de démontrer les effets réels produits par la garantie en cause (pt. 116). La Cour ajoute que cette présomption simple ne saurait être renversée que s’il est démontré que, compte tenu du contexte économique et juridique dans lequel s’insère la garantie rattachée au statut de l’EPIC concerné, ce dernier n’a pas obtenu dans le passé et, selon toute plausibilité, n’obtiendra pas dans l’avenir un quelconque avantage économique réel de cette garantie (pt. 117). Dès lors, conclut-elle, la seule circonstance que le bénéficiaire d’une telle garantie n’a tiré dans le passé aucun avantage économique réel de son statut d’EPIC ne suffit pas, à elle seule, à renverser la présomption d’existence d’un avantage (pt. 118). Par conséquent, c’est à tort que le Tribunal a jugé que la présomption avait été renversée pour cette raison (pt. 119).

À la faveur de son troisième moyen, la Commission invoquait une erreur de droit commise par le Tribunal quant au champ d’application de la présomption d’un avantage découlant d’une garantie illimitée dans la mesure où, soutenait la Commission, cette présomption devrait logiquement s’appliquer également aux relations avec les fournisseurs et les clients, et non pas seulement aux relations avec les institutions bancaires et financières. De fait, le Tribunal avait jugé que la Commission ne pouvait se prévaloir de la présomption d’existence d’un avantage établie par la Cour dans l’arrêt La Poste du 3 avril 2014 pour démontrer l’existence, au profit de l’IFPEN, dans les relations de celui-ci avec ses fournisseurs et ses clients, d’un avantage découlant de la garantie de l’État.

À cet égard, la Cour rappelle, à la suite de l’avocat général Wathelet, à propos du champ d’application de la présomption, qu’aucun élément de l’arrêt La Poste n’est susceptible d’indiquer que la présomption d’avantage ne pourrait s’appliquer aux relations d’un EPIC avec ses fournisseurs et ses clients. De fait, les relations d’un EPIC avec ses fournisseurs et ses clients n’étaient pas en cause dans l’arrêt La Poste (pt. 140). Dès lors, elle juge que le Tribunal a commis une erreur de droit lorsqu’il a jugé que la présomption d’existence d’un avantage établie par la Cour dans l’arrêt La Poste du 3 avril 2014 était confinée aux relations qui impliquent une opération de financement, un prêt ou, plus largement, un crédit de la part du créancier d’un EPIC, notamment aux relations entre cet EPIC et les institutions bancaires et financières. Par cela seul, estime la Cour, le troisième moyen doit être accueilli. Toutefois, par un obiter dictum, la Cour précise que l’arrêt La Poste du 3 avril 2014 ne saurait non plus être interprété en ce sens que ladite présomption peut être étendue, de manière automatique, aux relations d’un EPIC avec ses fournisseurs et ses clients, sans qu’il soit nécessaire d’examiner, au préalable, si, compte tenu des comportements desdits acteurs, l’avantage que l’établissement peut en tirer est similaire à celui qu’il tire de ses relations avec les institutions bancaires et financières (pt. 149). Rappelant que la présomption établie dans l’arrêt du 3 avril 2014 est fondée sur l’hypothèse selon laquelle, grâce à la garantie attachée à son statut, l’EPIC concerné bénéficie ou pourrait bénéficier de conditions financières plus avantageuses que celles qui sont normalement consenties sur les marchés financiers, la Cour en déduit que l’application de ladite présomption aux relations de l’EPIC avec les fournisseurs et les clients ne se justifierait que dans la mesure où de telles conditions plus avantageuses se présentent également dans les relations avec ces derniers sur les marchés intéressés (pt. 150). Par conséquent, lorsque la Commission vise à appliquer ladite présomption, elle doit examiner le contexte économique et juridique dans lequel s’insère le marché affecté par les relations en question. En particulier, la Commission est tenue de vérifier si les comportements des acteurs sur le marché concerné justifient une hypothèse d’avantage analogue à celle qui se trouve dans les relations de l’EPIC avec les institutions bancaires et financières (pt. 151).

Pour le surplus, je vous renvoie à la lecture du
communiqué de presse de la Cour.

JURISPRUDENCE AIDES D'ÉTAT : Dans l’affaire des taxes françaises destinées à financer le cinéma, la Cour de justice dit pour droit qu’une augmentation du produit de taxes finançant plusieurs régimes d’aides autorisés par rapport aux prévisions notifiées à la Commission constitue une modification d’une aide existante à moins qu’elle ne reste inférieure à 20 % du budget initial

 

Le 20 septembre 2018, la Cour de justice a rendu un arrêt dans l’affaire C-510/16 (Carrefour Hypermarchés SAS e.a. contre Ministre des finances et des comptes publics).

La présente affaire s’inscrit dans le cadre d’une demande préjudicielle introduite par le Conseil d’État français et concerne l’une des trois taxes, celle sur la vente et la location de vidéogrammes destinés à l’usage privé du public,  perçues pour financer le cinéma au profit du CNC, le Centre national de la cinématographie et de l’image animée. Les deux autres taxes finançant les secteurs cinématographiques et audiovisuels sont la taxe sur les billets de cinéma et celle sur les services de télévision.

En 2006, la Commission a déclaré le régime d’aides en cause compatible avec le marché intérieur. En 2007, elle a approuvé une modification de la méthode de financement du régime d’aides en cause, se matérialisant, entre autres, par des règles modifiées sur la taxation des services de télévision. Par
décision du 20 décembre 2011, la Commission a approuvé une prolongation du régime d’aides en cause jusqu’au 31 décembre 2017.

S’agissant donc de la taxe sur la vente et la location de vidéogrammes destinés à l’usage privé du public, il apparaît que le produit des trois taxes a augmenté de près de 46,3 % entre 2007 et 2011. Quoique cette augmentation soit principalement imputable au produit de la taxe sur les services de télévision, qui est passé de 362 millions d’euros en 2007 à 631 millions d’euros en 2011, des entreprises assujetties à la taxe sur la vente et la location de vidéogrammes destinés à l’usage privé du public en ont demandé le remboursement devant le Tribunal administratif de Montreuil puis devant la Cour administrative d’appel de Versailles, en vain, et enfin devant le Conseil d’État, qui, nourrissant des doutes quant à l’interprétation correcte de l’article 108, § 3, TFUE et de l’article 4 du règlement n° 794/2004, a décidé de surseoir à statuer et de déférer deux questions préjudicielles à la Cour.

En substance, la question posée est celle de savoir si une augmentation substantielle des recettes fiscales d’une taxe finançant un régime d’aides autorisé par rapport aux estimations initialement fournies à la Commission européenne dans le contexte d’une notification en vertu des règles en matière d’aides d’État fait-elle naître une « aide nouvelle » au titre de l’article 108, § 3, TFUE ?

Mais encore faut-il, pour que l’augmentation des recettes puissent entraîner une modification du régime d’aide initiale et, le cas échéant qu’elle fasse naître une « aide nouvelle » que les trois taxes en cause au principal relèvent du champ d’application des règles en matière d’aides d’État. Sur ce point, la Cour écarte d’emblée les objections formulées dans ses
conclusions présentées le 30 novembre 2017 par l’avocat général Nils Wahl selon lesquelles lesdites  taxes n’entreraient pas dans le champ d’application des dispositions du traité FUE en matière d’aides d’État, dès lorsqu’elles ne constituent pas le mode de financement d’une mesure d’aide, de sorte qu’elles ne feraient pas partie intégrante de cette mesure. Par suite, une augmentation du produit de la taxe destinée à financer un régime d’aides ne relèverait pas du champ d’application des règles en matière d’aides d’État dans le traité FUE.

À cet égard, la Cour se contente de relever que les questions préjudicielles reposent sur la prémisse selon laquelle les trois taxes faisaient, lors de la période en cause, partie intégrante des régimes d’aides concernés (pt. 15). Il reviendra donc à la juridiction de renvoi de vérifier dans l’affaire au principal le bien-fondé de sa prémisse selon laquelle les trois taxes faisaient, lors de la période en cause, partie intégrante des régimes d’aides en cause au principal. À cet égard, cette juridiction devra, en particulier, examiner si la mise en réserve d’une partie des recettes du CNC a eu pour effet de réaffecter le montant concerné à une mesure autre que celles revêtant toutes les caractéristiques d’une aide, au sens de l’article 107, § 1, TFUE et apprécier l’impact que pourrait avoir la réattribution d’une partie de ces recettes au profit du budget général de l’État intervenue lors de la période en cause sur l’existence d’un lien d’affectation contraignant entre ces taxes et ces régimes.

Examiner les questions préjudicielles en partant de la prémisse selon laquelle les trois taxes faisaient, lors de la période en cause, partie intégrante des régimes d’aides en cause au principal, la Cour de justice commence par préciser ce qu’il faut entendre par « budget d’un régime d’aides ». Dans le cas d’un régime d’aides financé par des taxes affectées, c’est le produit de ces taxes qui est mis à la disposition de l’organe chargé de la mise à exécution du régime concerné et qui constitue ainsi le « budget » dudit régime, au sens de l’article 4, § 1, du règlement n° 794/2004 (pt. 35). Dès lors que les régimes d’aides en cause au principal, qui ont été autorisés par les décisions de 2006 et de 2007, relèvent de la notion d’« aide existante », au sens de l’article 1er, sous b), ii), du règlement n° 659/1999, la Cour s’attache à vérifier si la Commission a, par ces décisions, approuvé l’augmentation que le produit global des trois taxes a connue lors de la période en cause. En l’occurrence, la Cour relève que le produit des trois taxes constitue un élément sur lequel la Commission a fondé son approbation des régimes d’aides en cause et que cette institution n’a pas autorisé une augmentation de ce produit au-delà des prévisions notifiées à la Commission, c’est-à-dire 2 à 3 % d’augmentation (pts. 39-40). Or, en l’espèce, l’augmentation réelle que le produit global des trois taxes a connue lors de la période en cause a nettement dépassé les prévisions fournies à la Commission, à savoir 16,5 millions d’euros, par an, cette augmentation s’étant élevée, selon le rapport de la Cour des comptes citée par cette juridiction, à 67 millions d’euros en moyenne pendant cette période. Dans la mesure où une telle augmentation du budget par rapport au budget autorisé par la Commission est susceptible d’influencer l’évaluation de la compatibilité des régimes d’aides en cause au principal avec le marché intérieur, elle constitue un changement autre qu’une modification purement formelle ou administrative, au sens de l’article 4, § 1, première phrase, du règlement n° 794/2004, étant entendu que le seuil de 20 % prévu à cette disposition se rapporte au « budget initial » du régime d’aides concerné, c’est-à-dire au budget du régime tel qu’autorisé par la Commission, lequel doit, s’agissant d’un régime d’aides existant financé par des taxes affectées, être déterminé par les prévisions des recettes fiscales affectées, telles qu’autorisées par la Commission et non pas par rapport aux aides effectivement allouées (pts. 51-52). Sauf à rester inférieure au seuil de 20 % prévu à l’article 4, § 1, seconde phrase, de ce règlement, une telle augmentation constitue, partant, une modification d’une aide existante, au sens de l’article 1er, sous c), du règlement n° 659/1999 (pts. 41-42). Cette disposition, estime la Cour, prévoit une marge de sécurité qui tient suffisamment compte des incertitudes liées à l’application du contrôle préventif institué à l’article 108, § 3, TFUE à des régimes d’aides dont le budget fluctue, tels que ceux en cause au principal (pt. 45).

En l’occurrence, constate la Cour, l’augmentation que le budget des régimes d’aides en cause au principal a connue lors de cette période par rapport au budget autorisé dans les décisions de 2006 et de 2007 dépasse nettement le seuil de 20 % (pt. 53), et ce, nonobstant la mise en réserve d’une partie des recettes du CNC et le prélèvement au profit du budget général de l’État intervenu lors de la période en cause, qu’il reviendra à la juridiction de renvoi de vérifier dans le cadre de l’examen de l’existence d’un lien d’affectation contraignant entre les trois taxes et les régimes d’aides en cause (pt. 58).

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, la Cour répond aux questions préjudicielles qu’une augmentation du produit de taxes finançant plusieurs régimes d’aides autorisés par rapport aux prévisions notifiées à la Commission, telle que celle en cause au principal, constitue une modification d’une aide existante, au sens de l’article 1er, sous c), du règlement n° 659/1999 et de l’article 4, § 1, première phrase, du règlement n° 794/2004, lus à la lumière de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, à moins que cette augmentation ne reste inférieure au seuil de 20 %, prévu à l’article 4, § 1, seconde phrase, de ce dernier règlement. Ce seuil doit s’apprécier, dans une situation telle que celle en cause au principal, par rapport aux recettes affectées aux régimes d’aides concernés et non pas par rapport aux aides effectivement allouées.

JURISPRUDENCE UE : La Cour de justice valide le rejet d'une plainte pour défaut d'intérêt de l’Union dans une affaire polonaise de commerce parallèle de produits phytopharmaceutiques

 

Le 20 septembre 2018, la Cour de justice a rendu un arrêt dans l’affaire C-373/17 (Agria Polska sp. z o.o. e.a. contre Commission) portant à la fois sur la possibilité de la Commission de rejeter une plainte pour défaut d'intérêt de l’Union et sur le droit à une protection juridictionnelle effective.

Au cas d'espèce, les requérantes, des entreprises pratiquant le commerce parallèle de produits phytopharmaceutiques en jouant sur les différences de taux de la TVA appliquée à ces produits dans les différents États membres, avaient dénoncé auprès de l'autorité nationale de concurrence polonaise le comportement de treize entreprises productrices ou distributrices de produits phytopharmaceutiques et de quatre organisations professionnelles. Ces pratiques auraient essentiellement pris la forme d’un accord et/ou de pratiques concertées entre ces entités et auraient consisté en des dénonciations abusives portées de manière coordonnée devant les autorités administratives et pénales autrichiennes et polonaises, mettant en doute la légalité des activités commerciales des sociétés plaignantes au regard tant des exigences prévues dans les réglementations applicables aux produits phytopharmaceutiques que des conditions d’exercice du commerce parallèle de tels produits, y compris sur le plan fiscal.

À la suite de la fin de non-recevoir de l'autorité nationale de concurrence polonaise, pour cause d'acquisition de la prescription de l'action au regard des règles procédurales nationales, les requérantes ont alors porté leur plainte devant la Commission européenne, laquelle, a, par
décision du 19 juin 2015, informé les sociétés plaignantes initiales du rejet de leur plainte au motif principal qu’il n’y avait pas un intérêt suffisant pour l’Union à poursuivre son traitement au titre des articles 101 ou 102 TFUE, tout en insistant sur le fait qu’elle disposait de ressources limitées et que, en l’espèce, l’enquête approfondie qui aurait dû être menée, portant potentiellement sur les activités exercées durant une période de sept ans par 18 entités situées dans quatre États membres, aurait été trop complexe et chronophage alors même que la probabilité d’établir une infraction semblait limitée dans le cas d’espèce, ce qui militait pour ne pas ouvrir une enquête.

Elles avaient alors introduit un recours contre la décision de rejet de plainte de la Commission, sans plus de succès puisqu’à la faveur d’un
arrêt rendu le 16 mai 2017, le Tribunal de l'Union européenne avait rejeté le recours dans son intégralité.

À l’appui du leur pourvoi, les requérantes invoquaient trois moyens, tirés, pour le premier de la violation des articles 101 et 102 TFUE en ce que le Tribunal n’avait pas reconnu les erreurs manifestes commises par la Commission dans son appréciation de la probabilité d’une violation de l’article 101 ou 102 TFUE, de l’existence d’un intérêt de l’Union à ouvrir une enquête et de l’étendue des mesures d’instruction nécessaires. Le deuxième moyen est tiré de la violation du principe de l’effet utile du droit de l’Union et le troisième de la violation du droit à une protection juridictionnelle effective, tel que consacré par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Par leur premier moyen, les requérantes contestaient, en substance, les appréciations du Tribunal relatives au bien-fondé de l’évaluation, par la Commission, de l’intérêt de l’Union à poursuivre l’examen de l’affaire. Ce premier moyen est rejeté comme étant, en partie, irrecevable, en partie, inopérant et, en partie, non fondé (pt. 66).

Par le deuxième moyen, les requérantes contestaient la conclusion du Tribunal selon laquelle la Commission n’aurait pas méconnu l’effet utile des articles 101 et 102 TFUE. Selon elles, la mission de la Commission d’assurer le respect desdits articles aurait dû la conduire à ouvrir une enquête pour trois raisons. En premier lieu, elles auraient apporté des éléments tendant à démontrer la probabilité d’une infraction aux articles 101 et 102 TFUE concernant le territoire de plusieurs États membres. La Cour écarte d’emblée cet argument qui revient à considérer que la Commission serait obligée, sous peine de violer l’effet utile des articles 101 et 102 TFUE, d’ouvrir une enquête au seul motif que les infractions alléguées concernent plusieurs États membres (pt. 80).

En deuxième lieu, les requérantes soutenaient qu’elles ne pouvaient pas obtenir de protection effective au niveau national, étant donné que l’ANC avait refusé d’ouvrir une procédure en raison de l’expiration du délai de prescription par une décision insusceptible de recours, de sorte que la Commission aurait dû vérifier au préalable que les autorités nationales pouvaient sauvegarder leurs droits de manière satisfaisante. Sur ce point, la Cour estime que l’impossibilité, alléguée par elles, d’obtenir le respect des articles 101 et 102 TFUE auprès de l’ANC est due à leur propre manque de diligence (pt. 82).

En troisième lieu, les requérantes estimaient que la possibilité d’intenter une action en réparation devant les juridictions nationales n’était pas effective et que le Tribunal aurait dû analyser les possibilités réelles, pour elles, de saisir lesdites juridictions. Pour la Cour, il incombe aux États membres d’établir les voies de recours nécessaires pour assurer aux justiciables le respect de leur droit à une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union. Partant, il n’appartient pas à la Commission de pallier, par l’ouverture d’une enquête nécessitant des ressources importantes alors que la probabilité de constater une infraction aux articles 101 et 102 TFUE était faible, les éventuelles insuffisances de la protection juridictionnelle au niveau national (pt. 87).

Par le troisième moyen, les requérantes soutenaient que, en rejetant leur recours et en validant la décision litigieuse adoptée sans examen intégral de l’affaire au fond, le Tribunal avait violé le principe de protection juridictionnelle effective, le droit à un recours effectif devant un tribunal et le principe de bonne administration. Toutefois, la Cour rappelle sur ce point que, comme le Tribunal l’a relevé à juste titre dans l’arrêt attaqué, l’article 7 du règlement n° 1/2003 ne confère pas au plaignant le droit d’exiger l’adoption d’une décision définitive quant à l’existence ou non de l’infraction alléguée (pt. 97).

Aucun des moyens soulevés par les requérantes n’ayant été accueilli, le pourvoi est rejeté dans son intégralité.

JURISPRUDENCE AIDES D'ÉTAT : La Cour de justice confirme le caractère d’aides d’État incompatibles des mesures adoptées par les autorités locales en faveur du déploiement de la TNT dans des zones éloignées et moins urbanisées de Castille-La Manche

 

Le 20 septembre 2018, la Cour de justice a rendu un arrêt dans l’affaire C-114/17 (Royaume d’Espagne contre Commission européenne).

La présente affaire concerne des mesures mises à exécution par les autorités espagnoles dans le cadre du passage de la radiodiffusion analogique à la radiodiffusion numérique en Espagne en ce qui concerne la communauté autonome de Castille-La Manche (Espagne). La Commission a reçu deux plaintes émanant, d’une part, de Radiodifusión Digital SL, un opérateur local de télécommunications et de télévision terrestre, et, d’autre part, de SES Astra, un opérateur européen de satellites. Ces plaintes portaient sur un régime d’aides présumé des autorités espagnoles en faveur du passage de la télévision analogique à la télévision numérique dans la zone II. Selon lesdits opérateurs, cette mesure comportait une aide non notifiée qui aurait créé une distorsion de concurrence entre la plate-forme de radiodiffusion terrestre et celle de radiodiffusion satellitaire.

Aux termes de la
décision de la Commission, adoptée le 1er octobre 2014, l'aide d’État octroyée aux opérateurs de la plate-forme de télévision terrestre Telecom [CLM] et Abertis pour l’amélioration des centres d’émission, la construction des nouveaux centres d’émission et la fourniture de services numériques et/ou d’exploitation et de maintenance dans la zone II de Castille-La Manche, ainsi que l’aide d’État octroyée pour l’installation des récepteurs satellite aux fins de la transmission des signaux d’Hispasat [SA] dans la zone II de Castille-La Manche, mises en œuvre illégalement par le Royaume d’Espagne en violation de l’article 108, paragraphe 3, [TFUE], ont été déclarées incompatibles avec le marché intérieur et devaient en conséquence être récupérées auprès de leurs bénéficiaires.

Le Royaume d’Espagne, notamment, a introduit un recours contre la décision de la Commission. Par
arrêt du 15 décembre 2016, le Tribunal de l'Union a rejeté ledit recours. Le Royaume d’Espagne a alors formé un pourvoi auprès de la Cour de justice.

À l’appui de son pourvoi, le Royaume d’Espagne invoquait trois moyens.

Le premier moyen étant écarté comme irrecevable, le deuxième moyen concernait l’examen auquel s’est livré le Tribunal, en ce qui concerne les première et quatrième condition de l’arrêt Altmark Trans du 24 juillet 2003.

Par la première branche de son deuxième moyen, le Royaume d’Espagne fait valoir, en substance, que l’examen auquel s’est livré le Tribunal, en ce qui concerne la première condition Altmark, est entaché de plusieurs erreurs de droit.

S’agissant en premier lieu de la prétendue erreur commise par le Tribunal dans l’appréciation du droit national, la Cour relève, à propos de l’appréciation de la loi 32/2003, que le Tribunal a retenu que la qualification de service d’intérêt général figurant dans cette loi concernait tous les services de télécommunications, y compris les réseaux de diffusion radio et télévision et que le seul fait qu’un service soit désigné comme étant d’intérêt général dans le droit national n’implique pas que tout opérateur qui l’effectue est chargé de l’exécution d’obligations de service public clairement définies, au sens de l’arrêt Altmark. À cet égard, la Cour constate que le Royaume d’Espagne n’a apporté aucun élément faisant apparaître de manière manifeste que le Tribunal aurait, ainsi, dénaturé le contenu de la loi 32/2003. Par ailleurs, la Cour relève que le Royaume d’Espagne n’indique pas en quoi le Tribunal aurait dénaturé le droit national en ce qu’il n’aurait pas pris en compte le décret 347/2008.

S’agissant en deuxième lieu de la prétendue interprétation erronée de l’arrêt Altmark commise par le Tribunal, la Cour, rappelant que la première condition Altmark poursuit un objectif de transparence et de sécurité juridique, qui exige la réunion de critères minimaux tenant à l’existence d’un ou de plusieurs actes de puissance publique définissant de manière suffisamment précise à tout le moins la nature, la durée et la portée des obligations de service public incombant aux entreprises chargées de l’exécution de ces obligations (pt. 86), estime que le Royaume d’Espagne ne saurait reprocher au Tribunal d’avoir adopté une approche formaliste, en exigeant la présence d’un acte de puissance publique investissant les opérateurs en cause d’une mission de SIEG et le caractère universel et obligatoire de cette mission, ainsi que l’indication de la nature et de la durée des obligations de service public et des entreprises et du territoire concernés (pt. 87).

La seconde branche du deuxième moyen porte sur l’analyse de la quatrième condition Altmark, à propos de laquelle le Royaume d’Espagne soutient que l’arrêt attaqué est entaché d’une erreur de droit en ce que le Tribunal a jugé que la comparaison avec la technologie satellitaire ne suffisait pas à démontrer que l’entreprise publique en cause était la plus efficiente. Sur la Cour, rappelant qu’il ressort de l’examen de la première branche du deuxième moyen du pourvoi que la première condition Altmark n’était pas satisfaite, retient que  eu égard au caractère cumulatif des conditions issues de l’arrêt Altmark, l’éventuel caractère erroné de l’appréciation du Tribunal sur la quatrième condition Altmark ne saurait entraîner l’annulation de l’arrêt attaqué.

Enfin, par son troisième moyen, le Royaume d’Espagne soutenait que le Tribunal avait commis une erreur de droit en concluant que la mesure en cause n’était pas compatible avec le marché intérieur, au motif qu’elle ne respectait pas le principe de neutralité technologique. Le moyen est déclaré irrecevable au motif qu’il remet en cause l’appréciation des faits et des éléments de preuve, laquelle ne constitue pas, sous réserve du cas de leur dénaturation, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour.

Au final, aucun des moyens soulevés par le Royaume d’Espagne n’étant accueilli, son pourvoi est rejeté dans son intégralité.

JURISPRUDENCE AIDES D'ÉTAT : le Tribunal de l’Union annule la décision de la Commission déclarant compatibles les garanties étatiques et aides fiscales accordées au consortium chargé de la construction du pont/tunnel entre Copenhague et Malmö en tant qu’elle a été adoptée sans ouverture de la phase formelle d’examen

 

Le 19 septembre 2018, le Tribunal de l’Union a rendu un arrêt dans l’affaire T-68/15 (Scandlines Øresund e.a. / Commission).

Depuis l’année 2000, il existe deux moyens de franchir le détroit de l’Øresund entre le Danemark et la Suède. D’abord, au sud du détroit, entre Copenhague et Malmö, un pont et un tunnel (le plus long d’Europe). Puis au nord du détroit,  une traversée en ferry, entre Elseneur au Danemark et Helsingborg en Suède, pour transporter des poids lourds, des autobus, des véhicules privés et des piétons.

Compte tenu de l’ampleur de l’ouvrage, la liaison fixe du sud du détroit a fait l’objet d’un soutien étatique. Le Consortium chargé de la construction a ainsi bénéficié d’une garantie conjointe et solidaire des gouvernements danois et suédois couvrant les prêts et les autres instruments financiers contractés afin de financer la liaison fixe. Informé par le Consortium, la Commission a dans un premier temps répondu que les garanties étatiques ne devait pas, en principe, être considéré comme l’octroi d’une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE et qu’elles ne devaient pas lui être notifiées.

Par la suite, HH Ferries, qui assure donc la liaison en ferry, entre Elseneur au Danemark et Helsingborg en Suède a déposé une plainte auprès de la Commission soutenant que les garanties étatiques constituaient des aides d’État illégales au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE et incompatibles avec le marché intérieur. Sur quoi, la Commission, se ravisant, a adopté la
décision du 15 octobre 2014, aux termes de laquelle elle a considéré : i) sur la base de l’appréciation de compatibilité des mesures en cause et en tenant compte, en particulier, des engagements soumis par le Royaume de Danemark et le Royaume de Suède, de ne pas soulever d’objections à l’encontre des aides fiscales danoises et des garanties octroyées par le Royaume de Danemark au Consortium, au motif que ces aides d’État devaient être considérées comme compatibles avec le marché intérieur au regard de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE ; ii) que la garantie accordée au Consortium par le Royaume de Suède était une aide existante et que, au vu notamment des engagements du Royaume de Danemark et du Royaume de Suède, il n’était pas nécessaire d’engager la procédure sur les régimes d’aides existants ; iii) que le régime danois d’imposition commune et les mesures octroyées aux sociétés mères du Consortium pour le financement des connexions intérieures routières et ferroviaires en Suède et au Danemark ne constituaient pas des aides d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

Petite précision, la décision attaquée a été adoptée par la Commission sans ouverture de la phase formelle d’examen.

Justement, si à l’appui de leur demande d’annulation, les requérantes ont soulevé cinq moyens, le Tribunal s’est essentiellement penché sur le quatrième moyen tiré d’une violation de l’obligation d’ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, § 2, TFUE.

Au terme de cet examen, le constat est plutôt cruel.

S’agissant d’abord de la qualification des garanties étatiques octroyées au Consortium au regard de l’article 107, § 1, TFUE, le Tribunal relève que la décision attaquée ne fournit pas d’explications sur les raisons pour lesquelles les garanties étatiques doivent être considérées comme des régimes d’aides, ce qui est un élément révélant l’existence d’un examen insuffisant et incomplet (pt. 75). En l’espèce, la décision attaquée n’expose nullement en quoi les aides contenues dans les garanties étatiques remplissent la condition selon laquelle l’aide ne doit pas être liée à un projet spécifique (pt. 76). Dès lors, le Tribunal estime que la Commission était confrontée, lors de la procédure préliminaire d’examen, à des difficultés sérieuses en ce qui concernait la qualification des garanties étatiques de « régimes » d’aides. Accueillant donc le deuxième grief de la première branche du quatrième moyen et, partant, la première branche dudit moyen dans son intégralité, le Tribunal annule la décision attaquée en ce qu’elle a qualifié les garanties étatiques de « régimes » d’aides sans ouvrir la procédure formelle d’examen et renvoie à la Commission l’ensemble de l’analyse concernant la date d’octroi des garanties étatiques, leur nombre et leur qualité d’aide nouvelle ou existante (pt. 76).

Par ailleurs, au terme de l’examen de la seconde branche du quatrième moyen, le Tribunal conclut que l’examen de la compatibilité des aides d’État accordées au Consortium a été insuffisant et incomplet en ce que la Commission, premièrement, n’a pas vérifié l’existence de conditions de mobilisation des garanties étatiques (pts. 95-98), deuxièmement, n’était pas capable, à l’issue de son examen préliminaire, de déterminer l’élément d’aide contenue dans les garanties étatiques, troisièmement, n’a pas vérifié l’éventualité d’une aide au fonctionnement couvrant des coûts d’exploitation (pts. 108-112), quatrièmement, ne connaissait pas la limite de montant, ni la limite de durée précise des aides en cause (pts. 137-139), cinquièmement, n’était pas en possession de suffisamment d’éléments pour démontrer que l’aide liée aux garanties étatiques et l’aide liée aux aides fiscales danoises étaient limitées au minimum nécessaire pour la réalisation du PIIEC (pt. 153) et, sixièmement, n’a pas examiné les effets des aides en cause sur la concurrence et les échanges entre États membres, ni effectué de mise en balance entre leurs effets négatifs et leurs effets positifs (pts. 194-196). Par conséquent, le Tribunal constate que la Commission a rencontré des difficultés sérieuses quant au constat de compatibilité des aides d’État en cause, qui auraient dû l’obliger à ouvrir la procédure formelle d’examen (pt. 217).

Dès lors, le Tribunal annule, sur la base du quatrième moyen relatif à la violation des droits procéduraux des parties intéressées, la décision attaquée en tant qu’elle ne soulève pas d’objections à l’égard des garanties étatiques octroyées au Consortium par le Royaume de Danemark et le Royaume de Suède et des aides fiscales danoises accordées au Consortium (pt. 220).

Pour le reste, le Tribunal rejette l’ensemble des autres moyens soulevés.

JURISPRUDENCE AIDES D'ÉTAT : Dans l’affaire des aides belges au secteur sidérurgique, le Tribunal de l'Union confirme que la participation de la région wallonne à une augmentation du capital du groupe Duferco ne satisfaisait pas au critère de l’investisseur privé

 

Le 18 septembre 2018, le Tribunal de l’Union a rendu un arrêt dans l’affaire T-93/17 (Duferco Long Products SA contre Commission européenne) à la faveur duquel il apporte des précisions sur l’application de critère de l’investisseur privé.

Dans cette affaire concernant des aides accordées par la Belgique à plusieurs entreprises du secteur sidérurgique, il apparaît que la région wallonne a accordé un soutien financier au groupe Duferco, via la société publique FSIH, sans en avoir informé la Commission européenne. Le FSIH a participé, à hauteur de 100 millions d’euros, à une augmentation du capital de la requérante, à l’issue de laquelle il s’est retrouvé actionnaire de celle-ci à hauteur de 49,74 % (pt. 42).

Dans une
décision du 20 janvier 2016, la Commission a, notamment, estimé que les conditions auxquelles le FSIH avait participé, à hauteur de 100 millions d’euros, à une augmentation du capital de la requérante, avaient eu pour conséquence de placer cette dernière dans une situation plus favorable que celle de ses concurrents, en ce qu’aucun investisseur privé n’aurait accepté d’investir dans la requérante aux mêmes conditions et que cet avantage constituait une aide d’État incompatible avec le marché intérieur. En particulier, la Commission a considéré, d’une part, en réponse aux observations du Royaume de Belgique, que l’investissement du FSIH ne pouvait être considéré comme pari passu, à savoir réalisé aux mêmes conditions et par des organismes se trouvant dans des situations comparables et, d’autre part, que cet investissement n’était pas justifié par une analyse économique conforme au critère de l’investisseur privé en économie de marché (pt. 14).

À l’appui de son recours, la requérante soulève deux moyens, tirés, en substance, le premier, d’erreurs manifestes d’appréciation de la Commission dans l’examen du caractère pari passu de l’opération en cause et, le second, de l’absence d’avantage lié aux conditions auxquelles le FSIH a participé à l’augmentation de son capital, dès lors que, selon elle, cette participation était conforme au critère de l’investisseur privé.

Le Tribunal se concentre d’abord sur l’examen du second moyen.

En substance, la requérante soutenait d’abord que la Commission avait opéré une confusion entre, d’une part, la question de l’applicabilité du critère de l’investisseur privé et, d’autre part, celle de l’application de ce critère.

Rappelant que pour l’application du critère de l’investisseur privé, il y a lieu de distinguer entre, d’une part, le rôle de l’État membre actionnaire d’une entreprise et, d’autre part, celui de l’État membre agissant en tant que puissance publique (pt. 36), le Tribunal précise que, lorsqu’il apparaît que le critère de l’investisseur privé pourrait être applicable, il incombe à la Commission de demander à l’État membre concerné de lui fournir toutes les informations pertinentes lui permettant de vérifier si les conditions d’applicabilité et d’application de ce critère sont remplies. Et elle ne peut refuser d’examiner de telles informations que si les éléments de preuve produits ont été établis postérieurement à l’adoption de la décision d’effectuer l’investissement en question (pt. 37). Dès lors, relevant qu’au cas d’espèce, le FSIH a entendu prendre la décision de procéder à un investissement en qualité d’actionnaire, de sorte que la question de l’applicabilité du critère de l’investisseur privé est, en l’espèce, dénuée de pertinence, celle-ci étant, en raison de la nature même de l’opération litigieuse, présumée (pt. 43). Par suite, estime le Tribunal, l’argumentation de la requérante sur une prétendue confusion entre, d’une part, la question de l’applicabilité du critère de l’investisseur privé et, d’autre part, celle de l’application de ce critère doit, en tant que telle, être écartée comme étant dénuée de pertinence (pt. 49).

Il appartenait donc à l’État membre de démontrer que sa décision d’investissement était fondée sur des évaluations économiques comparables à celles que, dans les circonstances de l’espèce, un investisseur privé rationnel se trouvant dans une situation la plus proche possible de la sienne aurait fait établir, avant de procéder audit investissement, aux fins de déterminer la rentabilité future de celui-ci. Or, estime le Tribunal, force est de constater, à l’instar de la Commission, que, compte tenu de l’ampleur de l’investissement litigieux, il ne saurait être valablement soutenu par la requérante que les documents produits au cours de la procédure administrative permettaient de conclure à un examen sérieux de la rationalité économique de l’opération en cause, dès lors que, notamment, ils faisaient abstraction de toute perspective de rentabilité pour le FSIH (pt. 52). Plus précisément, les documents fournis étaient, pour l’essentiel, des documents internes au groupe Duferco, se limitant à des études de l’activité du groupe ou à la présentation de chiffres, dont certains ne sont pas datés. S’agissant des rapports d’expertise externes, ceux-ci ont été réalisés, à la demande du groupe Duferco, sans aucun contrôle des comptes ni aucun audit de l’entreprise en cause et ne contiennent que des estimations fondées sur des documents communiqués par le groupe Duferco, dont la fiabilité n’est à aucun moment éprouvée par l’expert concerné (pt. 54). Partant, en l’espèce, il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir commis une erreur de droit en concluant que l’investissement du FSIH ne pouvait être considéré comme conforme au critère de l’investisseur privé, sur le fondement de l’insuffisance des évaluations économiques préalables à sa prise de participation dans DLP (pt. 56).

La requérante faisait encore valoir que la Commission avait violé son obligation de motivation. À cet éagrd, le Tribunal se contente de constater que la décision attaquée laisse apparaître une motivation détaillée des raisons pour lesquelles la Commission a considéré que la participation du FSIH à l’augmentation de capital litigieuse ne se révélait pas fondée sur des évaluations économiques semblables à celles qu’un investisseur privé rationnel aurait effectuées avant de procéder à un tel investissement (pt. 77).

La requérante soutenait enfin que la région wallonne avait fourni à la Commission un nombre important de documents qui attestent que le FSIH se serait comporté comme l’aurait fait un investisseur privé et que la conclusion contraire tirée par la Commission à partir de l’analyse de ces pièces procédait d’erreurs manifestes d’appréciation.

Sur quoi le Tribunal rappelle que, pris collectivement, les documents produits au cours de la procédure administrative étaient, pour l’essentiel, des documents internes au groupe Duferco, se limitant à des études de l’activité du groupe ou à la présentation de chiffres, dont certains n’étaient pas datés (pt. 91). En outre, estime-t-il, la requérante n’avance aucun élément de nature à permettre de considérer que les documents dont elle se prévaut, en tant qu’ils seraient susceptibles de justifier la rationalité économique du comportement du FSIH, auraient effectivement pu permettre au FSIH de fonder sa prise de participation dans le capital de la requérante sur des évaluations économiques semblables à celles qu’un investisseur privé rationnel aurait effectuées avant de procéder à un tel investissement. Et le Tribunal de conclure sur ce point que les éléments présentés par la requérante ne sont pas suffisants pour priver de plausibilité l’appréciation des faits retenue dans la décision attaquée. Dès lors, c’est sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation que la Commission a estimé, à la suite d’une analyse du comportement du FSIH en termes de rationalité économique au regard des documents produits par le Royaume de Belgique, que l’investissement en cause ne pouvait pas être considéré comme étant conforme au critère de l’investisseur privé (pt. 94).

Au final, le Tribunal estime que c’est à bon droit que la Commission a considéré, dans la décision attaquée, que la participation du FSIH à une augmentation du capital de DLP ne satisfaisait pas au critère de l’investisseur privé et constituait, dès lors, une aide d’État incompatible avec le marché intérieur (pt. 97).

S’agissant à présent du premier moyen, tiré d’erreurs manifestes d’appréciation de la Commission dans l’examen du caractère pari passu de la participation du FSIH à une augmentation du capital de la requérante, le Tribunal commence par rappeler que le recours à la notion d’opération pari passu, en matière d’aides d’État, permet seulement de présumer la conformité d’une opération avec les conditions du marché (pt. 102). Au cas d’espèce, il considère que la Commission a estimé à bon droit, dans la décision attaquée, à la suite d’une analyse du comportement du FSIH en termes de rationalité économique au regard des documents produits par le Royaume de Belgique, que la prise de participation du FSIH dans le capital de DLP ne répondait pas au critère de l’investisseur privé et, partant, constituait un avantage au sens de l’article 107, § 1, TFUE, de sorte que le moyen tiré d’erreurs manifestes d’appréciation de la Commission dans l’examen du caractère pari passu de la participation du FSIH à une augmentation du capital de DLP n’est, en tout état de cause, pas de nature à entraîner l’annulation de la décision attaquée (pt. 104).

En définitive, aucun moyen n’ayant été accueilli, le recours est rejeté.

JURISPRUDENCE AIDES D’ÉTAT : L’avocat général Saugmandsgaard Øe invite la Cour à privilégier la méthode d’analyse classique pour juger du caractère sélectif de l’exemption de l’impôt allemand sur les acquisitions immobilières au profit de certaines opérations de transformation au sein d’un groupe de sociétés

 

Le 19 septembre 2018, l’avocat général Saugmandsgaard Øe a présenté ses conclusions dans l’affaire Affaire C-374/17 (Finanzamt B contre A‑Brauerei), soumise à la Cour à la suite d’une demande de décision préjudicielle formée par la Cour fédérale des finances allemande.

Cette demande s’inscrit dans le cadre d’un litige opposant A‑Brauerei et le l’administration fiscale au sujet de la décision de cette dernière d’exclure l’opération d’absorption par A‑Brauerei de sa filiale, T‑GmbH, du bénéfice de l’exonération prévue à l’article 6a de la loi relative à l’impôt sur les acquisitions immobilières, laquelle exempte de l’impôt sur les acquisitions immobilières certaines opérations de transformation réalisées au sein d’un groupe de sociétés.

La juridiction de renvoi considère que l’absorption de T‑GmbH par A‑Brauerei relève de l’article 6a du GrEStG et, partant, doit être exonérée de l’impôt sur les acquisitions immobilières. Cette juridiction se demande cependant si cette exonération doit être qualifiée d’« aide d’État » au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Elle souligne que la qualification d’« aide d’État » dans le contexte du litige au principal dépendra principalement de l’interprétation de la condition de sélectivité. Ladite juridiction est néanmoins d’avis que l’exonération prévue à l’article 6a du GrEStG n’est pas sélective et, partant, ne constitue pas une aide d’État.

Par sa question, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si l’article 107, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens que doit être qualifié d’« aide d’État » un avantage fiscal tel que celui en cause dans le litige au principal, qui consiste à exempter de l’impôt sur les acquisitions immobilières une opération de transformation au sein d’un groupe de sociétés, en l’occurrence une fusion, à laquelle participent une entreprise dominante et une société dépendante, étant entendu que l’entreprise dominante doit détenir une participation d’au moins 95 % dans la société dépendante au cours des cinq années précédant l’opération et, en principe, au cours des cinq années suivant celle-ci.

Relevant que la jurisprudence de la Cour au sujet de la sélectivité matérielle se caractérise par la coexistence de deux méthodes d’analyse, notamment en matière fiscale, d’une part, la méthode d’analyse classique, qui se fonde sur le critère de disponibilité générale. Selon cette approche, est sélectif tout avantage qui n’est pas ouvert à l’ensemble des entreprises présentes sur le territoire national. Le critère de disponibilité générale exige non pas que toutes les entreprises jouissent effectivement de l’avantage concerné, mais bien que toutes puissent en bénéficier. D’autre part, la méthode dite « du cadre de référence », qui repose sur le critère de discrimination. Selon cette approche en trois étapes, un avantage est sélectif lorsqu’il constitue une dérogation au cadre de référence pertinent, lorsqu’il n’est pas ouvert à toutes les entreprises se trouvant dans des situations comparables et lorsqu’il n’est pas justifié par la nature ou l’économie générale du régime en cause.

Si, dans le cadre de la présente affaire, l’avocat général Saugmandsgaard Øe  estime que l’application de chacune de ces deux méthodes aboutit au même résultat, à savoir l’absence de sélectivité de l’exonération prévue à l’article 6a du GrEStG, il suggère toutefois à la Cour de privilégier la méthode d’analyse classique et de juger, en application de cette méthode, que l’exonération prévue à l’article 6a du GrEStG constitue une mesure générale dès lors qu’elle est ouverte à toute entreprise présente sur le territoire national, et même à toute entreprise nationale ou étrangère détenant un immeuble sur le territoire national (pts. 102-103). Il avoue en revanche nourrir certaines inquiétudes quant aux conséquences pratiques du recours à la méthode du cadre de référence, sur les plans tant substantiel que formel. Selon lui, cette méthode comporte le risque d’étendre la discipline des aides d’État à toute différenciation fiscale, en invitant à passer en revue l’ensemble des régimes fiscaux des États membres à la recherche de discriminations (pts. 72-73).

Ainsi, estime-t-il, dans un domaine tel que la fiscalité, qui est intimement lié à la souveraineté des États membres, qui n’est pas ou peu harmonisé au niveau de l’Union, et qui soulève des questions politiques délicates telles que l’égalité devant l’impôt ou la progressivité de l’impôt, il est permis de se demander si l’utilisation d’une méthode d’analyse moins intrusive, fondée sur la notion de « disponibilité générale », n’est pas plus appropriée (pt. 74).

En conclusion, l’avocat général Saugmandsgaard Øe suggère à la Cour de répondre comme suit à la question préjudicielle : L’article 107, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens que constitue une mesure générale et, partant, ne peut pas être qualifié d’« aide d’État », un avantage fiscal tel que celui en cause dans le litige au principal, qui consiste à exempter de l’impôt sur les acquisitions immobilières une opération de transformation au sein d’un groupe de sociétés, en l’occurrence une fusion, à laquelle participent une entreprise dominante et une société dépendante, étant entendu que l’entreprise dominante doit détenir une participation d’au moins 95 % dans la société dépendante au cours des cinq années précédant l’opération et, en principe, au cours des cinq années suivant celle-ci.

INFOS CONTRÔLE DES CONCENTRATIONS UE : Suite à l’annulation d'une première décision pour défaut de motivation, la Commission publie la décision confirmant le rapprochement des deux principaux cablo-opérateurs néerlandais et rend publique la décision autorisant, sous conditions, l'acquisition par FMC d'une partie des activités phytosanitaires de DuPont et l'acquisition par DuPont des activités liées à la santé et à la nutrition de FMC

 

Ces derniers jours, la Commission a rendu publiques deux décisions « concentration » rendues respectivement en juillet 2017 et en mai 2018.

Commençons par la
décision rendue le 30 mai 2018 à la faveur de laquelle la Commission a confirmé le rapprochement des deux principaux cablo-opérateurs néerlandais, Ziggo et Liberty Global.

On se souvient que le 26 octobre 2017, dans l’
affaire T-394/15 (KPN BV contre Commission européenne), le Tribunal de l’Union avait annulé, en raison d’un défaut de motivation, la décision initialement adoptée le 10 octobre 2014 par la Commission déclarant ledit rapprochement compatible avec le marché intérieur.

À la faveur de la décision de 2014, la Commission avait autorisé Liberty Global à prendre le contrôle de trois des quatre chaînes de télévision premium payantes aux Pays-Bas (Film1, HBO Nederland et Sport1), parmi lesquelles figurent les deux seules chaînes de cinéma premium payantes (Film1 et HBO Nederland). Toutefois, comme Liberty Global s’est engagé à céder Film1, supprimant du même coup le chevauchement horizontal entre les activités des parties en ce qui concerne les chaînes de cinéma premium payantes aux Pays-Bas, et comme la Commission a considéré que l’opération envisagée ne donnerait lieu à aucun chevauchement horizontal entre les deux chaînes de sport premium payantes, étant donné que Sport1 appartenait déjà à Liberty Global et que Fox Sports ne ferait pas partie de l’opération envisagée, l’opération a pu être autorisée. Par son deuxième moyen, la requérante, société active dans le secteur des réseaux câblés pour des services de télévision, d’Internet haut débit, de téléphonie fixe et de télécommunications mobiles, notamment aux Pays-Bas, dénonçait la violation de l’obligation de motivation concernant l’absence d’analyse des éventuels effets anticoncurrentiels verticaux sur le marché des chaînes sportives premium payantes. Elle faisait valoir, en substance, que la Commission n’avait pas motivé l’absence d’analyse du risque de verrouillage par Liberty Global, en tant que fournisseur en gros de chaînes sportives premium payantes, à savoir Sport1 devenu depuis Ziggo sport Totaal (ZST), de l’accès à cet intrant par des distributeurs concurrents en aval, comme elle-même. Elle ajoutait que la nouvelle entité contrôlait de très importants contenus sportifs exclusifs et qu’elle s’était déjà engagé par le passé dans une stratégie de verrouillage partiel des intrants, en détériorant les conditions d’accès et de distribution de Sport1, devenu ZST.

Sur quoi, le Tribunal, relevant que la décision attaquée ne contenait aucune analyse sur les effets verticaux résultant de l’opération de concentration envisagée dans l’hypothèse où le marché du produit en cause serait défini comme étant celui de la fourniture et de l’acquisition en gros de chaînes sportives premium payantes, avait estimé que la Commission aurait dû expliquer, même de manière succincte, les raisons pour lesquelles l’opération envisagée ne soulevait pas de problème de concurrence, y compris les effets verticaux concernant un éventuel marché de la fourniture et de l’acquisition en gros de chaînes sportives premium payantes de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de cette position et au juge de l’Union d’exercer son contrôle sur l’appréciation de la Commission. À cet égard, le Tribunal avait rappelé que la Commission ne pouvait laisser ouverte la définition du marché du produit en cause que dans la mesure où aucune des définitions du marché envisageables ne permettait de constater l’existence d’une entrave significative à une concurrence effective à la suite de la concentration. Ainsi, elle ne pouvait soutenir que Liberty Global n’avait pas la capacité de verrouiller le marché du fait qu’elle n’avait pas de pouvoir de marché en amont, étant donné qu’elle ne possédait qu’une des deux chaînes sportives premium payantes. En effet, la seule circonstance que Sport1 ait un concurrent, à savoir Fox Sports, n’exclut pas en soi que Liberty Global puisse avoir un pouvoir de marché en amont sur le segment en cause, en l’absence de toute analyse de leur position respective sur le marché et de leurs rapports concurrentiels.

Aux termes de la présente décision, la Commission s’efforce de démontrer que Liberty Global n’avait pas la capacité de s’engager dans une stratégie de verrouillage en raison de l’existence de Fox Sports et ne serait pas incitée à le faire. Elle a donc examiné si l'entité fusionnée aurait la capacité et l'incitation à s'engager dans une stratégie de verrouillage des intrants, et en particulier dans le verrouillage complet des intrants en refusant de donner accès à ZST à ses concurrents au stade de la distribution de détail.

S’agissant en premier lieu de la capacité à s'engager dans une stratégie de verrouillage des intrants, la Commission a considéré que, même si l'entité fusionnée disposait de la capacité technique de cesser de fournir ZST en gros à des tiers dans le futur, elle n’aurait pas la capacité d’exclure ses concurrents en aval. En effet, la pénétration du marché de ZST est faible, les clients disposent d’alternatives à ZST et et les fournisseurs de télévision peuvent recourir à des stratégies permettant de contrer une telle stratégie de verrouillage. Même si des contenus sportifs importants sont diffusés sur ZST, cela ne conférerait pas un pouvoir de marché important à l’entité fusionnée, dès lors que les droits de diffusion desdits contenus sportifs sont contestables sur le marché en amont et  que la popularité de certains contenus sportifs fluctue avec le temps. En outre, des contenus sportifs populaires sont susceptibles d’être ajouté à la liste des événements néerlandais à moyen terme, surtout si des tentatives de verrouiller ces contenus étaient avérées (pt. 389).

S’agissant à présent de l’incitation à s'engager dans une telle stratégie de verrouillage des intrants, la Commission, observant qu’à la suite de l’opération, l’entité fusionnée a continué à fournir l’accès à ZST à ses concurrents en aval, estime que, quatre ans après le transaction, l'entité fusionnée n'a entrepris aucune tentative de mise en œuvre d’une stratégie complète de verrouillage des intrants. Par conséquent, elle conclut que l'on ne peut exclure que le l’entité fusionnée serait incitée, à l’avenir, à se lancer dans le verrouillage de ZST sur des plates-formes de télévision payante concurrentes (pt. 397).

En ce qui concerne les effets d’un verrouillage complet du ZST, la Commission estime en tout état de cause qu’il ne pourrait avoir un impact négatif sur le marché aval que dans une mesure très limitée. Du fait que ZST n’est pas un intrant suffisamment important, son verrouillage ne pourrait avoir un effet préjudiciable sur la concurrence en aval sous la forme de relèvement des prix ou en érigeant des barrières à l’entrée (pt. 405). A fortiori, un verrouillage partiel a encore moins de chance de succès (pt. 406).

Au final, la Commission estime que l'entité fusionnée peut avoir l'incitation mais n'a pas la capacité de priver les concurrents d’une concurrence effective sur le marché en aval. Même si l'entité issue de la fusion devait adopter une stratégie de verrouillage totale ou partielle dans l’avenir, l’impact sur le marché serait très limité. Cette constatation est confirmé par le fait que la part de marché de l’entité fusionnée est demeurée stable les quatre dernières années (pt. 426).

Pour le surplus, je vous renvoie à la lecture du
communiqué de presse de la Commission.
 



À la faveur de la seconde décision, datée du 27 juillet 2017, la Commission a autorisé, sous conditions, l'acquisition par FMC, multinationale basée aux États-Unis active dans le secteur des produits chimiques, d'une partie des activités phytosanitaires de DuPont, autre multinationale basée États-Unis, commercialisant également des produits chimiques, polymères, produits agrochimiques, semences, ingrédients alimentaires et autres substances, et l'acquisition par DuPont des activités liées à la santé et à la nutrition de FMC.

À l’origine de la présente opération se trouve une autre concentration, celle entre les sociétés chimiques Dow et DuPont, toutes deux basées aux États-Unis, que la Commission européenne a autorisé par
décision en date du 27 mars 2017, sous réserve de la cession d'une partie importante de l'activité mondiale de DuPont dans le secteur des pesticides, dont sa structure mondiale de R&D.

C’est précisément cette part substantielle des activités phytosanitaires mondiales de Dupont, notamment son organisme mondial de recherche et développement, qui est ici acquis par FMC. Toutefois, et pour faire bonne mesure l’accord entre DuPont et FMC prévoit en contrepartie l'acquisition par DuPont des activités liées à la santé et à la nutrition de FMC.

S’agissant en premier lieu de l’acquisition par FMC d'une partie des activités phytosanitaires de DuPont, l'autorisation de l’opération est subordonnée à la cession des activités portant sur certains herbicides utilisés dans les cultures de céréales dans l'Espace économique européen (EEE). La Commission craignait que l'opération ne permette à FMC d'augmenter unilatéralement ses prix dans plusieurs marchés nationaux de l'EEE en éliminant un concurrent proche (DuPont). En pratique, FMC s’est engagé à céder ses activités portant sur certains herbicides dans l'EEE par le recours à des licences exclusives ainsi que le personnel nécessaire à la gestion desdites activités.

S’agissant en second lieu de l’acquisition par DuPont des activités de FMC liées à la santé et à la nutrition, là encore, la Commission a exprimé ses craintes que l’opération, telle qu'initialement notifiée, ne vienne renforcer la position dominante de FMC dans le secteur des alginates destinés à être utilisés comme excipients pharmaceutiques et ne réduise nettement la concurrence pour les applications alimentaires en éliminant un concurrent important (FMC) sur le marché de l’EEE. DuPont a proposé de céder ses activités mondiales relatives aux alginates, y compris tous les actifs corporels et incorporels pour l'approvisionnement, le développement, la fabrication, le conditionnement ou la vente d'alginates. Ceux-ci comprennent l'usine de production de DuPont située à Landerneau, en France, une licence pour l'utilisation de la marque GRINSTED® Alginate de DuPont pendant un certain temps, ainsi que les mélanges de pectine et d'alginates de DuPont.

Pour le surplus, je vous renvoie à la lecture du
communiqué de presse de la Commission.

INFOS : Adoptant sa 4e décision consécutive au refus d'une transaction sur une PAC locale, l’Autorité sanctionne une pratique de prix excessif emportant non seulement abus d’exploitation, mais aussi abus d’éviction et, ce faisant, ouvre certaines perspectives

 


À la faveur d’une décision n° 18-D-17 rendue le 20 septembre 2018 dans le secteur de l’élimination des déchets d’activités de soins à risque infectieux en Corse, l’Autorité de la concurrence sanctionne une pratique de prix excessifs.

À la suite d’une enquête réalisée par la DGCCRF, dont l’Autorité n’a pas souhaité se saisir au stade du rapport, la présente affaire a donc d’abord été traitée par le ministre en PAC locale et une transaction a été proposée à l’entreprise, qui, visiblement, n’a même pas pris le soin de répondre à la  proposition de transaction du ministre, lequel, devant ce refus de transiger, a saisi le 8 juillet 2014, comme l’y contraint l’article L. 464-9 du code de commerce, l’Autorité de la concurrence.

Mal en a pris à l’entreprise mise en cause puisqu’elle écope d’une amende de 199 000 euros là où le plafond de la transaction était à l’époque de 75 000 euros…, sans parler de la publicité de la décision de l’Autorité dans trois journaux à laquelle elle est par ailleurs enjoint.

Ainsi, après pas moins de quatre années d’instruction supplémentaires, l’Autorité sanctionne la société Sanicorse (solidairement avec sa société mère la SAS Groupe Cesarini), en situation de monopole de fait sur le marché de l’élimination des DASRI en Corse depuis 1997 (pt. 116), pour avoir mis en œuvre une pratique d’augmentation brutale, significative (+ 60 % en moyenne en quatre ans rapport au prix moyen de 2010 (pt. 138), avec de gros écarts selon les centres hospitaliers), persistante (la politique d’augmentation tarifaire a duré plus de 4 ans (pt. 147)) et injustifiée des tarifs de l’élimination des déchets d’activités de soins à risque infectieux (DASRI) en Corse de 2011 à 2015, à l’égard de ses clients, les établissements de soins, par ailleurs en grande difficulté financière (pt. 203).

L’Autorité a ainsi précisé qu’une augmentation tarifaire est susceptible d’être anticoncurrentielle notamment lorsqu’elle met en œuvre une stratégie d’exploitation de clients captifs de la part de l’entreprise en position dominante, dont la mise en évidence ressort d’une part, de son caractère brutal, significatif, non transitoire et, d’autre part, de l’absence de justification objective de cette hausse au regard des conditions de fonctionnement du marché.

S’agissant du caractère brutal des augmentations de prix, il ressort, semble-t-il, principalement des conditions dans lesquelles celles-ci ont été imposées. Elles sont intervenues sans préavis, dans un contexte de menace implicite de résiliation ou de non-renouvellement des contrats, Sanicorse s’abstenant systématiquement de répondre aux appels d’offres lancés par les établissements de santé à l’échéance des contrats qui les liaient à cette entreprise (y compris ceux regroupant l’ensemble des établissements de soins). En leur imposant de véritables contrats d’adhésion, elle montrait implicitement aux établissements de soins, tenus de respecter l’obligation légale de traiter les DASRI dans des délais très contraints, qu’ils n’avaient d’autre choix que de contracter avec elle, aux conditions qu’elle jugerait adéquates (pts. 133-135).

Quant à l’absence de justification, la mise en cause a avancé plusieurs explications — l’apparition d’un concurrent soutenu par l’ARS et les établissements de soins, des coûts liés à des investissements réalisés, l’augmentation de différents types de coûts et autres charges, la situation financière de l’entreprise et du groupe auquel elle appartient, et même l’impact de l’état de santé du dirigeant. Aux termes de son analyse, l’Autorité écarte une à une ces justifications : les investissements réalisés étaient déconnectées dans le temps des augmentations de prix (pt. 173), non plus que les différentes augmentations de coûts avancées (pts. 178, 182, 188). À l’inverse, pendant la même période, la situation de l’entreprise semble florissante (pts. 191-192).

À cet égard, l’Autorité estime que les effets réels ou potentiels de la présente pratique sont de deux ordres. La présente pratique d’augmentation brutale, significative, persistante et injustifiée des prix constitue non seulement un abus d’exploitation mais aussi un abus d’exclusion (pt. 201). Selon elle, elles avaient clairement pour objectif de dissuader les établissements de soins clients d’envisager toute solution alternative. Ainsi, cette politique tarifaire a également constitué un frein efficace à l’émergence de toute concurrence. En effet, retient l’Autorité, il ressort des déclarations du dirigeant que les augmentations de prix étaient justifiées par la potentielle émergence d’un concurrent (via, si l’on comprend bien une solution interne aux centres hospitaliers corses). En réalité, elles constituaient plutôt des mesures de rétorsion à l’encontre des établissements de soins qui envisageaient de mettre en place des alternatives à Sanicorse. Ainsi, elles ont pu décourager les initiatives concurrentes émanant notamment des établissements de santé qui subissaient ces augmentations tarifaires (pt. 253). Il est vrai que, lorsqu’il existe une concurrence potentielle, le meilleur moyen d’y faire face n’est sans doute pas d’augmenter ses prix à un tel niveau, sauf à précipiter l’entrée de nouveaux acteurs sur le marché. L’hypothèse retenue en filigrane par l’Autorité est inverse : c’est parce que la mise en cause connaissait le caractère plus ou moins captif des établissements de soins (peut-être en partie dû à « l’inertie » des hôpitaux quant à la recherche d’alternatives (pt. 254)) qu’elle a pu s’engager dans la voie d’une augmentation brutale, significative, persistante et injustifiée de ses prix et qu’elle a pu s’abstenir de façon répétée de répondre aux appels d’offres, sans craindre pour autant de perdre les marchés en l’absence d’opérateur alternatif en Corse. Loin d’envoyer un signal aux concurrents potentiels d’entrer sur le marché, les augmentations tarifaires avaient, selon l’Autorité, pour effet de décourager l’ensemble des clients de rechercher une alternative au fournisseur en monopole, par crainte des mesures de rétorsion tarifaires qui pourraient être prises par Sanicorse.

Il reste toutefois que le caractère effectivement captif des établissements de soins, largement affirmé, n’est pas complètement démontré. On persiste à se demander pourquoi ces centres hospitaliers acceptent sans broncher de telles augmentations. Est-ce la part relativement faible des coûts d’élimination des déchets d’activités de soins à risque infectieux au regard des budgets qu’ils gèrent ? Faut-il mettre l’absence de réaction sur le compte d’une « l’inertie » des hôpitaux invoquée par la mise en cause ?

Au final, le principal intérêt de la présente décision tient au fait qu’y est sanctionné, au-delà de l’abus d’exploitation, l’abus d’exclusion rendu possible par l’existence de contraintes économiques, et surtout de relations contractuelles empêchant les clients de changer de prestataire de services. Comme l’a relevé Olivier Fréget lors de la conférence organisée par le revue Concurrences le 5 juillet 2018 autour de la problématique « Qu'est-ce qu’un prix excessif ? », le caractère excessif du prix peut résulter de mécanismes contractuels identifiables ou, lors de la construction de la relation économique, dans le déséquilibre lié à l’interdiction de changer de fournisseur. Or, et c’est en cela que la présente décision est de nature à ouvrir des perspectives, il existe de nombreuses situations dans lesquelles des clients, parfois acteurs économiques importants, se trouvent pieds et poings liés à un ou plusieurs prestataires par cela seul que le service en cause, touchant au coeur de métiers du client, ne peut connaître aucune interruption ni aucune perte de qualité, de sorte que le changement de prestataire s’avère, sinon impossible, du moins des plus risqués pour l’ensemble de l’activité du client.

Un second grief de discrimination à l’égard du Centre hospitalier de Castelluccio, sur lequel la mise en cause s'était, semble-t-il, particulièrement acharnée, avait été notifié à Sanicorse, mais n’a pas été retenu dès lors que cette pratique n’était pas distincte, dans les circonstances de l’espèce, de celle à l’origine du premier grief, dont elle constituait l’un des éléments (pt. 214).

L’Autorité a donc, en sus de la sanction pécuniaire infligée (proportion de 5 % de la valeur des ventes au regard de la gravité des faits et de l’importance du dommage causé à l’économie, auquel montant de base est affecté un coefficient multiplicateur de 2,75 pour tenir compte de la durée de 4 ans et 6 mois de la pratique), enjoint à l’entreprise de publier un résumé de la décision dans l’édition papier et dans l’édition en ligne de trois journaux — Corse Matin, le magazine de la Fédération hospitalière de France et la Gazette des communes (pt. 269).

Pour le surplus, je vous renvoie à la lecture du
communiqué de l'Autorité de la concurrence.

INFOS : Profitant de l’instruction en cours dans l’affaire des pratiques mises en œuvre par le barreau de Toulouse, l’Autorité rejette la saisine concernant les pratiques similaires du barreau de Limoges pour absence d’éléments suffisamment probants

 

On se souvient que le 18 juillet 2018, saisie par AGN Avocats de pratiques d’exclusion qui auraient été mises en œuvre par le barreau de Toulouse, l’Autorité de la concurrence avait rendu une décision n° 18-D-12 au terme de laquelle elle avait rejeté une demande de mesures conservatoires, mais estimé qu’il y avait lieu de poursuivre l’instruction du dossier au fond d’une part, sur l'entente alléguée entre plusieurs barreaux et, d’autre part, sur la pratique d'éviction liée à la diffusion des avis défavorables du Conseil national des barreaux concernant son modèle économique.

La société d’avocats avait parallèlement saisi l’Autorité de pratiques similaires qui auraient été mises en œuvre par le barreau de Limoges.

En dépit de la similarité des pratiques reprochées aux barreaux de Toulouse et de Limoges, la conclusion à laquelle parvient l’Autorité au terme de la
décision n° 18-D-18 datée du 20 septembre 2018 diverge de celle adoptée quelques semaines plus tôt.

En effet, aux termes de la présente décision, si l’Autorité conclut qu’elle n’est pas compétente pour connaître des deux délibérations du conseil de l’ordre des avocats au barreau de Limoges rejetant, d’une part, la demande d’’ouverture d’un bureau secondaire à Limoges et, d’autre part, la demande d’inscription de au tableau de l’ordre, en revanche, elle parvient à la conclusion, tant sur l'entente alléguée entre les barreaux de Toulouse et de Limoges que sur la pratique d'éviction liée à la diffusion des avis défavorables du Conseil national des barreaux concernant son modèle économique, que la saisine n’est pas appuyée d’éléments suffisamment probants en ce qui concerne l’existence de pratiques relevant de sa compétence, et la rejette en conséquence en application du 2ème alinéa de l’article L. 462-8 du code de commerce.

Pourquoi, alors que les pratiques sont similaires, dans un cas, on décide de poursuivre l’instruction du dossier au fond, tandis que dans l’autre cas, on préfère rejeter la saisine pour absence d’éléments suffisamment probants.

Il semble que, dans la présente affaire, l’Autorité ait profité du travail d’instruction réalisé à propos des pratiques mises en œuvre par le barreau de Toulouse dans le cadre de la poursuite de l’instruction. Il est vrai que les deux dossiers ont été confié, au moins en partie, à la même équipe d’instruction.

Ainsi, l’Autorité relève-t-elle, à propos des avis adoptés par la Commission des règles et usages du CNB, qu’il ne ressort pas des mesures diligentées par les services d’instruction que ces avis manifesteraient la mise en œuvre d’une stratégie anticoncurrentielle visant à évincer AGN Avocats du secteur des prestations juridiques (pt. 59).

Quant au parallélisme de comportement entre les barreaux de Toulouse et de Limoges invoqué par la saisissante, l’Autorité relève que, si les positions prises par les deux barreaux reposent en partie sur l’application des mêmes règles déontologiques, aucun élément du dossier ne permet d’établir que les barreaux de Toulouse et de Limoges se seraient concertés en vue d’évincer le modèle économique d’AGN Avocats, en se fondant sur les avis élaborés et diffusés par le CNB. Au surplus, les ordres de Toulouse et de Limoges n’ont pas adopté un comportement identique à l’égard d’AGN AD et d’AGN Avocats, le premier ayant procédé à l’inscription de la nouvelle structure tandis que le second s’y est opposé (pt. 61).

Ce faisant, si les conclusions adoptées au terme de la présente décision ne valent assurément que pour les pratiques mises en œuvre par le barreau de Limoges, elles laissent en tout état de cause largement augurer des conclusions que l’Autorité devraient retenir, lorsque l’instruction sur les pratiques mises en œuvre par le barreau de Toulouse sera achevée.

On peut du reste se demander s’il n’aurait pas été plus simple de joindre les deux affaires afin de les traiter ensemble…

Pour le surplus, je vous renvoie à la lecture du
communiqué de l'Autorité de la concurrence.

INFOS CONTRÔLE DES CONCENTRATIONS : Mise en ligne de la décision autorisant le rachat du groupe Jardiland par le groupe InVivo (Gamm Vert, Delbard), sous réserve de la cession/résiliation de 11 magasins (+ 13 décisions simplifiées)

 

Ces derniers jours, l'Autorité de la concurrence a mis en ligne 14 nouvelles décisions d'autorisation d'opérations de concentration, dont 13 décisions simplifiées.

Parmi ces décisions figure donc une seule décision non simplifiée, la
décision n° 18-DCC-148 du 24 août 2018 à la faveur de laquelle l’Autorité de la concurrence a autorisé le groupe InVivo, une union regroupant 220 coopératives agricoles et possédant les enseignes Gamm Vert et Delbard à racheter le groupe Jardiland, sous réserve qu'il cède cinq points de vente Jardiland et résilie les contrats de franchise de cinq points de vente L’Esprit Jardiland ou Gamm Vert et d’un point de vente Delbard.

Les parties sont actives sur le marché de la distribution de détail d'articles de jardinage, de bricolage, d’animalerie et d’aménagement extérieur.

La présente opération l’opération n’est pas susceptible de porter atteinte à la concurrence par le biais d’effets verticaux en dépit du fait qu’il existe un lien vertical entre la production par InVivo de certains produits (alimentation animale, produits phytosanitaires et semences de gazon) et la distribution de ces produits au grand public par les magasins des parties. Compte tenu des parts de marché, systématiquement inférieures à 30 %, d’ InVivo sur ces marchés amont, l’opération n’était pas de nature à conduire au verrouillage des marchés aval, Jardiland représentant une part de marché limitée dans la distribution des produits fabriqués et commercialisés par la partie notifiante. Un verrouillage à l’amont pouvait également être exclu dans la mesure où les achats réalisés par les parties, au niveau national, représentent un débouché qui n’est pas incontournable pour les producteurs et les fabricants (pt. 276).


En revanche, elle était susceptible de soulever des problèmes de concurrence par le biais d’effets horizontaux sur certains marchés locaux de la distribution au détail d’article de jardinage, de bricolage, d’animalerie et d’aménagement extérieur.

Si, pour la définition des marchés avals, l’Autorité a pris en compte, en plus des acteurs de la distribution spécialisée (jardineries, libre service agricole (LISA), fleuristes et grossistes spécialisés), les grandes surfaces de bricolage et les grandes surfaces alimentaires, mais seulement lorsqu’elles disposaient d’une surface dédiée aux articles de jardinage supérieure à 300 m2, en revanche, elle a exclu les ventes en ligne d’articles de jardinage, de bricolage, d’animalerie et d’aménagement extérieur. En premier lieu, elle a considéré que le taux de pénétration des ventes en ligne de l’ensemble des articles concernés par l’opération, qui atteignait 4,6 % en 2016, était significativement inférieur à celui — entre 15 et 25 % — des produits électroniques observés par l’Autorité de la concurrence dans la décision Fnac/Darty, et en tout cas trop faibles pour constituer une alternative crédible pour les consommateurs (pts. 51-52). En outre, la stratégie « omnicanal » de la cible comme de la partie notifiante est limitée, les ventes en ligne représentant moins de [0-5] % de leur chiffre d’affaires respectif (pts. 55-56).

Afin d’analyser le pouvoir de marché des deux groupes de distribution, l’Autorité a examiné les relations contractuelles entre les têtes de réseau et les adhérents. Elle a ainsi conclu à l’absence d’autonomie commerciale des magasins franchisés Delbard et Gamm Vert et donc à l’intégration de ces magasins franchisés aux parts de marché du groupe InVivo (pt. 87). En revanche, elle a considéré que les affiliés « Jardinerie du Terroir » disposaient d’une autonomie commerciale suffisante par rapport à leur tête de réseau (pt. 90). Quant aux sociétés franchisées et affiliées du réseau Jardiland, elle a estimé qu’elles ne disposaient pas d’une autonomie commerciale vis- à-vis de leur tête de réseau, de sorte qu’elles devaient être intégrées aux parts de marché de la nouvelle entité (pt. 99).


L’Autorité a donc analysé les effets de l’opération sur la structure des marchés locaux, en se fondant sur sa pratique décisionnelle et sur des tests de marché réalisés auprès des acteurs du secteur (pt. 117). Elle a notamment considéré que les risques d’atteinte à la concurrence pouvaient être écartés dans les zones où la nouvelle entité fera face à la concurrence d’au moins deux groupes de jardineries de dimension nationale (pt. 118). Cette approche, qui consiste à apprécier l’existence d’une offre alternative par deux groupes de dimension nationale, a déjà été adoptée par l’Autorité notamment dans le cadre de l’opération ITM Equipement/Bricorama. Ainsi, le consommateur disposera, à l’issue de l’opération, d’un choix entre trois opérateurs crédibles, dans une zone restreinte, lesquels, compte tenu des caractéristiques des marchés concernés, se feront concurrence (pt. 119).

Au terme de cet examen, il est apparu que l’opération n’était pas de nature à porter atteinte à la concurrence par le biais d’effets horizontaux dans les 107 zones dans lesquelles la part de marché de la nouvelle entité est inférieure à 50 %.

En revanche, dans les zones dans lesquelles la part de marché de la nouvelle entité était supérieure à 50 %, des risques de réduction significative de la concurrence ont pu être identifiés dans plusieurs zones locales : Chartres (28), Clamecy (58), Cosne-sur-Loire (58), Limoges Nord et Limoges Sud (87), Migné-Auxances et Poitiers (86), Montélimar (26), Pont-de-Beauvoisin (38), Roanne-Mably (42), Saint- Dizier-Bettancourt-la-Ferrée (52), Sevrey (71) et Vendôme (41).
 
Dans chacune de ces zones, les consommateurs auraient en effet été privés d’une offre alternative satisfaisante à l’issue de l’opération, sans que les concurrents qui y sont implantés soient susceptibles d'exercer une pression concurrentielle suffisante sur la nouvelle entité.

Afin de remédier à ces préoccupations de concurrence, le groupe InVivo s’est
engagé à céder à des opérateurs agréés par l’Autorité de la concurrence cinq points de vente Jardiland (Limoges, Migné- Auxances, Montélimar, Sevrey et Vendôme) et à résilier les contrats de franchise de cinq points de vente L’Esprit Jardiland ou Gamm Vert (Clamecy, Cosne-sur-Loire, Roanne-Mably, Pont-de-Beauvoisin et Saint-Dizier – Bettancourt-la-Ferrée) et d’un point de vente Delbard (Chartres), en favorisant la conclusion d’un nouveau contrat de franchise avec un réseau concurrent.

Pour le surplus, je vous renvoie à la lecture du
communiqué de l'Autorité de la concurrence.
 



Les 13 décisions simplifiées :

— 
Décision n° 18-DCC-138 du 20 août 2018 relative à la prise de contrôle exclusif par la société Franprix Leader Price Holding (groupe Casino) de 27 magasins de commerce de détail à dominante alimentaire ;

— 
Décision n° 18-DCC-139 du 16 août 2018 relative à la prise de contrôle exclusif du groupe Etanco par Intermediate Capital Group PLC ;

— 
Décision n° 18-DCC-140 du 16 août 2018 relative à la prise de contrôle conjoint d’actifs immobiliers par les sociétés Bouygues Immobilier et Tikehau Capital ;

— 
Décision n° 18-DCC-141 du 16 août 2018 relative à la prise de contrôle exclusif de la société LPG Systems par The Carlyle Group ;

— 
Décision n° 18-DCC-143 du 22 août 2018 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Wstore Europe par la société Bechtle AG ;

— 
Décision n° 18-DCC-144 du 22 août 2018 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Realease Expansion par la société Weinberg Capital Partners ;

— 
Décision n° 18-DCC-145 du 29 août 2018 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Mecafi par la société Nexteam Group ;

— 
Décision n° 18-DCC-146 du 22 août 2018 relative à la prise de contrôle exclusif de STM Holding (groupe Saint-Mamet) par la société Hivest Capital Partners ;

— 
Décision n° 18-DCC-147 du 28 août 2018 relative à la prise de contrôle conjoint de la société Egareseaux par les groupes VYV et Malakoff Médéric ;

— 
Décision n° 18-DCC-149 du 28 août 2018 relative à la création d’une entreprise commune par les sociétés ITM Entreprises et Arnathie ;

— 
Décision n° 18-DCC-150 du 30 août 2018 relative à la prise de contrôle exclusif du groupe Fouré Lagadec par le groupe Snef ;

— 
Décision n° 18-DCC-151 du 30 août 2018 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Garage du Château par la société GGD ;

Décision n° 18-DCC-152 du 30 août 2018 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Bretagne Automobile par la société DMD.

INFOS OUVRAGES : « Droit de la concurrence - Droit interne et droit de l'Union européenne » de André et Georges Decocq, 8e édition

 

Par ailleurs, je vous signale la parution récente de la huitième édition du manuel d'André Decocq et de Georges Decocq sobrement intitulé « Droit de la concurrence - Droit interne et droit de l'Union européenne ».

Vous trouverez une brève présentation de l'ouvrage sur le
site web de l'éditeur, la LGDJ.

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