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Hebdo n° 4/2020
3 février 2020
SOMMAIRE
 
JURISPRUDENCE UE : La Cour de justice expose dans le détail les conditions dans lesquelles un accord de report de l’entrée (Pay for Delay) constitue une restriction de la concurrence par objet ou par effet et en quoi sa conclusion s’analyse en un abus de position dominante

JURISPRUDENCE UE : La Cour de justice rejette les pouvois dans l’affaire des inspections opérées par la Commission à propos des pratiques de prédation  qu’auraient mises en oeuvre l’opérateur historique ferroviaire tchèque, České dráhy


JURISPRUDENCE : Dans l'affaire des commissions d'échange image-chèque, la Cour de cassation censure sèchement la Cour de Paris pour avoir adoptée une interprétation extensive de la notion de restriction de concurrence « par objet »

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JURISPRUDENCE UE : La Cour de justice expose dans le détail les conditions dans lesquelles un accord de report de l’entrée (Pay for Delay) constitue une restriction de la concurrence par objet ou par effet et en quoi sa conclusion s’analyse en un abus de position dominante



Huit jours seulement après que l’avocate générale Juliane Kokott a présenté ses conclusions dans l’affaire C-307/18 (Generics (UK) e.a), la Cour de justice de l’Union européenne vient donc de rendre, ce 30 janvier 2020, dans un temps record, son arrêt dans la même affaire.

Aux termes du présent arrêt — tout à fait en ligne avec les conclusions de son avocate générale —, la Cour entend faire œuvre pédagogique en expliquant dans le détail les conditions dans lesquelles — c’est-à-dire en pratique les éléments du contexte dans lequel il s’inscrit — un accord de report de l’entrée (Pay for Delay) constitue une restriction de la concurrence par objet ou par effet et sa conclusion s’analyse en un abus de position dominante.

La présente affaire fait suite à une demande de décision préjudicielle formée par le Competition Appeal Tribunal britannique à propos d’accords de report d’entrée (Pay for Delay) conclus par GlaxoSmithKline (GSK) et par plusieurs génériqueurs, qui, à partir de l’année 2000, ont envisagé d’entrer sur le marché britannique avec de la paroxétine générique. Pour mettre fin à des contentieux concernant la validité des brevets secondaires de GSK portant sur les procédés de fabrication de son antidépresseur, le paroxétine, dont le princeps est vendu sous la dénomination commerciale « Seroxat », les génériqueurs ont accepté de renoncer, durant une période convenue, à entrer sur le marché avec leurs propres génériques en contrepartie de paiements de la part de GSK. Ces accords prévoyaient, en substance, outre des paiements de GSK en leur faveur, une entrée de ces génériqueurs sur le marché avec une quantité limitée de paroxétine générique fabriquée par GSK au lieu d’une entrée indépendante de ces sociétés sur le marché avec leur propre paroxétine générique. S’ils ont entraîné une certaine diminution du prix de la paroxétine et des coûts supportés par les consommateurs, celle-ci était cependant sans commune mesure avec la chute des prix et les économies conséquentes entraînées par l’entrée indépendante des génériques sur le marché qui a réellement eu lieu à partir de décembre 2003 (pt. 39). Ainsi, les prix moyens de la paroxétine 20 et 30 mg avaient chuté d’environ 74 % en décembre 2005.

Le 12 février 2016, la Competition and Markets Authority (CMA) a adopté une décision sanctionnant GSK et deux des trois génériqueurs à hauteur d’un montant total de 44,99 millions livres. Selon la CMA, ces accords avaient pour objet d’inciter ces fabricants de génériques à abandonner leurs efforts pour entrer sur le marché de manière indépendante pendant la durée convenue et s’apparentaient donc à des accords d’exclusion du marché interdits par l’article 101 TFUE, alors que leur conclusion par GSK constituait un abus de position dominante au sens de l’article 102 TFUE.

C’est donc dans le cadre du recours contre la décision de la CMA introduit par les sociétés sanctionnées que le CAT a formé la présente demande de décision préjudicielle.

Un accord de règlement amiable d’un litige de brevet en matière pharmaceutique peut-il constituer une restriction de la concurrence par objet ou par effet et sa conclusion, éventuellement conjuguée à la conclusion d’autres accords, un abus de position dominante ? Tel était en substance la teneur des dix questions posées par le CAT.

La présente affaire fait écho à d’autres affaires — contentieuses celle-ci — pendantes de la Cour de justice de l’Union, et notamment l’affaire Lundbeck à propos de laquelle la même avocate générale Kokott devrait rendre ses conclusions au mois de mars 2020. Par suite, les constatations opérées par la Cour dans la présente procédure dégagent évidemment une orientation à suivre dans ces affaires.

Ainsi les accords conclus entre GSK et les génériqueurs ont donc mis fin au litige sur la validité des brevets secondaires, de sorte qu’il existe une incertitude quant à l’éventuelle illégalité, au regard du droit des brevets, d’une entrée sur le marché des trois génériqueurs avec de la paroxétine générique. De fait, il est impossible de savoir si ces fabricants auraient pu entrer sur le marché sans violer les droits de brevet de GSK. GSK et les fabricants de génériques en déduisent qu’il serait impossible de déterminer s’il existait une concurrence potentielle entre ces opérateurs, susceptible d’être restreinte par les accords litigieux, soutenant qu’il serait impossible de considérer que ces accords constituaient des restrictions de concurrence par objet et par effet et que leur conclusion constituait un abus de position dominante.

SUR L’ARTICLE 101 TFUE

Sur la notion de concurrence potentielle (première et deuxième questions préjudicielles)

En substance, la juridiction de renvoi demandait si l’existence d’un litige sur la validité d’un brevet de procédé de fabrication d’un principe actif tombé dans le domaine public ou sur le caractère contrefaisant des médicaments génériques concernés empêche que soient en situation de concurrence potentielle, d’une part, un fabricant de médicaments princeps titulaire dudit brevet et, d’autre part, des fabricants de médicaments génériques s’apprêtant à entrer sur le marché du médicament contenant ce principe actif (pt. 34).

D’emblée, la Cour de justice rappelle que pour qu’une entreprise absente d’un marché se trouve dans un rapport de concurrence potentielle avec une ou plusieurs autres entreprises déjà présentes sur ce marché, il convient de déterminer s’il existe des possibilités réelles et concrètes que cette première intègre ledit marché et concurrence la ou les secondes (pt. 36), et ce, en l’absence de l’accord litigieux (pt. 37). Ni hypothétique ni certaine (pt. 38), l’existence d’une concurrence potentielle doit être effectuée au regard de la structure du marché et du contexte économique et juridique régissant son fonctionnement (pt. 39). À cet égard, il y a lieu de prendre en compte les spécificités du secteur pharmaceutique (nécessité d’une AMM, existence de brevet) (pts. 40-41).

— En pratique, afin d’apprécier l’existence d’un rapport de concurrence potentielle, il importe de déterminer, premièrement, si, à la date de la conclusion de cet accord, le fabricant de médicaments génériques en cause avait effectué des démarches préparatoires suffisantes lui permettant d’accéder au marché concerné dans un délai à même de faire peser une pression concurrentielle sur le fabricant de médicaments princeps — obtention des autorisations administratives requises, constitution d’un stock suffisant de ce médicament générique, d’éventuelles démarches judiciaires visant à remettre en cause des brevets de procédé détenus par un fabricant de médicaments princeps ou des démarches en vue de la commercialisation du générique. Autant de démarches qui attestent de la détermination ferme ainsi que de la capacité propre d’un fabricant de médicaments génériques à accéder au marché d’un médicament contenant un principe actif tombé dans le domaine public, même en présence de brevets de procédé détenus par le fabricant de médicaments princeps (pt. 44).

— Deuxièmement, l’entrée sur le marché d’un tel fabricant de médicaments génériques ne doit pas se heurter à des barrières à l’entrée présentant un caractère insurmontable (pt. 45). À cet égard, l’existence d’un brevet qui protège le procédé de fabrication d’un principe actif tombé dans le domaine public ne saurait, en tant que telle, être regardée comme une barrière insurmontable et n’empêche pas de qualifier de « concurrent potentiel » du fabriquant du médicament princeps concerné un fabriquant de médicaments génériques (pt. 46). Peu importe donc l’issue incertaine du différend relatif à la validité du brevet (pt. 47) : son titulaire ne bénéficie que d’une présomption de validité du brevet (pt. 48). L’appréciation effectuée par l’autorité de concurrence ne doit pas porter sur la force du brevet ou sur la probabilité avec laquelle le litige pourrait aboutir au constat que le brevet est valide et contrefait. Elle doit davantage porter sur la question de savoir si, malgré l’existence de ce brevet, le fabricant de médicaments génériques dispose de possibilités réelles et concrètes d’intégrer le marché au moment pertinent (pt. 50). L’insécurité sur la validité de brevets est une caractéristique fondamentale du secteur pharmaceutique : la présomption de validité d’un brevet sur un princeps n’équivaut pas à une présomption d’illégalité de son générique valablement mis sur le marché (pt. 51). Au contraire, le sérieux du différend constitue un indice de l’existence d’un rapport de concurrence potentielle entre les protagonistes (pt. 52).

— Troisièmement, le constat avéré de la détermination ferme ainsi que de la capacité propre d’un fabricant de génériques à accéder au marché d’un principe actif tombé dans le domaine public, non remis en cause par l’existence de barrières insurmontables à l’entrée sur ce marché, peut être corroboré par des éléments supplémentaires : constitue un indice fort de l’existence d’une relation concurrentielle entre entreprises la conclusion d’un accord entre ces entreprises opérant à un même niveau de la chaîne de production et dont certaines n’étaient pas présentes sur le marché concerné (pt. 55). De même, un paiement par le fabricant de médicaments princeps au profit du génériqueur en contrepartie du report de l’entrée de ce dernier sur le marché, alors même que le premier fait grief au second de violer un ou plusieurs de ses brevets de procédé constitue un indice d’autant plus fort que le transfert de valeurs est important (pt. 56), car cette volonté révèle la perception que le fabricant de médicaments princeps se fait du risque que présente pour ses intérêts commerciaux le fabricant de médicaments génériques concerné (pt. 57).

Ainsi, la Cour estime au terme de ces développements que que l’article 101, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens que sont en situation de concurrence potentielle, d’une part, un fabricant de médicaments princeps titulaire d’un brevet de procédé de fabrication d’un principe actif tombé dans le domaine public et, d’autre part, des fabricants de médicaments génériques s’apprêtant à entrer sur le marché du médicament contenant ce principe actif, en litige sur la validité de ce brevet ou sur le caractère contrefaisant des médicaments génériques concernés, lorsqu’il est établi que le fabricant de médicaments génériques a effectivement la détermination ferme ainsi que la capacité propre d’entrer sur le marché et que celui-ci ne se heurte pas à des barrières à l’entrée présentant un caractère insurmontable, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier (pt. 58).

Sur la notion de « restriction de concurrence par objet »

En substance, la juridiction de renvoi demande si constitue une restriction de concurrence par objet un accord de règlement amiable d’une procédure opposant un fabricant de médicaments princeps à un fabricant de génériques, en situation de concurrence potentielle, au sujet de la validité du brevet de procédé de fabrication du principe actif du princeps et du caractère contrefaisant du générique, par lequel le génériqueur s’engage à ne pas entrer sur le marché du principe actif et à renoncer à son action en nullité du brevet.

Rappelant que la notion de « restriction par objet » doit être interprétée de manière stricte et ne peut être appliquée qu’à certaines pratiques collusoires entre entreprises révélant, en elles-mêmes et compte tenu de la teneur de leurs dispositions, des objectifs qu’elles visent ainsi que du contexte économique et juridique dans lequel elles s’insèrent, un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence (pt. 67), la Cour insiste sur le fait qu’un report d’entrée sur le marché de la version générique d’un médicament princeps conduit au maintien d’un prix de monopole sur le marché du médicament concerné, qui est très sensiblement supérieur au prix auquel seraient vendues ses génériques à la suite de leur entrée sur le marché et a des conséquences financières importantes si ce n’est pour le consommateur final du moins pour les organismes de sécurité sociale (pt. 70).

Rappelant le contenu des accords litigieux entre GSK et les génériqueurs (pt. 75) et notant le caractère sérieux du litige sur la validité du brevet (pt. 76), la Cour s’attache à rechercher si ces accords de report de l’entrée (Pay for Delay) peuvent être assimilés à des accords de répartition ou d’exclusion de marché. Si les accords de règlement amiable par lesquels un fabricant de médicaments génériques candidat à l’entrée sur un marché reconnaît, au moins temporairement, la validité d’un brevet détenu par un fabricant de médicaments princeps et s’engage, de ce fait, à ne pas la contester pas plus qu’à entrer sur ce marché sont susceptibles d’emporter des effets restrictifs de concurrence (pt. 81), un tel accord ne sauraient toutefois être considéré, dans tous les cas, comme une « restriction par objet », au sens de l’article 101, § 1, TFUE, la Cour réservant l’hypothèse dans laquelle le génériqueur renoncerait à entrer sur le marché concerné en considération de ses chances d’obtenir gain de cause dans la procédure juridictionnelle (pt. 84). Et ce, même s’il existe une contrepartie financière. Celle-ci peut s’avérer justifiés, à savoir propres et strictement nécessaires au regard d’objectifs légitimes des parties à l’accord, à l’instar d’une compensation de frais liés au litige ou d’une rémunération pour la fourniture effective, immédiate ou ultérieure, de biens ou de services au fabricant de médicaments princeps) (pts. 85-86).

En revanche, la qualification de « restriction par objet » doit être retenue lorsqu’il ressort de l’analyse de l’accord de règlement amiable concerné que les transferts de valeurs prévus par celui-ci s’expliquent uniquement par l’intérêt commercial tant du titulaire du brevet que du contrefacteur allégué à ne pas se livrer une concurrence par les mérites (pt. 87). En effet, si le titulaire du brevet effectue, en faveur des génériqueurs, un important transfert de valeur qui n’a d’autre contrepartie que leur engagement à ne pas entrer sur le marché et à ne plus contester le brevet, ceci indique, en l’absence d’autre explication plausible, que ce n’est pas leur perception de la force du brevet, mais la perspective de ce transfert de valeur qui les a incités à renoncer à une entrée sur le marché et une contestation du brevet (pt. 89). Si, prenant en compte en considération l’ensemble des transferts de valeurs opérés entre les parties, qu’ils aient été monétaires ou non monétaires (pt. 90), la somme des transferts de valeurs ne trouve pas de justification dans d’éventuelles contreparties ou de renoncements avérés et légitimes de ce fabricant de médicaments génériques, il convient de déterminer si ce solde positif est suffisamment important pour inciter effectivement le fabricant de médicaments génériques concerné à renoncer à entrer sur le marché concerné (pt. 93). À cet égard, peu importe que les transferts de valeurs soient supérieurs aux bénéfices que ce fabricant de médicaments génériques aurait réalisés s’il avait obtenu gain de cause dans la procédure en matière de brevet. Seul importe le fait que ces transferts de valeurs soient suffisamment avantageux pour inciter le fabricant de médicaments génériques à renoncer à entrer sur le marché concerné et à ne pas concurrencer par ses mérites le fabricant de médicaments princeps concerné (pt. 94). En pareil cas, l’accord concerné doit, en principe, être qualifié de « restriction par objet », au sens de l’article 101, § 1, TFUE (pt. 95), peu important à cet égard que l’accord n’excèdent pas la portée et la durée de validité restante du brevet (pt. 96) ou qu’il existe une incertitude quant à la validité du brevet (pt. 97).

En revanche, il convient de prendre en compte, lorsque les parties à l’accord s’en prévalent, d’éventuels effets proconcurrentiels attachés audit accord, et ce, au stade de sa qualification de « restriction par objet », dans la mesure où ces effets sont susceptibles de remettre en cause l’appréciation globale du degré suffisamment nocif de la pratique collusoire concernée à l’égard de la concurrence et, en conséquence, sa qualification de « restriction par objet » (pt. 103). Pour autant, leur prise en compte suppose que les effets proconcurrentiels soient non seulement avérés et pertinents, mais également propres à l’accord concerné (pt. 105). Leur seule invocations par les parties ne saurait suffire (pt. 106). Ils doivent en outre être suffisamment importants, de sorte qu’ils permettent de raisonnablement douter du caractère suffisamment nocif à l’égard de la concurrence de l’accord de règlement amiable concerné, et, partant, de son objet anticoncurrentiel (pt. 107). Or, au cas d’espèce, relève la Cour, les accords de règlement amiable en cause au principal ont essentiellement produit des effets dont le caractère proconcurrentiel est minime voire incertain (pts. 108-109). Or, de tels effets ne sauraient être suffisants pour permettre de raisonnablement douter, à les supposer constatés par la juridiction de renvoi, du caractère suffisamment nocif à l’égard de la concurrence d’un accord de règlement amiable, tel que ceux en cause au principal (pt. 110).

Dès lors, la Cour estime que constitue un accord ayant pour objet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence un accord de règlement amiable d’une procédure juridictionnelle pendante opposant un fabricant de médicaments princeps à un fabricant de médicaments génériques, en situation de concurrence potentielle, au sujet de la validité d’un brevet de procédé de fabrication du principe actif d’un médicament princeps tombé dans le domaine public dont est titulaire le premier fabricant ainsi qu’au sujet du caractère contrefaisant d’une version générique de ce médicament, par lequel ce fabricant de médicaments génériques s’engage à ne pas entrer sur le marché du médicament contenant ce principe actif ainsi qu’à ne pas poursuivre son action en nullité de ce brevet pendant la durée de l’accord en contrepartie de transferts de valeurs en sa faveur par le fabricant de médicaments princeps :

—        s’il ressort de l’ensemble des éléments disponibles que le solde positif des transferts de valeurs du fabricant de médicaments princeps au profit du fabricant de médicaments génériques s’explique uniquement par l’intérêt commercial des parties à l’accord à ne pas se livrer une concurrence par les mérites,

—        à moins que l’accord de règlement amiable concerné ne soit assorti d’effets proconcurrentiels avérés de nature à faire raisonnablement douter de son caractère suffisamment nocif à l’égard de la concurrence (pt. 111).

Sur la notion de « restriction de concurrence par effet »

Dans l’hypothèse où l’analyse de la pratique collusoire concernée ne révélerait pas un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence, il conviendrait alors d’en examiner les effets et, pour la qualifier de « restriction de concurrence » au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, de réunir les éléments établissant que le jeu de la concurrence a été, en fait, soit empêché, soit restreint, soit faussé de façon sensible (pt. 115). À cette fin, il convient d’examiner le jeu de la concurrence dans le cadre réel où il se produirait à défaut de l’accord litigieux. Pour autant, l’établissement du scénario contrefactuel ne présuppose, de la part de la juridiction de renvoi, aucun constat définitif relatif aux chances de succès du fabricant de médicaments génériques dans la procédure de brevet ou à la probabilité de la conclusion d’un accord moins restrictif (pt. 119). En effet, le scénario contrefactuel a uniquement pour but d’établir les possibilités réalistes de comportement de ce fabricant en l’absence de l’accord en cause, de sorte que les chances de succès du génériqueur dans la procédure de brevet ou la probabilité de la conclusion d’un accord moins restrictif ne constituent que des éléments parmi d’autres à prendre en compte pour déterminer le jeu probable du marché ainsi que la structure de celui-ci en l’absence de conclusion de l’accord concerné (pt. 120). Par conséquent, afin d’établir l’existence d’effets sensibles potentiels ou réels sur la concurrence d’accords de règlement amiable tels que ceux en cause au principal, il n’appartient pas à la juridiction de renvoi de constater soit que le fabricant de médicaments génériques partie à cet accord aurait probablement obtenu gain de cause dans la procédure relative au brevet, soit que les parties audit accord auraient probablement conclu un accord de règlement amiable moins restrictif (pt. 121).

SUR L’ARTICLE 102 TFUE

Sur la définition du marché aux fins du constat de l’existence d’un éventuel abus de position dominante

La demande de la juridiction de renvoi portait ici, en substance, sur le point de savoir si, dans une situation dans laquelle un fabricant de médicaments princeps contenant un principe actif tombé dans le domaine public, mais dont le procédé de fabrication est couvert par un brevet de procédé dont la validité, qui est incertaine, fait obstacle, sur le fondement de celui-ci, à l’entrée sur le marché de versions génériques de ce médicament, il convient de prendre en considération pour la définition du marché de produits concerné, non seulement la version princeps de ce médicament, mais également les versions génériques de celui-ci, alors que ces dernières pourraient ne pas être en mesure d’entrer légalement sur le marché avant l’expiration dudit brevet de procédé (pt. 126).

Sur quoi la Cour répond que, pour qu’il existe un degré suffisant d’interchangeabilité entre le médicament princeps et les médicaments génériques concernés, il faut que les génériqueurs soient en mesure de se présenter à brève échéance sur le marché concerné avec une force suffisante pour constituer un contrepoids sérieux au fabricant du médicament princeps déjà présent sur le marché, tout particulièrement lorsque ceux-ci se sont inscrits dans une stratégie préalable et effective d’entrée sur le marché, ont effectué les démarches nécessaires à celle-ci, à savoir, par exemple, le dépôt d’une demande d’AMM voire l’obtention d’une telle AMM, ou encore ont conclu des contrats d’approvisionnement auprès de distributeurs tiers (pt. 133-134). Là encore, la perception, par le fabricant de médicaments princeps, de l’immédiateté de la menace d’entrée sur le marché des fabricants de médicaments génériques pourront également être pris en compte pour évaluer le caractère significatif des contraintes concurrentielles exercées par ces derniers (pt. 135). Peu importe à cet égard l’existence d’un brevet sur le procédé de fabrication du principe actif concerné, dès lors qu’il ne garantit pas, comme au cas d’espèce, que le médicament générique contenant ce principe actif ne peut être légalement mis sur le marché ni que ce brevet est à l’abri de toute remise en cause (pts. 136-137).

Dès lors et sous réserve de satisfaire aux conditions susvisées, les versions génériques d’un médicament princeps contenant un principe actif tombé dans le domaine public, mais dont le procédé de fabrication est protégé par un brevet dont la validité demeure incertaine doivent être prises en considération aux fins de la définition du marché pertinent (pt. 138).

Sur l’abus de position dominante

Sur ce point, la juridiction de renvoi demandait en substance si la stratégie d’une entreprise en position dominante, titulaire d’un brevet de procédé pour la production d’un principe actif tombé dans le domaine public, la conduisant à conclure, soit préventivement, soit à la suite de l’introduction de procédures judiciaires remettant en cause la validité dudit brevet, une série d’accords de règlement amiable ayant, à tout le moins, pour effet de maintenir temporairement en dehors du marché des concurrents potentiels fabriquant des médicaments génériques employant ce principe actif, est constitutive d’un abus de position dominante, et cela quand bien même l’un des accords concernés aurait été exclu du champ d’application du droit national des ententes (pt. 145).

Si la seule volonté d’un fabricant de médicaments princeps en position dominante de préserver ses intérêts commerciaux propres, en particulier en défendant les brevets dont il est titulaire, et de se prémunir contre la concurrence des médicaments génériques ne justifie pas, rappelle la Cour, le recours à des pratiques étrangères à la concurrence par les mérites (pt. 152), en revanche, la série d’accords de règlement amiable conclus à l’initiative de GSK, qui s’inscrivait dans une stratégie d’ensemble de la part de ce fabricant de médicaments princeps et a eu, si ce n’est pour objet, du moins pour effet de retarder l’entrée sur le marché de médicaments génériques contenant le principe actif « paroxétine » tombé préalablement dans le domaine public et, partant, de prévenir une diminution significative des prix des médicaments princeps contenant ce principe actif et produits par GSK, dont la conséquence directe aurait été une baisse sensible des parts de marché de GSK ainsi qu’une baisse tout aussi sensible du prix de vente de son médicament princeps, constitue, en principe, une pratique faisant obstacle, au préjudice si ce n’est du consommateur final du moins des systèmes nationaux de santé, au développement de la concurrence sur le marché d’un principe actif tombé dans le domaine public (pts. 155-156). Au surplus, observe la Cour, une telle stratégie contractuelle produit un effet significatif de verrouillage du marché du médicament princeps, en privant le consommateur des avantages de l’entrée sur ce marché de concurrents potentiels fabriquant leur propre médicament et, partant, en réservant directement ou indirectement au fabricant du médicament princeps concerné ledit marché (pt. 157). Dès lors et compte tenu du fait qu’il n’appartient pas à une entreprise dominante de déterminer combien de concurrents viables sont autorisés à la concurrencer, il ne saurait être exclu que les accords conclus par GSK avec les trois génériqueurs puisse avoir généré des effets cumulatifs d’accords restrictifs parallèles de nature à renforcer la position dominante de GSK, et, partant, que la stratégie de ce fabricant de médicaments princeps s’avère abusive au sens de l’article 102 TFUE (pt. 161).

Toutefois, avant de parvenir, le cas échéant, à une telle conclusion, la juridiction de renvoi devra opérer une mise en balance des effets favorables et défavorables pour la concurrence de la pratique concernée, bref devra prendre en compte d’éventuels gains d’efficience. Et ce, en tenant dûment compte des caractéristiques propres de la pratique concernée et plus particulièrement, s’agissant d’une pratique unilatérale, du fait que les effets favorables avérés découlant de l’accord GSK/IVAX se révèlent nettement inférieurs à ceux qui auraient résulté de l’entrée indépendante sur le marché d’une version générique du Seroxat, à l’issue d’une victoire judiciaire d’IVAX dans la procédure relative au brevet.

Pour le surplus, je vous renvoie à la lecture du communiqué de presse de la Cour.

JURISPRUDENCE UE : La Cour de justice rejette les pouvois dans l’affaire des inspections opérées par la Commission à propos des pratiques de prédation  qu’auraient mises en oeuvre l’opérateur historique ferroviaire tchèque, České dráhy

 

Le 30 janvier 2020, la Cour de justice de l’Union européenne a rendu un arrêt dans les affaires jointes C-538/18 et C-539/18 (České dráhy a.s. contre Commission européenne) à la faveur duquel elle rejette l’intégralité des pourvois introduits par l’opérateur historique ferroviaire tchèque, České dráhy, contre les arrêts du Tribunal de l’Union européenne rendus le 20 juin 2018 dans les affaires T-325/16 (České dráhy, a.s. contre Commission européenne) et T-621/16 (České dráhy, a.s. contre Commission européenne).

On se souvient qu’aux termes des deux arrêts attaqués, le Tribunal de l'Union avait annulé partiellement la décision de la Commission ordonnant une première inspection en raison d’une délimitation trop large de son objet au regard des indices dont elle disposait, mais avait validé la décision ordonnant une seconde inspection sur la base d’informations recueillies lors de la première inspection.

Après de premières inspections diligentées en 2012 par l’autorité de concurrence tchèque qui la soupçonnait d’avoir abusé de sa position dominante en pratiquant des prix prédateurs sur la liaison entre Prague et Ostrava, située au nord-est de la République tchèque, après l’introduction devant les tribunaux tchèques d’une action en réparation du dommage concurrentiel par deux concurrents de l’opérateur historique que leur aurait causé le prétendu comportement anticoncurrentiel de la requérante sur la liaison Prague-Ostrava, la Commission avait décidé de se saisir du dossier. Sur la base d’informations en sa possession suggérant que České dráhy pourrait pratiquer des prix inférieurs aux coûts de revient (predatory pricing) sur certaines liaisons ferroviaires, notamment (mais sans s’y limiter) sur la liaison Prague-Ostrava, et ce, au moins depuis 2011, elle avait donc décidé, à son tour, le 18 avril 2016, de soumettre l’opérateur historique à une inspection sur le fondement de l’article 20, § 4, du règlement 1/2003. Dans sa décision, la Commission précisait que si le comportement suspecté était établi, il constituerait une ou plusieurs infractions à l’article 102 TFUE.

Ladite inspection, dénommée « inspection Falcon » par les services de la Commission s’est déroulée du 26 au 29 avril 2016. Au cours de cette inspection, les inspecteurs sont tombés « incidemment » sur des éléments leur laissant à penser que l’opérateur historique et d’autres entreprises ferroviaires historiques auraient conclu des accords anticoncurrentiels ou auraient participé à des pratiques concertées visant à restreindre la vente de matériel roulant ferroviaire usagé aux concurrents. La Commission avait alors adopté, le 22 juin 2016, une nouvelle décision ordonnant sur le même fondement une seconde inspection dénommée « inspection Twins » et destinée à vérifier ses soupçons d’entente.

Dans ces pourvois, České dráhy soutenait en substance, à propos de la première décision ordonnant l’« inspection Falcon », que le Tribunal n’avait pas contrôlé le caractère suffisamment motivé de ladite décision. Il soutenait par ailleurs que le Tribunal s’était abstenu, à tort, de constater que la Commission ne disposait pas de d’indice suffisamment sérieux pour ordonner une telle inspection. Enfin, České dráhy estimait que le Tribunal aurait dû vérifier si la Commission avait correctement défini le marché géographique pertinent afin de s’assurer que la condition prévue à l’article 102 TFUE, selon laquelle l’abus de position dominante concerne le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci, était remplie.

Sur la motivation requise des décisions d’inspection, la Cour répond que la Commission n’est pas tenue de communiquer au destinataire d’une décision d’inspection toutes les informations dont elle dispose relatives à des infractions présumées ni de procéder à une qualification juridique rigoureuse de ces infractions, pour autant qu’elle indique clairement les présomptions qu’elle entend vérifier (pt. 41). Ainsi, il n’est pas indispensable de faire apparaître, dans une décision d’inspection, une délimitation précise du marché en cause, ni la qualification juridique exacte des infractions présumées ou l’indication de la période au cours de laquelle ces infractions auraient été commises, à condition qu’elle indique clairement les présomptions qu’elle entend vérifier (pt. 42). À cet égard, le fait que la Commission disposait des informations précédemment recueillies par l’autorité de concurrence tchèque, ne saurait, en tant que tel, avoir de conséquences sur l’obligation de motivation pesant sur la Commission (pt. 50).

Sur l’existence d’indices suffisamment sérieux pour ordonner une inspection, la Cour relève qu’en présence d’indices suffisamment sérieux permettant de soupçonner une violation des règles de concurrence, la Commission ne saurait être tenue d’apprécier également tous les indices allant en sens inverse (pt. 64). Or, le Tribunal a précisément vérifié les éléments à la disposition de la Commission susceptibles de permettre à celle-ci de soupçonner l’existence d’une infraction à l’article 102 TFUE (pt. 65).

Quant au contrôle par le Tribunal de l’affectation du commerce entre États membres, la Cour, constatant que le Tribunal n’a exigé de la Commission ni qu’elle précise si cette affectation était « sensible » ni qu’elle fournisse une définition précise du marché géographique pertinent, relève cependant, dès lors que la décision d’inspection contenait les éléments essentiels, d’une part, que la Commission ne saurait être tenue de fournir, dans sa décision d’inspection, une délimitation précise du marché en cause et que, d’autre part, il n’est a fortiori pas indispensable de faire apparaître, dans une telle décision, le caractère sensible de l’affectation du commerce entre les États membres (pts. 79-80).

L’opérateur historique ferroviaire tchèque soutenait par ailleurs, cette fois à propos de la décision ordonnant l’« inspection Twins » que celle-ci avait été adoptée sur le fondement de documents saisis dans le cadre de la partie illégale de l’inspection Falcon et que sur ce point, le Tribunal avait commis des erreurs de droit.

À cet égard, la Cour relève que, dans le cadre d’une inspection visant une prétendue pratique de prix prédateurs par une entreprise dominante, la Commission peut légitimement rechercher au moins des documents concernant soit les coûts encourus par cette entreprise, soit la stratégie de celle-ci. Or, en l’occurrence, ajoute-t-elle, il résulte de l’appréciation des trois documents sur le fondement desquels la décision litigieuse Twins a été adoptée, qu’ils contenaient des informations concernant la structure et la nature des coûts de České dráhy ainsi que l’évolution des recettes de celle-ci (pts. 101-102). Dès lors, il y a lieu de constater que les trois documents sur le fondement desquels la décision litigieuse Twins a été adoptée relevaient de l’objet de l’inspection Falcon, dans la mesure où celle-ci visait à vérifier la licéité de la politique de prix appliquée par České dráhy sur la liaison Prague-Ostrava depuis l’année 2011 (pt. 103).

JURISPRUDENCE : Dans l'affaire des commissions d'échange image-chèque, la Cour de cassation censure sèchement la Cour de Paris pour avoir adoptée une interprétation extensive de la notion de restriction de concurrence « par objet »

 

Le 29 janvier 2020, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a rendu un nouvel arrêt dans l’affaire des commissions d'échange image-chèque.

Elle y adopte sur la question de l’existence d’une restriction par objet une solution en ligne avec la jurisprudence européenne issue de l’arrêt cartes bancaires du 11 septembre 2014 (pt. 58) et de l’arrêt Maxima Latvija du 26 novembre 2015 (pt. 18), mais également en ligne avec les conclusions de l’avocat général Wahl (pt. 74) et, plus récemment, celles de l’avocat général Bobek (pt. 40), selon lesquels la notion de restriction de concurrence « par objet » doit être interprétée de manière restrictive.

On se souvient qu’après une première cassation avec renvoi, la Cour d’appel de Paris, oubliant les conclusions qu’elle avait adoptées dans son arrêt du 23 février 2012, avait par arrêt du 21 décembre 2017 confirmé quasiment dans son intégralité la décision n° 10-D-28 du 20 septembre 2010 de l'Autorité de la concurrence.

Écartant l’intégralité des moyens de procédure soulevés par les banques, la Cour de Paris avait également confirmé l’intégralité des conclusions auxquelles était parvenue l’Autorité à propos des pratiques mises en oeuvre par les banques. Ce faisant, elle avait validé l’approche adoptée par l’Autorité à la faveur de laquelle celle-ci avait identifié un système de subventions croisées qui avait permis aux douze principales banques de la place de s’entendre pour instaurer une commission d’échange image-chèque (CEIC) et d’autre part, huit commissions interbancaires, versées à l’occasion d’opérations connexes (commissions pour services connexes – CSC), et d’en fixer le montant. De sorte que, sur le marché de la remise de chèques, la création de la CEIC avait introduit un élément de coût uniforme pour les banques remettantes, qui n’existait pas dans l’ancien système de compensation des chèques interbancaires, qu’il s’en était suivi que les banques remettantes avaient ainsi subi une hausse artificielle de leurs charges d’exploitation affectant le bilan de chaque opération de remise et que cette augmentation des coûts avait nécessairement été répercuté sur le prix global des services bancaires effectivement facturés au client final, du fait du principe de la gratuité du chèque, par le biais du système de subventions croisées entre les divers services vendus aux clients.

Mais surtout, la Cour d’appel avait approuvé l’Autorité de la concurrence d’avoir conclu à l’existence d’une restriction par objet.

Relevant que les accords visant à maintenir les équilibres entre opérateurs en concurrence sur un marché sont particulièrement nocifs pour le jeu de la concurrence en ce qu’ils aboutissent à amoindrir le degré de concurrence entre eux et à figer le marché, de même que les comportements consistant pour les opérateurs d’un marché à se concerter et fixer ensemble un élément de leurs coûts sont particulièrement nocifs pour le jeu de la concurrence, car ils font obstacle à la libre fixation des prix qui doit prévaloir sur les marchés, la Cour avait retenu que l’accord litigieux avait eu pour objet de fausser le jeu de la concurrence entre les banques, d’une part, en introduisant un élément de coût artificiel pour l’ensemble des banques remettantes faisant ainsi obstacle à la libre fixation tarifaire des parties, d’autre part, en les dispensant de rechercher par l’exercice de la concurrence entre elles des solutions aux effets que devaient produire la mise en place de l’EIC, notamment l’effet prétendu de déséquilibre financier. Et la Cour de rappeler alors que la pratique consistant à faire obstacle à ce que chaque opérateur fixe lui-même sa politique tarifaire en fonction de ses propres coûts est particulièrement nocive pour le libre jeu de la concurrence, puisqu’elle altère le principe essentiel de la libre fixation des prix par chaque opérateur au regard de ses propres intérêts économiques. Or l’instauration de la CEIC aurait introduit un coût artificiel qui, du fait de la spécificité du financement du mode de paiement par chèque, lequel s’opère par subventions croisées, est fortement susceptible d’avoir eu un impact sur les prix des services des banques concernées, mais aussi sur la structure du marché, puisqu’elle visait à la maintenir telle qu’elle était au moment où a été mise en place la dématérialisation de l’encaissement des chèques. Cette pratique était donc, pour la Cour de Paris, particulièrement nocive au regard de son impact sur le jeu de la concurrence.

Quant à l’absence de jurisprudence antérieure sanctionnant la mise en place de semblables commissions interbancaire, la Cour d’appel de Paris observait qu’il importait peu qu’aucune pratique de commission interbancaire multilatérale n’ait encore été sanctionnée par une autorité de concurrence nationale ou par la Commission européenne et les juridictions européennes au titre des restrictions par objet, mais seulement au regard de leurs effets. Il suffisait qu’il soit connu par l’expérience que le type de pratiques auquel se rattache le comportement poursuivi, était suffisamment nocif pour le libre jeu de la concurrence. Or, pour la Cour d’appel, tel était bien le cas d’une pratique consistant, pour tous les opérateurs d’un secteur, à fixer en commun un élément artificiel de coût, au surplus sans réelle étude des éléments visant à l’évaluation de ce coût. Dans sa dimension restrictive de concurrence, la CEIC ne revêtait dès lors aucun caractère inédit, concluait la Cour d’appel de paris.

Dans leurs pourvois, les établissements de crédit sanctionnés dénonçaient justement, d’une part, l’interprétation extensive de la notion de restriction de concurrence « par objet » adoptée par la Cour d’appel et, d’autre part, le fait que les conclusions de la Cour de Paris faisait fi de l’étape procédurale a vérifier si l’accord incriminé relève d’une catégorie d’accords dont le caractère nocif est, au vu de l’expérience acquise, avéré et facilement décelable.

Sur quoi la Cour de cassation, rappelant la jurisprudence européenne qui a jugé que la notion de restriction par objet doit être interprétée de manière restrictive et ne peut être appliquée qu'à certains types de coordination entre entreprises révélant un degré suffisant de nocivité à l'égard de la concurrence pour qu'il puisse être considéré que l'examen de leurs effets n'est pas nécessaire, retient qu’en se fondant sur la présomption, contestée, d’une répercussion nécessaire des commissions litigieuses sur les prix finaux, prise du financement du service de chèque par subventions croisées et d’un principe général de répercussion par tout opérateur économique de tout élément de coût sur les prix finaux, la Cour d’appel qui, en l’absence d’expérience acquise pour ce type de commissions interbancaires, a méconnu le principe d’interprétation restrictive de la notion de restriction de concurrence par objet, a violé articles 101 § 1 du TFUE et L. 420-1 du code de commerce (pt. 11).

Par ailleurs, la Cour de cassation estime qu’en ne précisant pas les éléments sur lesquels elle se fondait pour affirmer que la recherche du maintien des équilibres financiers entre les banques, à l’occasion de l'accélération des échanges résultant de la dématérialisation des opérations de compensation des chèques, conduisait à la cristallisation de la structure de marché, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale (pt. 15).

Ce faisant, la Cour casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel de Paris mais seulement en ce que, réformant la décision n° 10-D-28, il a prononcé des sanctions pécuniaires à l’égard de quatre établissements de crédit pour un montant total de près de 210 millions d’euros… Par ailleurs, elle remet l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la Cour d’appel de Paris autrement composée.

INFOS UE : Auditionné par la Commission des affaires économiques du Sénat, Olivier Guersent propose de considérer les grandes plateformes numériques comme des infrastructures essentielles et de les traiter comme telles

 

Le 29 janvier 2019, la Commission des affaires économiques du Sénat a donc auditionné Olivier Guersent, nouveau directeur général de la DG concurrence à la Commission européenne. On retiendra surtout de cette heure et demie de discussion avec les sénateurs la défense et illustration du modèle d’autorité de concurrence de la Commission, sa lecture de l’affaire Alstom/Siemens, d’où il ressort que la réforme en profondeur des règles de concurrence espérée par certains n’est pas à l’ordre du jour, même si Olivier Guersent s’est dit favorable à l’adoption d’une véritable politique industrielle dont la politique de concurrence ne serait qu’un élément. On retiendra également ses propos sur les défis du numérique et son souhait que la Commission adopte à l’égard de grande plateformes numériques une approche relevant à la fois du droit de la concurrence et du droit de la régulation, laquelle permettrait de les considérer comme des infrastructures essentielles et de les traiter comme telles.

Avant de répondre aux questions des sénateurs, Olivier Guersent a tenu quelques propos liminaires.

Selon lui, un droit efficace est un droit qui permet de mettre en oeuvre plusieurs politiques, à l’instar de l’article 106 TFUE, qui été interprété de façons très différentes depuis 1957. Il en va de même du droit des concentrations. Le droit doit s’adapter à la politique. Son application dépend de la politique générale qu’on entend suivre. Mais encore faut-il qu’elle existe. Or, il n’est pas de la politique industrielle européenne, ce qu’Olivier Guersent regrette. Dès lors qu’il existe une politique générale clairement affichée, l’ensemble des règles doit concourir à sa réalisation dans la limite du respect du standard de droit.

C’est la raison pour laquelle il estime qu’un système à l’américaine dans lequel la Commission serait un procureur devant les juges de la Cour de justice ne serait pas meilleur. Ça n’est pas non plus un hasard si la DG concurrence a été logée dans un organe politique et non dans un organe technique indépendant.

Le droit de la concurrence, c’est le droit de l’intervention de la puissance publique à l’égard du pouvoir de marché des entreprises, lorsqu’elles cherchent à extraire de la rente. S’il est légitime que le même standard de droit évolue selon que la politique suivie est libérale ou plus interventionniste, en revanche, ce que ne permet pas le standard de droit, c’est une application de la règle à géométrie variable : « dur avec le Chinois, compréhensif avec le français ».

À propos du défi numérique, olivier Guersent estime que la politique de concurrence — et c’est en cela qu’elle ne s’oppose pas à la politique industrielle — est une politique de compétitivité de l’économie sur le territoire européen. Ce faisant, la politique de concurrence est un élément de la politique industrielle. Mais elle doit à présent faire face à des vagues d’innovations de plus en plus rapides avec un potentiel transformatif de plus en plus profond. Cela pose des problèmes tenant à la rapidité d’action des autorités de concurrence. Toutes les politiques ont du mal à s’adapter. La politique de concurrence ne fait pas exception. Les délais procéduraux sont longs et incompressibles. C’est pourquoi la Commission a remis au goût du jour les mesures provisoires ou intérimaires. Mais ça n’est pas non plus la panacée, car elles sont délicates à mettre en œuvre notamment dans le numérique, avec un coût d’opportunité important. L’intervention du droit de la concurrence peut être tardive. Les amendes sont-elles encore dissuasives ? À la différence des États membres, la Commission ne dispose pas d’un droit des pratiques restrictives. Pour intervenir, elle doit démontrer l’atteinte au marché. En revanche, le droit de la concurrence peut et doit fonctionner en synergie avec la régulation sectorielle. Il existe un champ de possibilités dans l’articulation avec la régulation sectorielle, notamment sur la question des plateformes. Sur ce point, Olivier Guersent a indiqué qu’il était en contact avec Roberto Viola, son homologue à la Direction Connect, sous la responsabilité de Thierry Breton. La piste aujourd’hui explorée consisterait à considérer les grandes plateformes, qui présentent les principales caractéristiques des autres grandes utilités publiques, comme des infrastructures essentielles et de leur appliquer les règles d’accès propres aux infrastructures essentielles. Semblant écarter la proposition faite ici et là d’un renversement de la charge de preuve en présence de killer acquisitions, qu’il juge difficile à mettre en oeuvre dans une procédure concurrence, du fait du nécessaire respect des droits procéduraux de toutes les parties, il indique qu’il serait en revanche tout à fait possible d’utiliser le droit de la régulation sectorielle pour imposer des normes ou interdire des comportements. À cet égard, s’interroge-t-il, est-il normal que des plateformes détentrices d’infrastructures essentielles puissent se développer verticalement en aval sur les marchés de services qui sont précisément distribués via ces infrastructures ?

Ce que permet l’articulation avec le droit de la régulation sectorielle, c’est d’intervenir rapidement parce que ce dernier dispose déjà d’un cadre normatif que le droit de la concurrence ne propose pas.

Sur la question des plateformes, les régulations nationales ne seront pas efficaces. Les entreprises n’aiment rien tant que de pouvoir se loger dans les interstices des réglementations nationales divergentes. Il est préférable qu’il y ait une régulation au niveau européen, mais là c’est au minimum deux ans pour parvenir à un accord avec les États membres.

Le droit de la concurrence, dont le rôle est surévalué, ne ressoudera pas les problème isolément. Il doit intervenir aux côtés de la politique commerciale, mais aussi de la politique fiscale. Par exemple, pour imposer une clause de réciprocité d’accès aux marchés publics, le problème ne peut pas être résolu par le seul droit de la concurrence. Il faut une approche globale.

Olivier Guersent a alors proposé sa lecture de l’affaire Alstom/Siemens. Il a d’abord rappelé que le droit de la concurrence protège les capacités d’arbitrage des consommateurs : dans l’affaire Alstom/Siemens, les clients, c’est-à-dire les compagnies ferroviaires nationales. Alstom et Siemens, essentiellement parce qu’ils détiennent à eux deux les deux technologies clés sur les marchés de la signalisation ferroviaire avaient la capacité d’exercer un pouvoir de marché important et donc d’extraire de la rente sur les compagnies ferroviaires. Si la Commission avait accepté l’opération, qu’est-ce qui aurait garanti que la nouvelle entité utilise cette rente pour financer sa compétitivité à l’international, de préférence à un distribution plus généreuse des dividendes. Autrement dit, en quoi abriter durablement des entreprises de la concurrence sur leur marché domestique et les autoriser à traire le consommateur européen leur donne mécaniquement un avantage dans la concurrence internationale ? Revenant au cas Alstom/Siemens, Olivier Guersent n’a pas caché son irritation face au comportement qu’il juge peu constructif des parties lors de la négociations des remèdes. Pourtant, estime-t-il, il existait un remède assez simple qui aurait dénoué la situation : accorder une licence sur la signalétique à l’espagnol Talgo. Alstom/Siemens s’y sont refusés. Donc le débat sur les remèdes n’a même pas commencé. Pourtant, estime-t-il, ce remède, s’il avait été accepté, aurait permis d’avoir un grand groupe mondial et de la concurrence en Europe. Mais ni Siemens ni Alstom n’étaient prêts à entrer dans cette discussion.



 

INFOS : L’Autorité de la concurrence publie un guide pratique en ligne à l’attention des PME

 





Le 28 janvier 2020, l’Autorité de la concurrence a rendu public son guide pratique à destination des PME. Il est proposé soit sous la forme d’un ouvrage en ligne au format pdf, soit sous la forme d’un site web.

À la faveur de ce guide, elle souhaite développer, dans une démarche préventive, la connaissance du droit de la concurrence par ce public spécifique d’entreprises qui n’est pas toujours conscient que les règles de concurrence s’appliquent à lui, et qui, en tout état de cause, ne dispose pas, le plus souvent des ressources, pour intégrer ce corpus de règles et assurer, par la veille, la mise en oeuvre de ces règles et leur évolution.

Dans une approche pédagogique indéniable, non dénuée toutefois de velléités régulatrices, l’Autorité a donc créé un espace en ligne dédié aux PME poursuivant un triple objectif :

— Expliquer les règles de concurrence afin de sensibiliser les PME et prévenir la commission d’infractions, notamment par négligence ou méconnaissance des règles du jeu ;

— les aider à agir lorsqu’elles ont franchi la ligne rouge ;

— les guider quand elles sont victimes de pratiques anticoncurrentielles.

Le guide comporte une cinquantaine de pages à la faveur desquelles sont abordées 17 problématiques, sous forme de fiches, réparties en deux blocs : « Connaître les règles » et « Que faire si je suis victime ou en situation d’infraction ? ».

Pour le surplus, je vous renvoie à la lecture du communiqué de l'Autorité de la concurrence.

EN BREF : L’Autorité de la concurrence porte à trois le nombre d’adjoints au chef du service des concentrations et nomme Anne-Sophie Delhaise et Géraldine Rousset

 

Le 27 janvier 2020, l’Autorité de la concurrence a annoncé la nomination d’Anne-Sophie Delhaise et de Géraldine Rousset comme adjointes au chef du service des concentrations, ce qui porte à trois le nombre d’adjoints au chef du service des concentrations. En effet, elle rejoignent Sara Darley, déjà en poste, tandis que Jérôme Vidal quitte son poste d’adjoint au chef du service concentrations pour de nouvelles fonctions dans le secteur des affaires européennes…

Je vous renvoie pour de plus amples informations sur le parcours d’Anne-Sophie Delhaise et sur celui de Géraldine Rousset à la lecture du communiqué de l’Autorité.

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